Transitions & Energies

France-Allemagne: cessez-le-feu sur le nucléaire et le prix de l’électricité


Un petit miracle a-t-il eu lieu le 17 octobre? La France et l’Allemagne ont réussi à trouver enfin lors d’un Conseil « énergie » un compromis sur la réforme du marché européen de l’électricité. Elle devrait permettre aux entreprises et aux particuliers français de ne pas payer les multiples erreurs allemandes en matière de transition énergétique qui ont fait s’envoler les prix de l’électricité sans pour autant avoir un impact important sur les émissions de gaz à serre. L’Allemagne a aussi obtenu des garanties sur le fait qu’il n’y aura pas de distorsions de concurrence. Mais il ne faut pas crier victoire trop vite. La réforme doit encore être approuvée par le Parlement et les technocrates de la Commission doivent certainement ruminer leur défaite.

Le 17 octobre 2023 à Luxembourg, lors d’un Conseil européen « énergie », Paris et Berlin ont officiellement enterré la hache de guerre et trouvé un compromis sur le prix de l’électricité. Il se veut rassurant pour l’Allemagne sur sa compétitivité et ne devrait plus nuire aux intérêts français. La France ne paiera pas les erreurs allemandes et Berlin ne verra pas sa compétitivité industrielle trop malmenée par des coûts énergétiques (électricité, gaz et charbon) nettement plus élevés, et pour longtemps, que ceux de la France.

C’est cette crainte et le vieux fond idéologique anti-nucléaire allemand qui remonte aux années 1970 qui explique pourquoi l’Allemagne veut depuis des années et par tous les moyens imposer à l’Europe, avec l’aide souvent active des institutions européennes, sa stratégie de transition énergétique, la fameuse Energiewende. Et cela même si c’est un échec cuisant qui a considérablement augmenté les prix de l’électricité outre-Rhin, a rendu l’Allemagne dépendante du gaz russe et du fait de l’intermittence des renouvelables éolien et solaire dans lesquels ont été investis des centaines de milliards d’euros n’a pas apporté les résultats escomptés en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En outre, l’Energiewende est de plus en plus impopulaire ce qui n’est pas pour rien dans les succès électoraux du parti d’extrême-droite AfD.

L’échec coûteux et cuisant de l’Energiewende

L’Energiewende étant un échec coûteux la stratégie allemande a consisté à tenter, avec la complicité des institutions européennes, de l’imposer à tous pour que sa compétitivité ne soit pas pénalisée. Berlin n’a donc eu de cesse de s’en prendre au modèle énergétique français qui du fait de son parc nucléaire lui permet d’avoir une électricité relativement abondante et surtout moins coûteuse tout en étant décarbonée.

Résultat, de façon délibérée et avec l’assentiment ou l’indifférence invraisemblables de plusieurs gouvernements français, les atouts français et plus particulièrement EDF n’ont cessé d’être affaiblis. Le sursaut est très récent avec le retournement soudain d’Emmanuel Macron sur le nucléaire il y a un an et demi et l’arrivée d’Agnès Pannier-Runacher au ministère de la Transition énergétique. La France a réussi depuis à constituer autour d’elle une coalition d’une dizaine de pays européens convaincus que le nucléaire est un moyen d’avoir une électricité abondante, décarbonée, à des coûts maîtrisés et surtout non intermittente.

Une guerre de tranchée à Bruxelles contre le nucléaire français

Pour autant, la guerre à Bruxelles a perduré et Berlin a tenté ainsi avec l’aide active des technocrates de la Commission d’empêcher le nucléaire d’obtenir des financements favorables ou de pouvoir produire avec de l’électricité nucléaire de l’hydrogène vert décarboné qualifié comme tel.

Au point d’ailleurs que même en Allemagne des voix se sont fait entendre au cours des derniers mois pour réclamer un comportement plus responsable. En août dernier, Leonhard Birnbaum, le patron du tout puissant groupe énergétique allemand E.ON, avait expliqué que Berlin avait peut-être mieux à faire que de s’en prendre au système énergétique français. «L’Allemagne ferait bien d’être prudente quand elle essaye d’imposer sa voie à tout le monde», avait-il déclaré. Il avait même ajouté que l’énergie nucléaire française allait faciliter le passage vers un mix électrique renouvelable en Allemagne. Depuis la fermeture des dernières centrales nucléaires, le pays est importateur net d’électricité quand la France est redevenue le premier exportateur européen avec la remise en service d’une bonne partie de ses réacteurs mis à l’arrêt l’an dernier.

Agnès Pannier-Runacher, la ministre française de la Transition écologique, n’avait alors pu s’empêcher de moquer les incohérences allemandes dans le Handelsblatt, un quotidien allemand, et dénoncer «la contradiction qui consiste à importer massivement de l’énergie nucléaire française tout en rejetant toute législation européenne qui reconnaît la valeur du nucléaire en tant que source d’énergie à faible émission de carbone».

Des prix de l’électricité exorbitants en Allemagne

En fait, le problème allemand est profond. Son modèle économique et énergétique, qui a permis à Berlin de régner sur l’Europe et d’imposer ses vues à la France, est en lambeaux. Fini le gaz russe abondant et relativement peu cher et fini la domination écrasante d’une industrie construite sur des exportations massives. Sa compétitivité est aujourd’hui gravement menacée.

Pour donner un ordre d’idée, pour la période 2026-2030 le coût de production d’EDF sera de l’ordre de 60 euros le MWh selon les calculs de la CRE (Commission de régulation de l’énergie). Le coût de l’électricité allemande, éolienne, solaire et au charbon et au gaz quand il n’y a pas de soleil et de vent sera deux fois plus important…

Il n’y a aucune raison que compte tenu du mécanisme actuel de fixation des prix de gros de l’électricité en Europe, les entreprises et les particuliers français payent le prix des erreurs allemandes. Le gouvernement français a donc obtenu que quand cla réforme du marché de l’électricité européen entrera en vigueur, les 56 centrales nucléaires d’EDF pourront être placées sous le régime dits des CFD (contrats pour différence). Ces contrats de long terme impliquent la fixation d’un prix de référence pas trop éloigné du coût de production et comprenant une marge permettant de financer les investissements.

Les avantages des CFD ou contrats pour différence

Le mécanisme des CFD est une garantie. Il permet, si le prix du marché européen de l’électricité est plus élevé que le prix de référence d’EDF, à l’État de prélever le surcroît de recettes pour le redistribuer aux consommateurs (les particuliers et les entreprises). Les Français bénéficieront ainsi de prix stables, plus prévisibles, quelles que soient les fluctuations du marché européen. Et si les prix du marché européen sont inférieurs au prix de référence d’EDF, l’État est autorisé alors à compenser la perte subie par l’énergéticien public par une subvention. Si bien qu’EDF voit son niveau de chiffres d’affaires et ses capacités d’investissement assurés à l’abri des fluctuations du marché européen.

Le point le plus important de l’accord est que la France sera libre de placer tout ou partie de son parc de 56 réacteurs nucléaires sous le régime des CFD. La réforme ne comprend pas de limitation de volume. Les Allemands ne voulaient pas que le régime des CFD soit applicable au parc nucléaire existant. C’était pour eux une façon de retirer à la France son avantage compétitif. La France n’a pas cédé en dépit d’une tentative de dernière minute de la présidence espagnole de retirer cette disposition du texte.

Agnès Pannier-Runacher a pu ainsi se féliciter à juste titre. «Je salue cet accord qui, en un mot, protège les consommateurs, pose les jalons d’un investissement massif dans les renouvelables et assure la préservation de l’atout que constitue le nucléaire français», a-t-elle déclarée. «Il y a un an pourtant, tout le monde à Bruxelles jugeait un tel accord impossible. Le travail mené par la France avec l’alliance européenne du nucléaire que j’ai créée, mais également avec la Commission européenne, l’Allemagne et les présidences successives, a payé. Je crois que nous avons aujourd’hui un compromis solide qui préserve les intérêts de chacun tout en prenant en compte l’intérêt européen.»

Le Parlement doit encore entériner la réforme

L’Allemagne a obtenu en échange, que le prix de référence –qui sera fixé par la CRE– puisse être vérifié par la Commission européenne, laquelle veillera à éviter d’éventuelles distorsions de concurrence. C’est l’objet d’une véritable paranoïa outre-Rhin alimentée notamment par Jörg Kukies, le tout-puissant conseiller pour les affaires européennes et économiques du chancelier Olaf Scholz. Il y a quelques semaines, il avait affirmé qu’EDF aurait démarché des entreprises allemandes les incitant à s’installer en France en leur proposant des contrats d’approvisionnement électrique de long terme à prix cassé. Un fantasme!

Cela dit, la partie est loin d’être encore totalement terminée. La réforme du marché européen de l’électricité n’est pas encore arrivée à son terme et le Parlement doit l’entériner. Et puis les technocrates de la Commission doivent ruminer leur défaite…

La rédaction