Transitions & Energies
Centrale nucléaire

EDF engagé dans un nouveau bras de fer avec le gouvernement


C’est une histoire sans fin. Celle de la façon dont depuis près de deux décennies les gouvernements successifs sacrifient les moyens financiers et humains d’EDF à des gains politiques immédiats. Après avoir contraint l’an dernier EDF, dans une situation financière pourtant très dégradée, à prendre à sa charge une bonne partie du coût du bouclier tarifaire sur l’énergie pour les particuliers, cette fois le gouvernement fait pression sur l’énergéticien public pour abaisser le plus possible le prix de long terme de l’électricité. Si cela vise à satisfaire les consommateurs, c’est au détriment des capacités financières et des moyens humains et techniques d’EDF indispensables pour entretenir, prolongera la durée de vie et développer son parc nucléaire. L’entreprise publique va devoir pendant plusieurs années investir 25 milliards d’euros par an et recruter 10.000 techniciens et ingénieurs par an. Avec quels moyens?

Pour son malheur, EDF est devenu depuis deux décennies la variable d’ajustement de la politique énergétique et parfois même sociale des gouvernements successifs. L’énergéticien public, qui devrait être l’atout majeur du pays pour réussir la transition, a été ainsi sans cesse affaibli financièrement, technologiquement et humainement et ballotté au gré d’injonctions contradictoires. Et de fait rien n’a changé.

Ainsi, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne, après avoir été des adversaires résolus du nucléaire et d’EDF, ont il y a deux ans totalement changé d’avis et ont dû au passage renationaliser totalement l’entreprise publique dans une situation financière des plus précaires avec un endettement de 60 milliards d’euros. Cela ne les a pas empêché de lui faire prendre à sa charge l’an dernier une bonne partie du bouclier tarifaire sur l’électricité des ménages français ce qui a coûté à EDF plus de 8 milliards d’euros et explique notamment sa perte historique de 17,9 milliards d’euros lors de l’exercice 2022.

Le nouveau Pdg, Luc Rémont, menace de démissionner

Aujourd’hui, un nouveau bras de fer est engagé depuis plusieurs semaines sur les tarifs de long terme de l’électricité rendus enfin possibles par la réforme du marché européen. Il y a deux exigences contradictoires. Faire que l’électricité coûte le moins cher possible aux particuliers et aux entreprises et permettre à EDF de dégager des marges suffisantes pour entretenir le parc nucléaire existant et prolonger sa vie, reconstruire et renforcer ses moyens humains et ses compétences et pouvoir investir dans la construction programmée des nouveaux réacteurs. Mais pour changer, le gouvernement est près à sacrifier l’avenir à des considérations politiques immédiates. Au point que le nouveau Pdg, Luc Rémont en poste depuis moins d’un ans, aurait même menacé de mettre sa démission en jeu selon des propos de dirigeants de l’entreprise rapportés par l’agence Reuters.

Un dialogue devenu impossible avec Elisabeth Borne

Il y a déjà un mois des sources internes à l’entreprise publique soulignaient que le dialogue était devenu presque impossible avec le cabinet de la Première ministre, Elisabeth Borne. Ancienne ministre de la Transition écologique, opposante historique au nucléaire, et à la manœuvre quand il a été décidé par Emmanuel Macron de fermer les deux réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim, Elisabeth Borne a toujours été considérée comme un adversaire de l’entreprise publique.

Le Pdg d’EDF a donc le plus grand mal à plaider en faveur de contrats à long terme donnant un modèle économique solide et pérenne à EDF après 2025 et la disparition, enfin, du système délirant de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) qui a créé une concurrence totalement artificielle sur la distribution de l’électricité au seul détriment d’EDF. Mais le gouvernement a d’autres considérations et insiste sur la nécessité de protéger les ménages et les entreprises contre les risques d’envolée des prix de l’électricité en les faisant bénéficier des coûts compétitifs du parc nucléaire français.

Des injonctions contradictoires

« S’il estime que l’Etat limite trop les moyens d’EDF, il est tout à fait possible qu’il démissionne. Tout va dépendre des volumes et du prix », a déclaré une source interne à l’entreprise à Reuters. Selon une un autre cadre d’EDF, la relation « n’a jamais été aussi tendue » entre le gouvernement et le groupe public, dont l’Etat est redevenu l’unique actionnaire début juin après une renationalisation totale rendue indispensable par son endettement colossal.

Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a tenté de minimiser les tensions tout en reconnaissant que les négociations en cours sur les futurs prix de l’électricité prenaient du temps car elles devaient permettre d’atteindre des objectifs « complexes ». Le terme exact serait contradictoires…  « Il n’y a pas de bras de fer entre l’État et EDF tout simplement parce que EDF est une entreprise publique et que nous travaillons en bonne intelligence avec des équipes d’EDF et que c’est à ces conditions-là que nous aurons un bon accord », a-t-il dit.

En fait, les positions semblent presque irréconciliables. Dans un rapport très récent la Commission de régulation de l’énergie (CRE) estime que le coût du nucléaire s’élève à 60 euros du mégawattheure, deux fois inférieur au prix actuel du marché. Ce prix conviendrait très bien au gouvernement mais pas du tout à l’entreprise publique d’autant plus qu’il ne prend pas en compte les investissements à réaliser. EDF va devoir investir 25 milliards d’euros par an pour financer la prolongation de vie des 56 réacteurs nucléaires existants et la construction des six futurs EPR. Et elle devra aussi recruter 10.000 techniciens et ingénieurs par an pendant de nombreuses années… Avec quels moyens?

La rédaction