Transitions & Energies

Le prix de long terme de l’électricité nucléaire en France sera de l’ordre de 70 euros le MWh


Le gouvernement se félicite d’avoir conclu, après des semaines de difficiles négociations, un accord avec EDF fixant pour 15 ans à partir de 2026 le prix de l’électricité nucléaire à 70 euros le MWh. Il protège les consommateurs des envolées sur le marché européen de l’électricité et assure à EDF une visibilité sur ses revenus et donc ses capacités d’investissement. Mais attention, les consommateurs ne paieront pas ce prix-là. EDF est incité à tendre vers cet objectif… et les productions renouvelables (éolienne et solaire) coûtent bien plus cher. L’accord marque en fait surtout la fin du système absurde de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) concocté par l’administration française. Il a créé une concurrence totalement artificielle sur la distribution de l’électricité en France dont le consommateur n’a jamais vraiment bénéficié et au seul détriment d’EDF.

Après une vraie partie de bras de fer, le gouvernement et EDF sont parvenus à un accord sur un tarif de long terme de l’électricité rendu enfin possible par la réforme du marché européen actée il y a à peine un mois. Il doit permettre de répondre à deux exigences contradictoires. Faire que l’électricité coûte le moins cher possible aux particuliers et aux entreprises et permettre à EDF de dégager des marges suffisantes pour entretenir son parc nucléaire existant, reconstruire et renforcer ses moyens humains et pouvoir investir dans la construction programmée des nouveaux réacteurs. 

En apparence, tout est bien qui finit bien. Le gouvernement a promis la « stabilité » des factures d’électricité aux consommateurs après avoir annoncé mardi 14 novembre l’accord avec EDF. « Ces négociations ont été longues, parfois difficiles, mais elles ont abouti », s’est félicité le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire.

La fin de l’Arenh

L’accord fixe un niveau de prix moyen autour de 70 euros le MWh (mégawatt heure) pour l’ensemble de la production d’électricité nucléaire, à partir de 2026 et pour 15 ans. Cela mettra un terme définitif à la fin de l’année 2025 au système absurde de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) qui a créé une concurrence totalement artificielle sur la distribution de l’électricité en France dont le consommateur n’a jamais vraiment bénéficié et au seul détriment d’EDF. Depuis 2011, EDF était contraint de vendre une partie de son électricité nucléaire (100 TWh/an environ un tiers de la production) au prix cassé de 42 euros le MWh à ses concurrents fournisseurs alternatifs, qui devaient, en théorie, le répercuter sur les factures des consommateurs Pour les industriels qui achètent leur électricité avec deux ans d’avance, il y avait aussi urgence à trouver un nouveau cadre pérenne. C’est fait.

Les avantages des contrats pour différence

Ce qu’il y a d’intéressant avec le mécanisme retenu, celui des contrats pour différence (Contract for difference en anglais), accepté de haute lutte par le Conseil européen, est qu’il offre des garanties à la fois aux consommateurs et aux producteurs et permet d’échapper aux fluctuations parfois délirantes des prix de gros de l’électricité en Europe, comme on a pu le constater l’an dernier. Et cela s’inscrit dans la continuité de l’accord sur la réforme du marché européen de l’électricité, « qui vise à déconnecter le prix de l’électricité du prix des énergies fossiles, notamment celui du gaz », a souligné Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, .

Les contrats pour différence impliquent la fixation d’un prix de référence pas trop éloigné du coût de production et comprenant une marge permettant de financer les investissements. Il permet, si le prix du marché européen de l’électricité est plus élevé que le prix de référence d’EDF, à l’État de prélever le surcroît de recettes pour le redistribuer aux consommateurs (les particuliers et les entreprises). Les Français bénéficieront ainsi de prix stables, plus prévisibles, quelles que soient les fluctuations du marché européen. Et si les prix du marché européen sont inférieurs au prix de référence d’EDF, l’État est autorisé alors à compenser la perte subie par l’énergéticien public par une subvention. Si bien qu’EDF voit son niveau de chiffres d’affaires et ses capacités d’investissement assurés à l’abri des fluctuations du marché.

EDF incité à tendre vers les 70 euros le MWh

Concrètement, « le mécanisme de plafonnement des prix pour protéger les consommateurs » sera activé « dès lors que les prix d’EDF seront significativement supérieurs au prix d’équilibre moyen de 70 euros le MWh », a expliqué Agnès Pannier-Runacher. Dès que le prix moyen dépassera les 78 à 80 euros le MWh, 50% des revenus supplémentaires engrangés par EDF au-delà de ce seuil iront « à la collectivité » et donc en théorie aux consommateurs. Et si le prix moyen dépasse 110 euros, la captation des revenus excédentaires d’EDF sera de 90%.

Mais cela ne signifie pas du tout que les consommateurs paieront effectivement 70 euros… EDF sera incité à tendre vers cet objectif via sa politique commerciale, avec notamment « des efforts» demandés à l’égard des clients industriels gros consommateurs d’énergie. En fait, l’électricité produite par EDF sera plus chère que les 70 euros des centrales nucléaires. Les productions renouvelables notamment, éoliennes et solaires, sont bien plus coûteuses…

Voilà pourquoi les réactions des consommateurs sont loin d’être enthousiastes. Regrettant un manque de transparence sur  la définition du prix de référence, l’association UFC-Que choisir critique « un accord de marchands de tapis négocié dans l’ombre ». Plus virulente, l’association de défense des consommateurs CLCV estime que le prix de 70 € le MWh est « exorbitant ». « Le gouvernement et EDF vont au-delà de l’évaluation de la commission de régulation de l’énergie (CRE) [60,7 euros le MWh] qui nous paraissait déjà excessive. Ni l’État ni la CRE ne sont choqués par le fait qu’aux États-Unis et en Finlande, le prix du nucléaire est de l’ordre de 30 € le MWh ». CLCV estime que cela augmentera encore la facture des ménages de plus de 10%. Il faut ajouter qu’EDF contestait les évaluations de la CRE et estime le coût de l’électricité nucléaire d’ici 2030 à 74,8 euros le MWh.

Du côté des industriels, le Comité de liaison des entreprises consommatrices d’électricité (Cleee), dénonce un « mécanisme d’une redoutable complexité », assurant que le dispositif ne protègera en réalité le consommateur que « de manière très partielle ». « Beaucoup reste à préciser » a ajouté l’Uniden, syndicat des plus grosses entreprises consommatrices d’électricité.

Bruno Lemaire a rejeté ses critiques. « Le bouclier tarifaire était une protection provisoire. L’accord obtenu avec EDF est une protection permanente. Cette stabilité garantit enfin le financement de nos investissements futurs, en particulier des nouveaux réacteurs nucléaires, qui apporteront eux aussi de la stabilité », a-t-il déclaré. « Cet accord donne aussi de la visibilité aux entreprises en portant sur l’intégralité de la production nucléaire d’EDF, ce qui n’était pas le cas dans la régulation précédente. Tous ceux qui font des comparaisons avec les 42 euros le MWh de la régulation précédente oublient que ce chiffre ne correspondait qu’à un tiers de la production nucléaire d’EDF ».

Le ministre a ajouté que le système du tarif réglementé de vente (TRV) pour les particuliers et les petites entreprises sera maintenu et même étendu. Toutes les entreprises de moins de dix personnes et de moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires auront ainsi droit à un tarif régulé, quel que soit leur niveau de consommation (et non plus jusqu’à 36 kva).

L’impact économique du prix de l’électricité est considérable. Il conditionne, au moins en partie, la capacité de réindustrialisation du pays et la compétitivité de l’industrie française… sur le déclin depuis 25 ans. Ce n’est pas pour rien si l’Allemagne a dévoilé la semaine dernière un plan d’aide de près de 30 milliards d’euros jusqu’en 2028 pour réduire les prix de l’électricité consommée par son industrie, à coup de baisses d’impôts massives et de subventions.

Bruno Lemaire a repris le dossier à Elisabeth Borne

« Nous voulons rester une des nations les plus compétitive en Europe pour les prix de l’électricité, nous le resterons », a encore affirmé Bruno Le Maire. Et il a également déclaré, ce qui n’est pas sans contradictions, que si « EDF est une entreprise nationalisée », elle doit aussi « être rentable, nous ne sommes pas en Union soviétique ». Le ministre de l’Economie se refuse à voir l’énergéticien public continuer à vendre son électricité à « prix cassé ». Mais il a fait du chemin avant d’en arriver là.

Car comme depuis plus de deux décennies, la tentation du gouvernement a été de sacrifier l’avenir d’EDF à des considérations politiques et sociales immédiates. Au point que le nouveau Pdg, Luc Rémont en poste depuis moins d’un ans, a même menacé un temps de mettre sa démission en jeu selon des propos de dirigeants de l’entreprise rapportés par l’agence Reuters. Le dialogue était notamment devenu impossible entre Luc Rémont et la Première ministre Elisabeth Borne et Bruno Lemaire a dû prendre directement les choses en main.

Il faut dire qu’Elisabeth Borne, ancienne ministre de la Transition écologique, opposante historique au nucléaire, à la manœuvre quand il a été décidé par Emmanuel Macron de fermer les deux réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim, a toujours été considérée comme un adversaire de l’entreprise publique. Au point de lui faire prendre à sa charge l’an dernier une bonne partie du bouclier tarifaire sur l’électricité des ménages français ce qui a coûté à EDF plus de 8 milliards d’euros et explique notamment sa perte historique de 17,9 milliards d’euros lors de l’exercice 2022.

Et EDF qui a été à nouveau totalement nationalisé fait face à des défis presque sans précédents dans son histoire. L’énergéticien public va devoir investir 25 milliards d’euros par an pour financer la prolongation de vie des 56 réacteurs nucléaires existants et la construction des six, voire quatorze, futurs EPR. Et il devra aussi recruter 10.000 techniciens et ingénieurs par an pendant de nombreuses années… 

 

 

La rédaction