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Le réquisitoire de la Cour des comptes européenne sur l’interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique d’ici 2035


L’interdiction à marches forcées de la commercialisation dans l’Union Européenne d’ici 2035 de la vente de voitures neuves à moteur thermique est une décision de plus en plus contestée. Elle est considérée comme à la fois irréaliste et surtout comme ayant des conséquences néfastes que les institutions européennes ont volontairement sous estimées sur le pouvoir d’achat des consommateurs et l’industrie automobile qui a investi 250 milliards d’euros sur une transformation à hauts risques. C’est exactement ce que dénonce dans un rapport récent la Cour des comptes européenne. Il s’agit d’un véritable réquisitoire qui souligne le cadeau incroyable fait à l’industrie chinoise.

La Cour des comptes européenne a rendu public le 23 avril un rapport sur l’interdiction imposée dans toute l’Union Européenne (UE) de la vente des voitures neuves à moteur thermique d’ici 2035. Le texte en forme de réquisitoire ne va pas apaiser la polémique grandissante sur un objectif considéré à la fois comme irréaliste et comme une grave menace pour l’avenir de l’industrie automobile européenne. Il est intitulé « Voiture – Destination «zéro émission»: un virage difficile à négocier ».

Même si la Cour des comptes qualifie de « louable » l’intention des institutions européennes, elle considère que la dynamique actuelle ne permettra pas d’atteindre l’objectif et aura par ailleurs des conséquences négatives et peut conduire à « une impasse». « La route est jalonnée d’obstacles, qui devront être surmontés pour que cet objectif puisse être atteint. L’UE doit veiller à ce que sa souveraineté industrielle et ses citoyens ne paient pas ses ambitions au prix fort. »

Rien n’évolue comme prévu

Sur les quatre problématiques mises en avant dans le rapport, la réduction des émissions de CO2 des voitures thermiques, les carburants alternatifs, le succès commercial des véhicules électriques et le maillage de bornes de recharges, aucune n’évolue comme prévu. « Le premier axe se solde pour l’instant par un échecle deuxième ne paraît pas viable à grande échellele troisième risque de coûter cher, tant à l’industrie qu’aux consommateurs européens, enfin parcourir les routes des Vingt-Sept au volant d’une voiture électrique reste compliqué ».

Les SUV, la plaie des émissions

La Cour des comptes souligne que les voitures à moteurs thermiques ne font plus de progrès en matières d’émissions de CO2 depuis 12 ans. La faute aux SUV. Si « l’efficacité des moteurs a progressé… elle est contrebalancée par l’augmentation du poids moyen des véhicules (+ 10 % environ) et de la puissance moyenne des moteurs (+ 25 % environ) nécessaire pour déplacer une telle masse ».

Biocarburants et carburants de synthèse, trop peu et trop chers

Du côté des carburants alternatifs, biocarburants, hydrogène et ses dérivés que sont les carburants de synthèse, la Cour souligne deux problèmes majeurs. La production en Europe est insuffisante à l’heure actuelle et le restera longtemps et importer des biocarburants ou de l’hydrogène et ses dérivés créera un autre problème pour la souveraineté de l’Europe.

Il y a aussi et surtout la question du prix de ses carburants alternatifs. Pour les carburants de synthèse, c’est celui de la production d’hydrogène décarbonée qui demande beaucoup d’électricité elle-même décarbonée. Mais la question se pose aussi pour les biocarburants. « Les biocarburants ne sont pas encore compétitifs sur le plan économique, en partie à cause de ces problèmes d’offre et de demande de biomasse », écrit la Cour. Elle ajoute que « les avantages environnementaux des biocarburants sont surestimés ».

Une industrie automobile mise à mal

Maintenant le fond du problème tient à la capacité de l’industrie automobile européenne de se conformer au diktat des politiques et des institutions et à survivre. Là encore, la souveraineté de l’Europe est très menacée selon la Cour des comptes.

De fait, en contraignant l’Europe à passer au tout-électrique, les institutions de l’UE font un cadeau incroyable à l’industrie chinoise. Elle « détient à elle seule 76 % des capacités mondiales » de production de batteres. Et la dépendance ne tient pas qu’aux batteries mais à tous les matériaux nécessaires à la fabrication des véhicules électriques. L’UE importe « 87% de son lithium brut d’Australie, 80% de son manganèse d’Afrique du Sud et du Gabon, 68% de son cobalt de la République démocratique du Congo et 40 % de son graphite de Chine ».

Enfin, l’industrie automobile européenne n’est pas compétitive face à son homologue chinoise en dépit de la somme faramineuse de 250 milliards d’euros d’investissements dans l’électrique. « Malgré des aides publiques importantes, le coût des batteries produites dans l’UE reste beaucoup plus élevé que prévu ».

Non seulement, le passage contraint et forcé à la motorisation électrique est une menace existentielle pour l’industrie mais a des conséquences sociales difficiles à gérer. Les prix prohibitifs des véhicules électriques reviennent à exclure de ce marché de nombreux Européens et donc à restreindre de fait leur liberté de déplacement vers les zones urbaines denses.

Les bornes de recharge restent un problème

La Cour souligne que « la disponibilité de bornes de recharge ouvertes au public varie considérablement d’un État membre à l’autre… » et que « faute d’informations en temps réel et d’un système de paiement harmonisé, sillonner l’Europe en électrique est encore loin d’être une affaire qui roule. »

En conclusion, la Cour affirme que « l’Union doit concilier le pacte vert non seulement avec la souveraineté industrielle, mais encore avec l’accessibilité financière pour les consommateurs. Il est urgent d’agir pour donner les moyens à l’industrie européenne de produire des voitures électriques sur une grande échelle à des prix compétitifs, tout en sécurisant l’approvisionnement en matières premières et en accélérant le déploiement des infrastructures de recharge sur l’ensemble du continent ».

La rédaction