Transitions & Energies

Dans la jungle des prix de l’électricité


Entre les prix à terme, les prix spot et les tarifs réglementés de l’électricité, il est difficile de s’y retrouver. D’autant plus que les administrations européenne et française ont créé au fil des années des systèmes d’une rare complexité dont les consommateurs sont rarement les bénéficiaires.

La hausse soudaine et spectaculaire des prix de marché de l’électricité en 2022 suivie en 2023 par une forte augmentation des tarifs réglementés, ont provoqué des polémiques sans fin. Elles ont surtout amené particuliers et entreprises à s’interroger sur la façon dont les prix de l’électricité sont établis en France comme en Europe. Le moins que l’on puisse dire est qu’il s’agit d’une question d’une rare complexité dans laquelle les administrations française et européenne ont rivalisé d’inventivité pour créer un système à la fois incompréhensible et souvent absurde.

Il faut ajouter à cela les simplifications, fantasmes et légendes urbaines qui se sont multipliés. Ainsi, combien d’experts autoproclamés ont expliqué doctement (mais faussement) que « les prix de l’électricité sont indexés sur ceux du gaz » pour expliquer leurs envolées parallèles en 2022 ? Les choses sont en fait bien plus compliquées… Il convient tout d’abord de savoir de quoi on parle. Il y a plusieurs prix de l’électricité. Les prix à terme que les entreprises négocient plusieurs années à l’avance. Les prix dits spots avec négociation la veille pour le lendemain et les fameux tarifs réglementés, encore très répandus pour les particuliers comme les petites entreprises.

Les prix à terme, une sécurité pour les grandes entreprises et les fournisseurs

Pour comprendre à quoi correspondent les prix à terme, il faut savoir qu’une grosse entreprise ou un fournisseur d’électricité cherchent à limiter leurs risques de marché, c’est-à-dire sécuriser leurs approvisionnements ou leurs ventes. Cela leur permet notamment de contrôler à l’avance leurs coûts et leurs chiffres d’affaires. Ils ont donc intérêt à anticiper les commandes.

Les gros consommateurs cherchent à acheter au meilleur prix un an, deux ans, voire plus à l’avance. Les enchères pour l’année 2028 ont par exemple même déjà été ouvertes par EDF afin d’écouler sa production sur le marché à terme.

Le prix de cette électricité est fixé par un système d’enchères. Le producteur place un certain volume en vente et négocient avec les acheteurs en fonction de l’estimation de leurs coûts de production et aussi d’une prime de risque. Cette dernière représente l’aléa de production. Les acheteurs vont jauger les capacités du producteur à tenir ses engagements et à livrer le volume choisi en temps et en heure. Plus le risque est limité, plus cette prime est faible.

C’est cette estimation du risque qui a en 2022, fait s’envoler les prix des livraisons à terme d’électricité. En pleine crise liée à l’arrêt en urgence d’une partie du parc de réacteurs nucléaires d’EDF à la suite de la découverte des problèmes dits de corrosion sous contrainte sur ses centrales nucléaires et en pleine sécheresse affectant la production de ses barrages, EDF a vu sa crédibilité remise en cause et les primes de risques se sont envolées à des niveaux inédits.

Depuis, la remontée de la production et la baisse de la consommation ont fait retomber l’évaluation du risque de manque de capacités de production et donc de fiabilité d’EDF à tenir ses engagements. Les prix ont baissé. Comme sur tout marché, ils dépendent de la rencontre entre l’offre et la demande. Si les volumes vendus sont inférieurs aux volumes que souhaitent acquérir les acheteurs, les prix augmentent. Et inversement. En 2022, la baisse de la production et l’anticipation d’une consommation qui tendait à rester identique ont entraîné une forte augmentation des prix.

Le prix spot ou le coût marginal

Le marché spot est par construction et définition beaucoup plus volatil. Les prix se négocient au jour le jour et au pas horaire, c’est-à-dire que chaque heure du lendemain a un prix potentiellement différent. Cette particularité fait qu’il est possible d’estimer très précisément la consommation et la production, heure par heure, rendant anecdotique les primes de risque.

La logique prépondérante est celle de la tarification marginale ou le coût de production de la dernière centrale appelée. Heure par heure, les vendeurs et acheteurs affinent leurs niveaux de production et dans une moindre mesure de consommation. C’est ce qui a permis à certains d’expliquer, notamment en 2022, que le prix de l’électricité est indexé sur celui du gaz. Ce qui est en général est faux, mais est parfois vrai.

Car le gaz n’est pas à proprement parler marginal. En tout cas en France, il ne correspond au dernier moyen de production d’électricité qu’une petite minorité du temps. Par ailleurs, le fonctionnement des prix spot est par nature erratique et ne concerne qu’une petite minorité des consommateurs. L’impact de l’offre et la demande conduit souvent à des prix « absurdes ». C’est ainsi que l’on voit de plus en plus régulièrement certaines heures à des prix nuls voire négatifs. En cause, la production erratique de certains moyens de production aléatoires et intermittents, c’est-à-dire non pilotable en fonction de la demande. Ainsi, une grosse production solaire ou éolienne à un moment de moindre consommation entraîne un phénomène de surproduction et une baisse ou un effondrement des prix au moment. Il devient même négatif quand le producteur paye pour se débarrasser de son surplus d’énergie. Les réseaux électriques doivent être en permanence équilibrés entre production et consommation. Ils sont mis en danger pas la sous production et… la surproduction.

Ensuite, le calcul du prix marginal se fait selon la valeur d’usage. Combien vaut 1 kwh stocké dans un barrage ? Dans un moment de pic de consommation, vaut-il mieux lancer le turbinage d’une centrale hydroélectrique, ou démarrer une centrale thermique au gaz ? Ces arbitrages en fonction des stocks (d’eau ou de gaz), du profil de consommation, entraînent la définition de la fameuse valeur d’usage par le producteur et, en conséquence, la fixation du prix spot.

Tarifs réglementés, une invraisemblable usine à gaz

Mais ce qui intéresse le plus les consommateurs, notamment particuliers, c’est la tarification au détail et les tarifs réglementés. La façon dont ils sont déterminés est obscure pour la majorité des consommateurs. Car le prix de la fourniture d’électricité ne représente qu’une fraction du tarif réglementé, complété par le coût de l’acheminement de l’électricité (TURPE, CTA) et par la fiscalité (TICFE, TVA…).

D’autant plus que viennent s’ajouter à cela les usines à gaz créées par l’administration française pour donner satisfaction à Bruxelles et créer une soi-disant concurrence entre fournisseurs d’électricité sur le marché français. Il s’agit de la trop fameuse Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Ce système a consisté à créer une concurrence totalement artificielle sur la distribution de l’électricité en France dont le consommateur n’a jamais vraiment bénéficié et au seul détriment d’EDF. Depuis 2011, EDF est contraint de vendre une partie de son électricité nucléaire (100 TWh/an environ un tiers de la production) au prix cassé de 42 euros le MWh à ses concurrents fournisseurs alternatifs, qui devaient, en théorie, le répercuter sur les factures des consommateur…

Le tarif réglementé prend en compte évidemment le prix de l’Arenh (42€/MWh) et le prix du reste divisé entre une partie écrêtement et une autre provenant de la moyenne des prix de marché sur les 24 mois précédents…

Un effet retard

Tout cela revient à ce que le tarif final de l’électricité pour le consommateur soit peu sensible à la hausse et à la baisse des prix de gros et surtout avec un effet retard. L’inertie existe aussi bien à la hausse qu’à la baisse. Résultat, le tarif réglementé a augmenté tandis que les prix de marché étaient en train de baisser. Difficile à expliquer et à accepter pour le consommateur.

Maintenant et pour finir sur une note optimiste, la part variable, calculée sur les moyennes des marchés des 24 derniers mois, va voir au cours de l’année 2024 l’effacement de l’année 2022, celle des records de hausse. Donc selon toutes vraisemblances, la part du tarif réglementé provenant de la fourniture de l’électricité va baisser dans les prochains mois. Le consommateur devrait en profiter, sauf si les taxes augmentent…

Philippe Thomazo

La rédaction