Transitions & Energies

Nucléaire: les hauts et les bas des SMRs


L’abandon inattendu à la fin de l’année dernière du projet de SMR (Petit réacteur nucléaire modulable) de la société américaine NuScale dans l’Idaho a jeté un doute sur le développement de cette technologie. Mais il y a des dizaines d’autres projets en cours dans le monde. Et une étude récente du cabinet-conseil EY-Parthenon (ex-Ernst & Young) prévoit la construction d’ici 2050 de 400 à 700 SMRs.

Après un déclin continu alimenté depuis 40 ans par les accidents (Three Mile Island en 1979 et Fukushima en 2011) et la catastrophe de Tchernobyl en 1986, l’énergie nucléaire est revenue en odeur de sainteté. Une résurrection sans précédent dans le monde de l’énergie. Les sources d’énergie dont le développement est arrêté ne connaissent pas en général une renaissance. Même en France, Emmanuel Macron qui n’avait cessé pendant dix ans d’affaiblir la filière industrielle nucléaire a soudain fait volte-face en février 2022 et lancé un programme de construction de nouveaux réacteurs… qui tarde à se concrétiser.

Le plus étonnant dans le retour en grâce du nucléaire est l’attrait pour les innovations technologiques même les plus incertaines. Au point, que la fusion nucléaire fait aujourd’hui rêver dans les centres de recherche comme dans les médias à un monde de science-fiction d’énergie surabondante et décarbonée. Il ne se passe plus non plus une semaine sans que les SMR (Small modular reactors), petits réacteurs modulaires, fassent parler d’eux… en bien ou en mal.

Des dizaines de SMRs en service dans le monde dans des sous-marins et des porte-avions

Mais autant la production d’électricité grâce à la fusion nucléaire est une utopie qui verra peut-être le jour à la fin de ce siècle ou au XXIIème siècle, autant la multiplication des SMRs est peut-être pour la prochaine décennie. Et pour cela une raison simple, il en existe déjà des dizaines en service dans le monde… Ce sont les réacteurs qui équipent des sous-marins et des porte-avions à propulsion nucléaire en France, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Chine, en Inde et en Russie. On trouve aussi, uniquement en Russie, quelques brise-glace à propulsion nucléaire et même une barge qui transporte un SMR pour fournir de l’électricité dans des ports du cercle polaire arctique. La Chine a aussi un modèle considéré comme opérationnel de SMR.

Cela dit, le marché des SMRs n’existe pas encore vraiment et la plupart des premiers prototypes commerciaux ne seront pas opérationnels avant au mieux 2029 ou 2030. Et puis l’année 2023 s’est mal terminée pour les SMRs avec l’annulation inattendue de la construction du prototype de la startup américaine NuScale dans l’Idaho. La surprise a été d’autant plus grande que ce SMR était le seul à ce jour à avoir été homologué par la Commission américaine de régulation du nucléaire (NRC). Le désengagement des collectivités locales est liée avant tout à et l’envolée de la facture passée de 5,3 à 9,3 milliards de dollars.

L’Asie-Pacifique en pointe

Maintenant NuScale n’était qu’un projet parmi des dizaines d’autres un peu partout dans le monde. Et cet échec ne retire rien aux qualités des SMRs. Sur le papier, ils apportent une réponse à de nombreux besoins spécifiques de production d’électricité décarbonée. Pour l’industrie lourde (sidérurgie, chimie, cimenteries…), pour alimenter de petites régions et métropoles, pour équilibrer et sécuriser des réseaux électriques soumis aux aléas des renouvelables intermittents, voire pour fabriquer de l’hydrogène décarboné ou des carburants synthétiques. Et leur construction peut se faire en quelques années.

Un rapport récent du cabinet-conseil EY-Parthenon (ex-Ernst & Young) souligne le potentiel de développement des SMRs et évalue leur marché entre 70 et 120 milliards de dollars par an en 2050. Il prévoit une mise en service des premiers démonstrateurs aux alentours de 2030, « avec une réelle accélération de leur déploiement à partir des années 2040 ». D’ici 2050, 400 à 700 SMRs (d’une capacité cumulée de 60 à 100 GW) pourraient avoir été déployés dans le monde. Et EY-Parthenon prévoit un développement important en Asie-Pacifique (48% des SMRs estimés en 2050) suivi par l’Europe (17%) et l’Amérique du Nord (16%).

EY-Parthenon considère enfin que « les principaux secteurs de développement des SMR identifiées en 2050 sont l’injection d’électricité sur le réseau (particulièrement en lieu et place de centrales à charbon), la production d’hydrogène (en pétrochimie notamment) et la métallurgie. D’autres usages ont un potentiel de développement significatif, tels que la production de chaleur domestique, l’alimentation de fours de cimenterie, la désalinisation d’eau de mer, les processus de fabrication de papier et de fibres ou encore l’alimentation de data centers ».

Les Etats-Unis ont pris de l’avance

Toujours sur le papier, ils seraient aussi plus sûrs que les gros réacteurs en pouvant pour la plupart se passer des systèmes de sûreté dits « actifs » susceptibles de dysfonctionnements indispensables aux grosses centrales et passer à la « sûreté passive », qui ne nécessite aucune intervention humaine et alimentation électrique. L’avantage des SMRs tient aussi, selon leurs promoteurs, à leurs coûts de construction inférieurs à ceux des grands équipements du fait notamment de leur modularité qui permet de les fabriquer en série par éléments en usine qui sont assemblés ensuite sur les chantiers. Cela reste encore à démontrer.

En matière de SMR, les Etats-Unis ont clairement pris de l’avance, notamment parce que contrairement à la Chine, la Russie et la France, il y est difficilement envisageable politiquement et socialement de relancer un programme de construction de grandes centrales. Voilà pourquoi les SMRs attirent de nombreux investisseurs.

EDF et Nuward

Après l’échec de Nuscale, le projet le plus avancé aujourd’hui est de celui de GE (General Electric)-Hitachi à Darlington dans l’Ontario (Canada) avec une mise en service de réacteurs BWRX-300 prévus pour 2029 (voir l’image ci-dessus). Sa technologie est « conventionnelle ». Il est refroidi par un système d’eau pressurisée comme les deux modèles de SMR développés par le russe Rosatom et issus des technologies militaires, le RITM-200 et le KLT40S.  « Sous réserve du feu vert des régulateurs, la construction nucléaire démarrera en 2025 », affirme l’opérateur Ontario Power Generation (OPG). La Tennessee Valley Authority (TVA), agence fédérale qui alimente en électricité plusieurs régions du sud des Etats-Unis, a également investi dans le développement du BWRX-300.

Une autre start-up américaine TerraPower compte mettre en chantier son réacteur en juin sur le site d’une centrale à charbon en fin de vie, à Kemmerer (Wyoming). Ultra Safe Nuclear Corporation table ainsi sur la fabrication de dix MMR par an dans son usine de Gadsden (Alabama), qui devrait ouvrir en 2027.

En France, le projet Nuward (pour Nuclear Forward) d’EDF accélère. Il prend la forme d’un binôme de deux petits réacteurs fournissant chacun 170 MW électriques et un prototype doit être construit à Marcoule, berceau historique du nucléaire français. Plusieurs pays dont la République tchèque, la Finlande et la Suède se disent intéressés.

De nombreuses Start-Ups françaises

Mais il n’y a pas que EDF en France. Jimmy Energy vient d’annoncer la construction d’une première usine au Creusot et développe des prototypes utilisant une technologie nucléaire dite à haute température visant non pas à produire de l’électricité, mais de la chaleur industrielle, notamment à destination de l’industrie agroalimentaire. Ces micro-réacteurs d’une puissance de 10 MW ou 20 MW, selon le modèle, ont l’immense avantage de nécessiter des investissements relativement restreints et de pouvoir s’implanter facilement et directement sur les sites industriels. La start-up souhaite répondre ainsi à des besoins de décentralisation et d’éviter de coûteux raccordement au réseau très haute tension nécessaire à l’électrification des centres industriels les plus énergivores souhaitant se passer du gaz.

Il y a des projets français de SMR encore plus ambitieux avec des réacteurs de quatrième génération dits à neutrons rapides et à refroidissements par sels fondus. Le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) a incubé deux start-up, Hexana et Stellaria, développant chacune un réacteur explorant ces technologies. Une autre jeune entreprise prometteuse, Naarea, développe un SMR de forte puissance de 300 MW reprenant la technologie déjà éprouvée des réacteurs à eau bouillante. Autre exemple, Newcleo, qui axe son développement sur la production d’hydrogène au sortir du réacteur.

La plupart de ses concepts n’en sont qu’aux prémices de leur développement. Il leur faut prouver la viabilité technique, et surtout économique. Il y aura peu d’élus. Par ailleurs, le cadre réglementaire n’est pas du tout adapté aux petits réacteurs tout comme les moyens de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Une autre problématique encore plus lourde est évidemment celle de l’acceptabilité sociale. On peut légitimement s’interroger sur le type d’opposition que pourrait soulever l’implantation d’un microréacteur quand on voit les réactions à l’installation d’une simple bassine…

La rédaction