Transitions & Energies
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L’inflation verte, un risque majeur pour la transition


On appelle cela les effets non intentionnels. De nombreux métaux dits stratégiques et les énergies fossiles sont indispensables pour construire les équipements 
et les infrastructures nécessaires à la transition. Si les investisseurs s’en détournent, sous la pression des gouvernements et des opinions publiques, les pénuries vont se multiplier, les cours vont s’envoler et la transition deviendra techniquement et économiquement encore plus difficile. Se passer de l’ancienne économie avant d’avoir construit la nouvelle serait une grossière erreur. Illustration de cette envolée des prix, le tarif réglementé du gaz naturel en France pour les particuliers va encore augmenter de 12,6% au 1er octobre. Il a déjà connu des hausses de 9,9% le 1er juillet, de 5,3% le 1er août et encore de 8,7% le 1er septembre…
Article publié dans le numéro 10 du magazine Transitions & Energies.

Il n’y aura pas de transition énergétique sans métaux en abondance et sans carburants fossiles. Cela peut sembler contradictoire. La transition a pour objet de réussir justement à se passer des énergies fossiles. Mais cela ne l’est pas. Sans cuivre, sans aluminium, sans lithium… et sans navires fonctionnant avec du fuel lourd et sans centrales thermiques au charbon et au gaz, pas de transition. Les moteurs des navires pour transporter les matières premières pour fabriquer en Chine les panneaux solaires, les batteries, les moteurs et les pâles des éoliennes sont alimentés avec quels carburants? Qui fournit l’électricité aux usines chinoises? Et ensuite comment sont transportés les mêmes panneaux solaires, batteries et composants des éoliennes jusqu’en Europe?

Un exemple résume bien cette situation. Les usines chinoises fournissent plus des trois quarts du silicium polycristallin ou polysilicium au monde, un composant essentiel dans la plupart des panneaux solaires. Les usines qui produisent le polysilicium raffinent le silicium dit métallurgique à l’aide d’un procédé qui consomme de grandes quantités d’électricité, faisant de l’accès à une énergie bon marché un avantage concurrentiel.

Les autorités chinoises ont construit de nombreuses centrales à charbon dans des zones faiblement peuplées du pays comme le Xinjiang et la Mongolie intérieure pour soutenir les producteurs de polysilicium et d’autres activités gourmandes en énergie. On peut le déplorer. Mais cela signifie aussi qu’il ne peut pas y avoir de panneaux solaires en toujours plus grand nombre et avec des prix toujours plus bas sans charbon…

Une contradiction difficile à surmonter

Le monde se trouve face à un paradoxe très dérangeant qu’il ne veut surtout pas voir. Les bonnes intentions et les décisions politiques ont parfois, souvent, des conséquences non intentionnelles qui vont à l’encontre des buts recherchés. Se passer de l’ancienne économie avant d’avoir construit la nouvelle est une très mauvaise stratégie et la meilleure façon de ne pas y parvenir.

Plus nous accélérerons la transition énergétique, plus elle deviendra coûteuse en matières premières et en énergie. Surtout qu’en même temps, les régulations, les institutions internationales et les gouvernements découragent l’investissement dans les mines, les gisements, les fonderies et autres équipements qui émettent du carbone en quantité. Tout cela au nom de bonnes intentions, souvent bien réelles, mais à courte vue. Car le résultat, sans doute involontaire, de cette contradiction est l’inflation verte… C’est- à-dire l’envolée des cours de l’énergie (du gaz naturel, du pétrole et même du charbon) et des métaux et des minéraux comme le cuivre, le lithium, l’aluminium… qui sont essentiels au solaire, à l’éolien et aux voitures électriques.

Dans le passé, les transitions énergétiques se sont faites sur des périodes longues, au moins un demi-siècle. L’arrivée de nouvelles sources d’énergie et d’une nouvelle concurrence s’est souvent traduite par un perfectionnement des anciennes techniques. Ainsi, l’arrivée de la machine à vapeur sur les navires s’est traduite pendant cinquante ans par une multiplication des innovations dans la marine à voile bien plus que pendant les trois cents années précédentes. De la même façon, l’irruption de l’électricité a contraint l’éclairage au gaz à tenter pour survivre de perfectionner considérablement sa technologie.

Plus de métaux et d’énergies «sales», dans un premier temps, pour construire la transition

Construire des économies vertes va nous contraindre dans un premier temps à consommer plus d’énergies fossiles pendant la période de transition. Mais les producteurs ne répondent pas à cette perspective, comme les constructeurs de navires à voile et les producteurs de réverbères à gaz du passé. Ils n’investissent plus. Les compagnies pétrolières et gazières cherchent à se réinventer et à se présenter à leurs actionnaires et contempteurs comme des artisans et des promoteurs de la révolution verte. Tout cela est bien beau, mais le monde dépend encore à plus de 80% des énergies fossiles et sans elles, pas de lendemains décarbonés.

Il faut évidemment que nous utilisions mieux les énergies fossiles, avec plus d’efficacité, en réduisant les émissions de méthane et de carbone dans la production et la distribution, en capturant le CO2, en passant rapidement du charbon au gaz dans les centrales thermiques. Le gaz naturel est un bon exemple de cette incontournable période de transition, même si dans notre monde d’information immédiate, d’émotion, de prophéties apocalyptiques permanentes et d’anathèmes, le temps long n’existe plus et les résultats doivent être immédiats…

Le gaz naturel est aujourd’hui pour bon nombre de pays le moyen le plus rapide de réduire les émissions de CO2. C’est en passant massivement de centrales à charbon à des centrales à gaz que les États-Unis ou le Royaume-Uni sont parmi les pays ayant le plus rapidement baissé leurs émissions de carbone au cours de la dernière décennie. Le gaz naturel est aussi le meilleur moyen aujourd’hui, avec le nucléaire, de permettre aux réseaux électriques de faire face aux contraintes et aux problèmes résultant de l’intermittence des productions renouvelables solaires et éoliennes. Le gaz naturel est un carburant fossile. À terme, il faut s’en débarrasser et lui trouver des substituts, peut-être l’hydrogène vert, peut-être grâce à des technologies efficaces à grande échelle de stockage de l’électricité. Mais en l’état actuel de la technologie et des moyens à notre disposition, le gaz qui émet environ 50% de moins de CO2 que le charbon est indispensable. Mais faut-il encore continuer à exploiter les gisements de gaz, à les entretenir, à développer les infrastructures, notamment de gaz liquéfié, et à chercher de nouveaux gisements. Nous en manquons déjà…

Les investisseurs ont pris peur

Un analyste financier d’une grande banque faisait remarquer récemment dans une note que parmi les 400 clients institutionnels de son établissement, un seul acceptait encore d’investir dans le pétrole et le gaz. Et la hausse continue des cours depuis près d’un an n’y change rien. De la même façon, les investissements dans l’exploitation de nouveaux gisements de cuivre et d’aluminium sont déprimés par la multiplication des contraintes environnementales et sociales. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas les prendre en compte, mais que si les cours de ces métaux continuent à s’envoler et si nous faisons face à des pénuries, le remède sera pire que le mal.

Le monde a besoin de cuivre pour ralentir le réchauffement climatique. Mais des défenseurs de l’environnement viennent d’empêcher la mise en service d’une nouvelle mine en Alaska du fait de son impact sur les communautés locales et les saumons sauvages. Environ 40% du cuivre produit dans le monde provient du Chili et du Pérou. Dans ces deux pays, des projets miniers qui mettaient cinq ans pour se concrétiser mettent aujourd’hui au moins dix ans. Un grand projet qui devait commencer son exploitation au Pérou en 2011 n’a toujours pas vu le jour et se heurte à une opposition efficace des communautés locales. Le Chili vient d’adopter des nouvelles normes environnementales et envisage une taxe sur les mines qui rendrait la plupart de celles en exploitation aujourd’hui non profitables.

Pour être clair, il ne s’agit pas de ne pas protéger les intérêts des communautés locales et d’éviter que les exploitations minières n’empoisonnent ou ne détruisent leur environnement. Mais il faut aussi savoir ce que l’on veut et s’en donner les moyens.

La Chine a aussi radicalement changé de stratégie et a décidé de cesser d’être un fournisseur mondial de produits industriels non transformés. Il y a quelques années encore, la Chine surproduisait de la fonte et de l’acier et vendait les excédents sur les marchés étrangers. Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre et économiser l’énergie, la Chine réduit maintenant de nombreuses productions industrielles de base. Pas moins de 60% de l’aluminium fabriqué dans le monde provient de Chine. Produire de l’aluminium demande une très grande quantité d’électricité, et la Chine fait face depuis des mois à des pénuries d’électricité et des coupures de courant du fait notamment d’un manque de charbon pour ces centrales. Conséquence: la production d’aluminium a beaucoup baissé.

Accepter les raisonnements complexes et le temps long

On ne peut pas contester cette politique. L’aluminium est l’un des métaux dont la production est la plus polluante. Mais il est aussi vital pour les équipements solaires et éoliens et la demande mondiale devrait fortement augmenter dans les prochaines années. C’est une contradiction désagréable et difficile à surmonter, mais elle existe. Les prix de l’aluminium ont augmenté de 75% depuis leur plus bas niveau l’an dernier et ceux du cuivre de 100%.

Il va falloir trouver une balance subtile entre la défense de l’environnement et la mise en place de la transition énergétique pour limiter le réchauffement climatique. Il s’agit d’une contradiction qui est déjà évidente avec la question de l’installation des éoliennes terrestres à proximité des habitations et dans certains paysages. Les partisans des éoliennes sont écologistes et les adversaires des mêmes éoliennes des défenseurs de l’environnement, de leur environnement. Mais avec l’inflation verte, le problème prend une toute autre dimension. Nous devons produire suffisamment de matériaux «sales» pour accélérer et tout simplement réaliser la transition.

Ainsi, bloquer l’exploitation de nouvelles mines et de nouveaux gisements de gaz n’est pas forcément responsable sur le plan social et environnemental. Les gouvernements comme les écologistes doivent comprendre que se débarrasser trop rapidement de la vieille économie risque de rendre impossible, sur le plan économique et technique, la possibilité de construire la nouvelle. Ce serait irresponsable. Un côté, «après moi le déluge», qui est paradoxalement le principal reproche fait depuis des années aux gouvernements par les militants écologistes…

Eric Leser

La rédaction