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Prix de l’électricité, le piège se referme sur EDF


Pour stabiliser les prix de l’électricité en France, le gouvernement devait arbitrer entre deux exigences contradictoires. Faire que l’électricité coûte le moins cher possible aux particuliers et aux entreprises, afin de soutenir le pouvoir d’achat et la compétitivité, et permettre à EDF de dégager des marges suffisantes pour financer les investissements considérables à venir. L’énergéticien public a choisi d’éviter avant tout un système de tarifs bloqués et les contrats pour différences dans l’espoir de pouvoir vendre à l’étranger son électricité à des prix élevés.  Mais son pari semble particulièrement incertain.

Face à l’explosion des prix de gros de l’électricité en Europe en 2022, la réforme de ce marché et de la façon dont il est lié notamment aux cours du gaz a été au cœur de controverses politiques dans de nombreux de pays dont la France. Avec le recul, ce débat a été passionné plus que technique. Il s’agissait de gagner la bataille de l’opinion et non de trouver une alternative pérenne aux failles des mécanismes existants. Et il est toujours facile d’accuser les institutions européennes d’être responsables des erreurs stratégiques et du manque flagrant d’anticipations des besoins commises dans le passé… par les différents gouvernements.

Contrats pour différence

Du côté français, le combat a consisté à réussir à obtenir un accord européen permettant d’établir un prix de long terme de la production électrique nucléaire nouvelle et existante pour les consommateurs et le producteur via des contrats pour différence (CFDs). Il s’agissait de mettre nucléaire et renouvelables à parité, puisque ce type de contrat a permis depuis 2016 de soutenir en Europe le développement des énergies renouvelables notamment éoliennes et solaires.

Son fonctionnement est relativement simple. Le producteur vend son électricité à un prix fixe négocié en amont. Si les prix du marché de l’énergie sont inférieurs à ce prix, le contribuable, à travers les charges de service public, apporte le complément de rémunération. Si le marché est supérieur à ce prix, l’Etat encaisse la différence.

Stabilité des prix et protection des risques de marché

C’est de cette façon que l’éolien, après avoir coûté des milliards d’euros en complément de rémunération durant des années, les prix des marchés étant alors très inférieur aux tarifs négociés dans les CFDs, a ensuite depuis 2022 remboursé l’intégralité des sommes touchées, sans pouvoir bénéficier de la hausse massive des cours sur les marchés.

L’avantage de ce type de contrat est d’assurer une stabilité des prix de vente mais aussi de protéger le producteur des risques de marché en lui assurant de vendre au-dessus de son coût de revient. Ainsi, le porteur de projet est assuré de sa rentabilité ce qui tend à rassurer les établissements financiers et donc permet d’obtenir des conditions de financement bien plus intéressantes. C’est l’un des secrets de l’avantage des renouvelables sur le nucléaire auprès des financeurs.

EDF échappe aux contrats pour différence mais prend de sérieux risques

Mais malgré l’intense activité française auprès de ses partenaires européens pour arracher un accord permettant de soumettre le nucléaire au même type de contrat, Matignon s’est retrouvé face à un opposant inattendu et déterminé : EDF ! Le gouvernement doit arbitrer entre deux exigences contradictoires. Il lui faut protéger le consommateur français, particuliers comme entreprises, et donc faire en sorte que les marges du producteur soient limitées. Avec le risque, dans le cas d’EDF dans une situation financière déjà particulièrement dégradée qui a contraint à se renationalisation totale, de ne pas lui donner les capacités d’autofinancement nécessaires pour assurer les immenses projets en cours ou annoncés (EPR2, réacteurs de 4ème génération, mise à niveau du parc nucléaire existant, investissements dans l’hydroélectrique…). Mais si le gouvernement décide de faire des capacités d’EDF sa priorité, il doit faire payer le consommateur avec ce que cela implique sur le plan politique et social.

Finalement, l’accord entre le ministère de l’Energie et EDF a ouvert une 3ème voie dite de compromis. EDF ne sera pas soumis à des contrats pour différence mais ses bénéfices seront taxés massivement au-delà d’un certain prix de vente de l’électricité. Et les recettes issues de cette taxe seront redistribuées, au moins en partie, pour soutenir les consommateurs. Avec cet accord, EDF accepte d’être confronté aux risques de marché en ayant l’espoir de pouvoir vendre plus cher, beaucoup plus cher, son électricité à l’étranger.

L’énergéticien fait ainsi le pari que les prix de gros de l’électricité en Europe resteront durablement élevés, bien au-delà de ceux des années 2010. Cela lui permettrait de réaliser de confortables bénéfices et d’autofinancer une bonne partie des investissements prévus.

EDF fragilisé

Mais EDF prend de sérieux risques. La demande d’électricité en Europe semble durablement dégradée pour de multiples raisons : panne de l’industrie allemande, gains importants d’efficacités énergétiques, réflexes de sobriété intériorisés par les populations et les entreprises… Il faut ajouter à cela un retour progressif à la normale de la production nucléaire française, une hausse rapide de la production renouvelable dans la plupart des pays qui se traduisent par une baisse assez spectaculaire des prix de gros de l’électricité. Les contrats à terme pour 2025 se négocient aujourd’hui autour de 80€/MWh, au plus bas depuis 2021. Et il est vraisemblable qu’ils continuent à baisser.

Pour EDF, qui souhaitait innover avec des contrats à très long terme dont l’entreprise publique espérait obtenir 90€/MWh, c’est une très mauvaise nouvelle. En ayant refusé la solution des contrats pour différence, l’énergéticien s’est en quelque sorte piégé lui-même. De quoi relancer le débat autour de la productivité de l’entreprise, de ses choix stratégiques et de son modèle de financement.

Philippe Thomazo

La rédaction