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Pourquoi la crise énergétique ne peut que durer


Le monde de l’énergie fait face en ce moment à ce que les anglo-saxons appellent une tempête parfaite, (a perfect storm), une conjonction improbable d’évènements tous négatifs. Elle mêle à la fois une succession de phénomènes conjoncturels allant de l’ouragan Ida dans le Golfe du Mexique en passant par le manque de vent en Europe depuis le début de l’année, des sécheresses en Chine et en Amérique du sud, un hiver rigoureux et des canicules… aux conséquences qui commencent à se faire sentir d’une transition menée dans le désordre. Plutôt que les slogans et les coups politiques, il faut une planification réaliste et rigoureuse et ne pas commencer à détruire l’ancienne économie avant d’avoir construit la nouvelle.

Le monde dans lequel nous avons vécu pendant des décennies, celui d’une énergie abondante et plutôt bon marché, n’existe plus. Pour deux raisons essentielles, les besoins en énergie dans le monde continuent à augmenter rapidement (de 50% d’ici 2050 selon l’EIA) et la transition énergétique consiste dans le même temps à se passer des énergies fossiles et à leur substituer des sources d’énergie émettant moins de gaz à effet de serre. Le problème est que nous devons satisfaire deux impératifs contradictoires en même temps et que nous n’en avons ni les moyens technologiques, ni les moyens financiers, ni même les moyens politiques.

Une conjonction improbable d’évènements tous négatifs

La crise énergétique qui s’est traduite par une envolée des prix du gaz, de l’électricité et du charbon est planétaire. Pour preuve, la Chine est confrontée depuis le début de l’année à des coupures permanentes d’électricité faute notamment de charbon pour alimenter ces centrales, ce qui n’est pas sans rapport avec les pénuries de nombre de produits industriels. Au Royaume-Uni, les prix de l’électricité en septembre ont été trois fois plus élevés qu’à n’importe quel moment au cours des dix dernières années. Les prix du gaz et de l’électricité se sont également envolés aux Etats-Unis et au Brésil. Les cours du baril de pétrole sont au plus haut depuis trois ans.

Pour employer une expression américaine, le monde de l’énergie fait face à une tempête parfaite, (a perfect storm), une conjonction improbable d’évènements tous négatifs. Ainsi, l’activité économique mondiale et donc la demande d’électricité, de gaz, de pétrole, est repartie vigoureusement après la pandémie. Cela intervient après une année marquée dans le monde par un hiver froid et un été chaud qui ont restreint les réserves de gaz. La production de pétrole et de gaz aux Etats-Unis dans le Golfe du Mexique a été affectée par l’ouragan Ida et les tempêtes de neige de février. La Russie, le principal fournisseur de l’Europe, n’est pas capable ou ne veut pas augmenter ses exportations. Enfin, les pays asiatiques et notamment la Chine tentent de réduire leur dépendance au charbon en important tout le gaz naturel liquéfié (GNL) qu’ils peuvent.

A cela s’ajoute, les conséquences de la transition énergétique en cours. Les éoliennes en Europe sont affectées depuis le début de l’année par un manque de vent et les sécheresses en Chine et en Amérique du sud ont réduit l’activité des centrales hydroélectriques. Dans le même temps, l’augmentation de la taxe carbone en Europe a contribué à faire monter les prix des énergies fossiles et de leurs alternatives et en Chine les gestionnaires de réseaux ont été mis sous pression pour limiter l’utilisation des centrales au charbon.

Se passer de l’ancienne économie avant d’avoir construit la nouvelle

Affaiblir l’ancien système énergétique avant d’avoir construit le nouveau est non seulement une mauvaise stratégie, mais cela peut faire monter les oppositions politiques à la transition. «Ce que nous voyons est un ensemble de circonstances malheureuses pendant une période de transition où nous ne sommes pas passé entièrement d’un système à un autre», explique à Quartz James Henderson, directeur de la Energy Transition Research Initiative de l’Université d’Oxford. «Durant cette période, les risques de marché sont accrus. Il est impossible de voir un monde ou il existe plus de volatilité», ajoute-t-il.

En fait, la transition va prendre des décennies et entretemps, les énergies fossiles et le nucléaire resteront indispensables. Considérer que la transition peut se mener en quelques années est une illusion. Il y a deux composants indispensables pour construire un réseau électrique décarboné. Premièrement, produire de l’électricité décarbonée à base de renouvelables, hydraulique, éolien, solaire. Et deuxièmement, parce que le solaire et l’éolien sont intermittents et n’offrent aucune garantie de pouvoir répondre à la demande, il faut un réseau très puissant et efficace qui peut transférer l’électricité de là où elle est produite vers les lieux où elle est demandée. Et il faut y ajouter de grandes capacités de stockage. Les technologies permettant de transmettre sur grande distance de grande quantité d’électricité et celles permettant de stocker de grandes quantités d’électricité sont balbutiantes. Il faudra des décennies pour les rendre fiables et économiquement abordables. Les renouvelables ne seront pas capables de remplacer les fossiles à court et moyen terme. Cela signifie que le gaz naturel, le pétrole pour les transports voire même le charbon restent indispensables.

Le problème est que les compagnies pétrolières et gazières sont aujourd’hui sous la pression grandissante des investisseurs et des gouvernements pour réduire leurs empreintes carbone et leurs investissements. Si les investissements dans la recherche et la production de pétrole et surtout de gaz ne restent pas à un niveau important, les cours vont continuer à s’envoler faute de capacités de production. Si le déclin des hydrocarbures est trop rapide sous les pressions politiques et économiques, toute la transition est en péril.

La transition ne se fera pas contre les populations. Cela signifie deux choses. Tout d’abord, sortir des slogans et de la communication et faire de la pédagogie, expliquer la réalité. Que la transition prendra des décennies et se traduira par des prix plus élevés de l’énergie et des risques accrus de pénuries. La deuxième nécessité sera donc de mettre en place des mécanismes pour permettre aux plus modestes de pouvoir continuer à se chauffer et à se déplacer.

La rédaction