Transitions & Energies

La grande peur irrationnelle du nucléaire n’a pas disparu par enchantement


L’énergie nucléaire est indispensable à la transition énergétique et la décarbonation, mais son développement est indissociable de l’existence d’une relation de confiance entre l’opinion et les autorités de sûreté et de contrôle. L’hystérie autour du rejet dans l’océan de l’eau contaminée de la centrale de Fukushima, qui a commencé jeudi 24 août, en montre la nécessité. Elle n’a aucun fondement scientifique. Le projet a été notamment validé par l’Agence internationale de l’énergie atomique qui après une enquête de deux ans a conclu que les conséquences pour les populations de la région seront « indétectables ». Les risques sont nuls. Mais les craintes irrationnelles sont bien réelles tout comme leur exploitation politique. Le seul remède contre la désinformation et la manipulation des peurs est la crédibilité des autorités de sûreté indépendantes nationales comme internationales.

Le retour en grâce inattendu un peu partout dans le monde de l’énergie nucléaire n’a pas effacé subitement la grande crainte, souvent irrationnelle, que provoque cette source d’énergie. Elle possède des atouts considérables qui vont notamment de l’absence d’émission de gaz à effet de serre à la faible utilisation relative de ressources pour produire avec régularité et fiabilité de grandes quantités d’électricité pendant plus d’un demi-siècle. Mais elle reste marquée par son association avec les armes atomiques, par le fait que l’opposition au nucléaire est le fondement idéologique des mouvements écologistes et par les accidents, Three Mile Island en 1979, Fukushima en 2011, et la catastrophe Tchernobyl en 1986 qui ont jalonné son histoire.

Les promoteurs de cette énergie indispensable à la transition et la décarbonation ne doivent pas se faire d’illusion sur la crainte réelle que suscite l’atome et sur l’exploitation politique outrancière de celle-ci. L’épisode incroyable qui vient de se dérouler sous nos yeux autour du rejet progressif dans la mer au Japon, qui a commencé jeudi 24 août, de l’eau contaminée de la centrale Daiichi de Fukushima, ravagée par un tsunami historique, en est une saisissante illustration.

« Indétectable et négligeable »

Le projet a été validé début juillet par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Après deux années d’enquête validée par des experts internationaux désignés notamment par les gouvernements chinois, des îles Marshall, de Russie, de Corée du du sud et du Vietnam…, l’AIEA a conclu que l’exposition à d’éventuelles radiations par les populations de la région serait « indétectable et négligeable ».

Le Japon prévoit de rejeter cette eau avec une importante dilution de sorte de son niveau de radioactivité ne dépasse pas 1.500 becquerels (Bq) par litre. Ce niveau est 40 fois inférieur à la norme nationale japonaise alignée sur la norme internationale (60.000 Bq/litre), et il est par ailleurs environ sept fois inférieur au plafond établi par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’eau potable (10.000 Bq/litre). Par ailleurs, l’AIEA a tenu faire savoir le 23 août que la concentration radioactive de l’eau prévue pour le premier déversement est même largement inférieure à la limite prévue. « L’analyse menée de manière indépendante sur place a confirmé » que la concentration en substance radioactive se situait « bien en dessous de la limite opérationnelle de 1.500 becquerels (Bq) par litre ».

Et pourtant, à croire certaines réactions en Asie, notamment en Chine, on pourrait imaginer que le Japon a décidé d’empoisonner toutes les ressources en eau de la région! Hong Kong a ainsi décidé d’interdire les importations de fruits de mer en provenance de dix régions japonaises, et le ministre de l’environnement de la ville a accusé le Japon de « déverser des déchets sur le pas de la porte de ses voisins ». La Chine a convoqué l’ambassadeur du Japon pour lui signifier des « objections solennelles » contre le plan, tandis que le tabloïd d’État Global Times a évoqué la perspective d’un « Godzilla de la vie réelle ».

Jusqu’en 2050 par petites quantités

Dans les faits, Tokyo va rejeter très progressivement dans l’océan Pacifique 1,34 million de tonnes d’eau provenant d’eau de pluie, de nappes souterraines et des injections nécessaires pour refroidir les cœurs des réacteurs entrés en fusion de la centrale de Fukushima Daiichi après le tsunami de mars 2011 qui a dévasté la côte nord-est du Japon. Ces eaux ont été traitées au préalable pour les débarrasser de leurs substances radioactives, à l’exception toutefois du tritium, qui n’a pas pu être capté avec les technologies existantes. Depuis des décennies, du tritium est régulièrement rejeté dans l’eau par des centrales nucléaires en activité dans le monde entier, ainsi que par des usines de retraitement de déchets nucléaires, comme celle de La Hague en France, sans avoir eu un quelconque impact mesurable sur l’environnement ou la santé.

Les 1,34 million de tonnes d’eau dont Tepco, l’opérateur de la centrale de Fukushima Daiichi en cours de démantèlement, doit se débarrasser semblent considérables, mais l’océan Pacifique en contient environ 500 milliards de fois plus. Comme l’expliquait de façon imagée dans un article publié par l’Agence Bloomberg, l’expert David Flicking : « boire un verre d’eau nettoyée provenant directement du tuyau d’évacuation de Fukushima vous exposerait à environ autant de radiations que si vous mangiez une douzaine de bananes. L’effet de la dilution dans les eaux du Pacifique est en outre infiniment plus faible. »

Sous la supervision de l’AIEA, le processus doit durer jusqu’au début des années 2050, à raison de 500.000 litres au maximum évacués par jour. Cette centrale de génère plus de 100.000 litres d’eau contaminée par jour en moyenne. L’eau est récupérée, filtrée et stockée sur le site, mais les capacités disponibles sont bientôt saturées : les 1,34 million de tonnes ont été accumulées dans plus d’un millier de citernes géantes (voir la photographie ci-dessus). Le Japon a opté en 2021 pour la solution du rejet en mer à 1 kilomètre de la côte, via un conduit sous-marin construit à cet effet.

Protocoles de sécurité et autorités indépendantes

Pour autant, il y a avec cette affaire une leçon importante à retenir pour permettre un nouveau développement de l’énergie nucléaire. Il faut s’appuyer sur les protocoles de sécurité étendus que l’industrie de l’énergie atomique a, notamment dans les pays occidentaux, mis en place au cours des 60 dernières années. Ils ne sont pas seulement cosmétiques. La plupart de ces règles de sécurité ont été élaborées par des agences indépendantes non pas en réponse à l’activisme des anti-nucléaires, mais à la suite d’accidents qui ont érodé la confiance des populations.

Elles sont fondamentales pour obtenir l’acceptation sociale dont l’énergie nucléaire a besoin pour exister et pour contrer les peurs dont jouent les adversaires de l’atome y compris, par exemple, au sein des institutions européennes. En France, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a été souvent critiquée pour user et abuser de sa capacité à jouer de l’opinion publique et des médias contre l’opérateur (EDF) ou pour son incapacité à hiérarchiser les problèmes et les risques. Mais elle a réussi à construire une réelle crédibilité dont l’importance et la valeur ne doivent pas être sous estimées.

Enfin, cela signifie aussi qu’imaginer un avenir dans lequel serait installé un mini-réacteur nucléaire (SMR) dans chaque petite ville relève du fantasme. Les grands réacteurs à l’ancienne d’une puissance supérieure au gigawatt coûtent plus cher, mettent plus de temps à être fabriqués mais offrent des garanties incomparables en termes de sûreté, de contrôle et de maintenance.

La rédaction