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Le dogme antinucléaire commence à se fissurer


Les écologistes, les ONG environnementales et une bonne partie de la gauche mènent depuis des décennies un combat anti-nucléaire. Mais ils sont en perte de vitesse y compris dans leur propre camp. Les moins radicaux ou les plus pragmatiques ont compris que le plus important aujourd’hui était de développer et vite des sources d’énergie abondantes et décarbonées pour les substituer aux carburants fossiles. C’est exactement ce que permet de faire le nucléaire.

La lutte contre le nucléaire est intégrée depuis des décennies dans l’ADN de la gauche française. A l’origine issue des combats syndicaux, tout d’abord de la part des syndicats de mineurs qui craignaient (à raison) pour l’avenir des mines de charbon du pays, puis par ceux du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) qui voyaient d’un très mauvais œil l’arrivée de la technologie américaine de Westinghouse des réacteurs à eau pressurisé. Elle a été poursuivie par François Mitterrand dès son arrivée au pouvoir en mai 1981. Dès lors, la gauche n’a jamais varié de cap concernant l’atome. Si Mitterrand a choisi de simplement annuler les projets qui n’étaient pas encore réellement lancés (comme la centrale de Plogoff en Bretagne ou du Carnet dans les Pays-de-Loire), ses successeurs se sont eux attaqués à pleines dents au patrimoine nucléaire du pays. Leurs principaux succès étant d’avoir obtenu la fermeture de Superphénix en 1998, puis de Fessenheim vingt ans plus tard.

Dénoncer Greenpeace

Mais ce dogme semble aujourd’hui se fissurer de plus en plus. En 2022, Fabien Roussel, candidat communiste, a choisi d’assumer son choix d’être favorable à l’ensemble des énergies bas carbone, nucléaire compris. Dans la foulée, et bien qu’intégrés à la NUPES, les députés PCF ont réitéré ce choix en votant à l’inverse de leurs partenaires lors du passage à l’assemblée nationale du projet de loi d’accélération du nucléaire. La tradition productiviste et pro nucléaire du parti communiste existe toujours.

Mais c’est récemment que tout semble s’accélérer. Et c’est de Suède que tout est parti.
Non, pas de la désormais célèbre activiste Greta Thunberg, mais d’une autre militante écologiste, Ia Aanstoot. Cette jeune fille est à l’origine depuis quelque jour d’une campagne dénonçant l’opposition de Greenpeace au nucléaire qu’elle juge « démodée ».

Dans l’initiative « Dear Greenpeace » (cher Greenpeace), la jeune suédoise associée à des militants polonais, finlandais, hollandais et français appelle l’ONG à « abandonner [son] opposition démodée et non scientifique à l’énergie nucléaire et de se joindre [aux militants] dans leur lutte contre les combustibles fossiles ».

Coincée dans le passé

L’ONG se revendiquant écologiste serait d’après eux « coincée dans le passé », et ils ont fustigé la « motion nuisible » de Greenpeace cherchant à s’opposer par la voie légale à l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte. Une telle prise de parole est historique et n’a pas tardé à faire réagir sur les réseaux sociaux. Elle illustre en tout cas le décalage grandissant entre les organisations politiques et méta politiques de gauche, et leur base militante.

Un sondage réalisé par l’Ifop il y a un an, en septembre 2022, montrait ainsi que 75 % des français étaient favorables à la production électrique nucléaire, mais surtout 83 % des électeurs socialistes, 56% des insoumis et même 53% des électeurs d’Europe-Ecologie-les-Verts.

Les partis de gauche en porte-à-faux avec leur base électorale

Il apparaît ainsi que les cadres des partis de gauche sont en total décalage avec leur base électorale, et cela commence à se faire sentir. Ce qui n’a pas empêché la direction d’EELV d’assurer que ce débat ne pouvait avoir lieu, façon un peu facile d’imposer la vision des cadres aux militants.

Dernier événement en date, les adhérents de la CGT ont voté cette semaine leur sortie de l’« Alliance Ecologique et Sociale ». Cette alliance inconnue du grand public et fondée durant la crise du covid était censée, avec diverses ONG et organisations de gauche comme Greenpeace (encore), Oxfam, Attac ou Solidaires, ouvrir une « nouvelle voie » n’opposant pas écologie et création d’emplois pour le « monde d’après ».

Une initiative qui a fait long feu avec le départ du deuxième syndicat français, qui pourtant était on ne peut plus prévisible. La CGT est en effet très bien implantée dans les industries électriques et gazières, et notamment chez les salariés de la filière nucléaire. Elle ne pouvait voir d’un bon œil l’orientation anti-nucléaire de l’Alliance.

Des brèches semblent donc s’ouvrir de tous côtés dans le crédo atomique de la gauche française et européenne. Il est pour autant peu probable que celles-ci suffisent à infléchir la ligne des partis concernés, tant celle-ci fait partie de leur culture historique. Il ne faut pas oublier que l’opposition au nucléaire, militaire et civil stupidement mélangé, est à l’origine des mouvements écologistes. Il n’était pas question alors d’émissions de gaz à effet de serre. Et remettre en cause le fondement idéologique des mouvements en question semble au-dessus de leur force. Mais le temps joue contre eux et les jeunes générations.

Philippe Thomazo

La rédaction