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«Futurs électriques 2050»,  à quoi va bien servir le grand rapport de RTE


Le volumineux rapport du Réseau de transport d’électricité ménage la chèvre et le chou et élabore ainsi pas moins de six scénarios pour atteindre la neutralité carbone électrique d’ici 2050. Trois scénarios sont 100% renouvelables, irréalisables techniquement aujourd’hui, et trois scénarios incluent différentes proportions de «nouveau» nucléaire. RTE ne sera pas ainsi pris à contrepied par les changements de cap de l’Elysée. Ce rapport pose néanmoins deux problèmes. Il illustre d’abord le fait que ce n’est pas à RTE d’élaborer les stratégies de transitions énergétiques. Ce n’est certainement pas sa mission. Ensuite, la neutralité carbone de la production électrique n’est pas vraiment un problème en France où d’ores et déjà plus de 90% de l’électricité est décarbonée…

RTE, le Réseau de transport d’électricité, dont la clairvoyance n’a pas toujours été le point fort dans le passé, prévoyant entre autres que l’hydrogène ne jouerait aucun rôle ou que la consommation d’électricité allait baisser dans l’avenir…, a rendu public lundi 25 octobre une volumineuse étude de 600 pages  baptisée «Futures énergétiques 2050». Cette fois RTE a décidé de jouer la prudence et d’éviter de donner le sentiment d’avoir un parti pris idéologique ou même de s’en prendre à son grand-frère, EDF, dont il espère toujours échapper à la pesante tutelle.

Trois scénarios sans nouveau nucléaire et trois scénarios avec nouveau nucléaire

RTE avance donc pas moins de six scénarios différents sur l’avenir du système électrique. A six mois de l’élection présidentielle, tous les candidats peuvent en trouver un qui leur convient. Trois d’entre eux tendent vers le 100% renouvelable, même si cela est aujourd’hui techniquement infaisable compte tenu de l’intermittence des mêmes renouvelables et de la difficulté du stockage de l’électricité. On peut toujours rêver et faire plaisir à la fois à Elisabeth Borne, ancienne ministre de la Transition écologique qui avait commandé le rapport, aux ONG et aux écologistes. Et donc trois autres scénarios qui comprennent des doses plus ou moins importantes de «nouveau» nucléaire pour remplacer «l’ancien».

En préambule, il faut savoir que la France est un des rares pays au monde (avec la Suède et l’Islande) où l’électricité n’est pas un problème en terme d’émissions de gaz à effet de serre. Plus de 90% de la production électrique du pays est déjà décarbonée, avant tout grâce au nucléaire et à l’hydroélectrique et un peu à l’éolien. Cela signifie qu’en matière de transition énergétique, la priorité ne devrait certainement pas être l’électricité, mais plutôt les transports, la chaleur, l’industrie. L’électricité ne représente finalement que 25% de la consommation d’énergie totale. Elle est pourtant la priorité du gouvernement et omniprésente dans le débat public sur l’énergie…

Différentes hypothèses de consommation

L’enjeu essentiel du rapport de RTE est donc de tracer un chemin pour adapter le système électrique au vieillissement du parc nucléaire et à l’augmentation de la consommation d’ici 2050 qui va aller de pair, compte tenu de la logique de la transition, avec l’électrification des usages. Les transports, notamment routiers, et la chaleur, le chauffage, auront bien plus recours à l’électricité pour se passer des énergies fossiles. Mais il ne s’agit pas de décarboner la production électrique, elle l’est déjà. Résultat, avec «Futurs électriques 2050» RTE s’est vu donner pour mission de répondre à une question qui est déjà en grande partie résolue… «La France doit simultanément faire face à deux défis: d’une part produire plus d’électricité en remplacement du pétrole et du gaz fossile et, d’autre part renouveler les moyens de production nucléaire qui vont progressivement atteindre leur limite d’exploitation d’ici 2060», a expliqué Xavier Piechaczyk, président de RTE.

Les scénarios de RTE tiennent d’abord compte de différentes hypothèses de consommation. Dans la première dite de référence, elle atteint en 2050 un niveau de 645 térawattheures (TWh), soit une hausse de 35% par rapport à aujourd’hui résultant de l’électrification des usages. RTE envisage aussi une trajectoire dite de «sobriété», qui plait beaucoup aux écologistes, car la consommation n’atteindrait que 554 TWh du fait de changements profonds de mode de vie. Enfin, il existe un scénario de forte consommation, lié à une hypothétique réindustrialisation du pays, avec une consommation de 754 TWh en 2050.

Sur les six scénarios qui imaginent le futur de la production électrique, trois se font donc sans nouveaux réacteurs nucléaires. Le premier scénario est 100% renouvelables en 2050. Il suppose une sortie totale et rapide du nucléaire avec un rythme de développement du photovoltaïque, de l’éolien et des énergies marines «poussés à leur maximum». En clair, cela signifie multiplier par 21 la quantité d’énergie solaire produite, par 4 l’éolien terrestre et par 30 l’éolien en mer.

RTE devient prudent

RTE est cependant devenu plus prudent sur le caractère réaliste d’un tel scénario. Le rapport souligne maintenant que les hypothèses à très hautes parts de renouvelables «impliquent des paris technologiques lourds pour être au rendez-vous de la neutralité carbone en 2050». En clair, nous ne savons pas aujourd’hui équilibrer un réseau électrique avec des productions intermittentes massives et nous n’avons pas de technologies de stockage de l’électricité à grande échelle.

Cela n’avait pas empêché au début de l’année, dans un rapport publié avec l’Agence internationale de l’énergie, RTE de conclure à la faisabilité technique de 100% de renouvelables, à condition toutefois de remplir une série de conditions techniques… absurdes. La ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, opposante au nucléaire de longue date, avait alors salué un «moment copernicien». Mais depuis, la situation a bien évolué. Emmanuel Macron est notamment sorti en partie de son silence et de son ambiguïté pour réaffirmer la nécessité du nucléaire pour atteindre les objectifs de réduction des émissions…

Les deux autres scénarios sans nouveaux EPR conservent une part de nucléaire provenant des réacteurs existants et parviennent à la neutralité carbone en 2060. L’un s’appuie avant tout sur le développement de grands parcs éoliens (32% de la production provenant de l’éolien terrestre), l’autre sur une répartition dite «diffuse» de la production électrique avec beaucoup de solaire (36% de la production). Ces scénarios sont les plus coûteux et n’apportent toujours pas de réponse aux variations de production même si le nucléaire restant assure une production dite de base stable. Mais que fait-on quand il n’y a pas de vent et pas de soleil? La crise énergétique actuelle en Europe est en partie liée au fait que depuis le début de l’année, les vents sont faibles…

Un ralliement au nucléaire…

Les trois autres scénarios s’appuient sur des hypothèses de programmes plus ou importants de construction de réacteurs nucléaires de nouvelle génération voire même de petits réacteurs modulables dits SMR, associés à chaque fois à  une progression des renouvelables. Deux d’entre eux imaginent une part minoritaire mais significative du nucléaire avec respectivement 8 et 14 nouveau EPR construits d’ici 2050. «Un scénario conservant une capacité de production nucléaire importante associée à un développement conséquent des renouvelables est de nature à limiter le risque de non-atteinte des objectifs climatiques», précise RTE.

Autre avantage de la construction de nouveaux réacteurs: c’est un choix «pertinent» du point de vue économique même si cet avantage est soumis à la capacité à accéder à des financements compétitifs, notamment européens. Un dernier scénario imagine enfin 14 EPR plus des petits réacteurs SMR et la prolongation d’une partie du parc existant au-delà de 60 ans, permettant d’avoir encore 50% de production nucléaire en 2050.

Le 100% renouvelable, irréaliste et beaucoup plus coûteux

En terme de niveau d’investissement, l’écart est de l’ordre de 10 milliards d’euros par an entre le scénario moyen avec de nouveaux réacteurs nucléaires (14 EPR) et celui, 100% renouvelables, s’appuyant sur le développement de grands parcs éoliens. Le fossé se creuse à 20 milliards par an si l’on compare cette même option nucléaire au scénario 100% renouvelables faisant le pari d’un développement «diffus» de la production électrique, avec notamment un fort recours au solaire.

Enfin, RTE fait une dernière prévision particulièrement risquée en affirmant que «le système électrique de la neutralité carbone peut être atteint à un coût maîtrisable». Avec l’option nouveau nucléaire, l’augmentation des coûts de l’électricité pourrait être seulement de l’ordre de 15% en 2050. Un petit côté conte de fées.

La rédaction