Transitions & Energies

Le rebond inattendu de la filière nucléaire française


L’industrie nucléaire française a traversé depuis plusieurs années des moments difficiles. Les chantiers des EPR finlandais (Olkiluoto) et français (Flamanville) ont été marqués par une succession d’erreurs, de malfaçons, de retards, de surcoûts. Au point que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a fini par s’interroger publiquement sur la perte de compétence et de savoir-faire de la filière. La découverte de problèmes de maintenance et de corrosion sous contrainte sur des canalisations importantes de réacteurs anciens a semblé être un coup de grâce. D’autant plus qu’elle contraignait EDF à procéder à des réparations d’urgence au plus mauvais moment, en pleine crise énergétique provoquée par l’invasion de l’Ukraine. Il y a un an l’industrie nucléaire française était au plus bas. Son rebond aujourd’hui, lié notamment à des réparations menées avec une rapidité inattendue, n’en est que plus spectaculaire. EDF qui nous avait habitué à des retards a aujourd’hui des semaines d’avance sur la remise en service de ses réacteurs.

Le mois d’août 2022 avait été le point culminant de la défaillance du parc nucléaire français. Au cœur d’un été caniculaire, le pays se trouvait contraint d’importer massivement de l’électricité, mais aussi de faire tourner ses centrales à gaz et hydroélectriques, tandis que les stocks d’eau étaient à leur plus bas.

Rien ne permettait de penser alors qu’un un an plus tard la situation serait rétablie. Notamment du fait de l’incapacité de l’exploitant, EDF, à s’entendre avec les autorités de sûreté sur une stratégie de réparation étalée dans le temps des problèmes de corrosion sous contrainte d’un certain nombre de circuits de refroidissement de ses réacteurs. Résultat, EDF se trouvait contraint dans l’urgence de remplacer certains circuits affectés en totalité plutôt que d’effectuer de simples réparations. Compte tenu de la lourdeur des interventions et des problèmes de disponibilité des équipes de maintenance qui dans le même temps devaient continuer à entretenir le reste du parc, il était assez facile d’imaginer que la production nucléaire serait lourdement handicapée durant de nombreux mois.

La grande prudence de RTE

En fait, les problèmes ont été surmontés bien plus rapidement et efficacement que prévu… Cela pris tout d’abord la forme d’un retour de la France sur les six premiers mois de l’année à la position qui est la sienne depuis des décennies, celle de principal exportateur d’électricité en Europe. L’étude attentive des chiffres ne démontrait pourtant qu’un rebond très limité de notre parc nucléaire, à peine +4 TWh. Le principal effort étant porté par les entreprises et ménages dont la baisse de la consommation se vérifie de mois en mois, mais aussi par l’augmentation de la production d’électricité renouvelable (éolienne et solaire).

Cette maigre amélioration incitait à la plus grande prudence, au point d’ailleurs que RTE (le Réseau de transport d’électricité) anticipait lors de ses prévisions pour l’hiver prochain une capacités de production encore fortement dégradée et une disponibilité du parc atteignant 47GW en janvier 2024 soit presque 10 GW de moins qu’un fonctionnement nominal.

« Effet d’apprentissage »

Mais si la stratégie agressive de remplacement tous azimuts des canalisations fragilisées a pénalisé la production lors du premier semestre, les résultats ont été spectaculaires et presque inattendus. Ce qu’on appelle « l’effet d’apprentissage », c’est-à-dire l’expérience engrangée en répétant la même opération plusieurs fois de manière très rapprochée sur plusieurs réacteurs, a permis d’affiner les procédures et d’économiser un temps précieux.

Résultat, EDF qui nous avait jusque-là habitué à des retards permanents par rapport aux plannings annoncés s’est soudainement mis à annoncer des recouplages de réacteurs avec de l’avance. Parfois plusieurs semaines.

Et cela paie. En plus d’être exportatrice en permanence depuis plusieurs mois, EDF affiche aujourd’hui une production étincelante. L’énergéticien public a retrouvé 38 GW de capacité mais et devrait dès le début de la semaine prochaine dépasser les 40 GW de disponibilité. Un niveau qui n’était pas envisagé par RTE avant… mi-novembre.

De très bonne augure pour rassurer les Français et surtout les marchés et pour continuer ainsi à faire baisser les prix de gros de l’électricité. Un préalable indispensable aux efforts de réindustrialisation mais aussi une très bonne nouvelle pour l’industrie allemande. On commence mieux à comprendre pourquoi certaines voix en Allemagne demandent à leur gouvernement de cesser de s’en prendre sans cesse au nucléaire français…

Philippe Thomazo

La rédaction