Transitions & Energies
Capture écran bulletin météo 29 avril 1986 Tchernobyl

Nuage de Tchernobyl: la fake news devenue mythe


Contrairement à une rumeur lancée avec succès en 1986 par des militants antinucléaires, le gouvernement français n’a jamais dit que le nuage de Tchernobyl n’allait pas survoler la France. Tout au plus sa communication a été particulièrement maladroite, imprécise et désinvolte. Mais jamais trompeuse. Retour sur l’enchaînement des faits. 
Article paru dans le N°3 du magazine Transitions & Energies.

Contrairement à une rumeur lancée avec succès en 1986 par des militants antinucléaires, le gouvernement français n’a jamais dit que le nuage de Tchernobyl n’allait pas survoler la France. Tout au plus sa communication a été particulièrement maladroite, imprécise et désinvolte. Mais jamais trompeuse. Retour sur l’enchaînement des faits. 

Dans l’imaginaire collectif, la catastrophe de Tchernobyl incarne toutes les craintes liées à l’énergie nucléaire et tous les mensonges et manipulations des dirigeants et des gouvernements. Il n’y a presque pas de différence faite entre le pouvoir soviétique, qui porte la responsabilité de la catastrophe en ayant fermé les yeux sur les défauts majeurs de ses centrales et en ayant caché la réalité de l’accident, et les gouvernements occidentaux et notamment français accusés d’avoir eux aussi dissimulé la vérité. Nucléaire et complots semblent indissociables.

La réalité des faits et de leur enchaînement est toute autre. Le gouvernement français n’a jamais dissimulé la vérité et n’a jamais dit ou même sous-entendu que le nuage radioactif n’allait pas survoler la France. Une fake news créée et relayée par des écologistes antinucléaires devenue depuis un mythe. Au point qu’il est suspect aujourd’hui de le dénoncer. Et pourtant… La communication gouvernementale en France après la catastrophe de Tchernobyl a été maladroite, tardive, floue, mais jamais trompeuse. Voilà comment les choses se sont réellement passées en avril et mai 1986.

MOSCOU NIE. L’accident survient le 26 avril 1986. L’URSS le cache. L’opacité est totale de l’autre côté du rideau de fer. L’alerte n’est donnée que deux jours plus tard en Suède. Le pays détecte, au matin du 28 avril, un niveau de radioactivité très supérieur à la normale dans différentes régions. Des experts trouvent du graphite dans les particules radioactives et pensent immédiatement à une centrale soviétique de type RBMK qui utilise du graphite comme modérateur. Moscou, interrogé, nie d’abord… puis confirme l’accident dans la journée du 28 avril dans une dépêche laconique : elle reconnaît qu’un incident a eu lieu à Tchernobyl, en Ukraine, et assure que « toutes les mesures sont prises » pour résoudre le problème… Rien de plus. En Russie, en fait, à ce moment-là, c’est la panique pour trouver les moyens d’arrêter l’incendie à ciel ouvert du réacteur et l’envoi de particules radioactives en grande quantité dans l’atmosphère.

En France, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), qui dépend du ministère de la Santé, est prévenu ce même 28 avril. Des avions d’Air France décollent, équipés de filtres pour recueillir les poussières, et des moyens de mesure sont mobilisés sur une trentaine de sites.

L’APPARITION DU PROFESSEUR PELLERIN.  Dans le journal télévisé de 13 heures du 29 avril, les Français découvrent celui qui deviendra le visage de l’événement : le professeur Pierre Pellerin qui dirige le SCPRI. Il expose alors les valeurs mesurées en becquerels en Suède de l’ordre de 10 Bq/mÑ, proches de la radioactivité naturelle. Il explique : « C’est une activité notable, mesurable, mais qui ne présente aucun inconvénient sur le plan de la santé publique. […] Je voudrais bien dire clairement que, même pour les Scandinaves, la santé n’est pas menacée. »

On rappelle dans les éditions suivantes que le fait que le nuage arrive ou non en France dépend de la météo. Dans un bulletin devenu célèbre, une présentatrice explique qu’un anticyclone semble alors protéger la France des vents en provenance de l’est jusqu’au 2 mai, ce qui est, au moment où elle parle, parfaitement exact (voir la capture d’écran ci-dessus).

Brigitte Simonetta déclare que l’anticyclone des Açores, qui se trouve alors au-dessus de la France, « restera jusqu’à vendredi prochain [le 2 mai] suffisamment puissant pour offrir une véritable barrière de protection » à la France. « Il bloque en effet toutes les perturbations venues de l’est », poursuit la speakerine. Sur la carte, un panneau « stop » vient même s’afficher sur la frontière franco-allemande pour illustrer cette prévision. Il s’agit d’une prévision météo à trois jours. Rien de plus.

Dès le 30 avril, la météo change et les rumeurs s’amplifient sur les risques. Les Soviétique n’admettent que deux morts. Les médias américains en évoquent 2 000 ! Quelques médias français reprennent ce dernier chiffre. Ailleurs en Europe, la peur gagne bien plus rapidement. Des reportages montrent des habitants de Copenhague se ruant sur de pastilles d’iode. Le silence des autorités françaises accroît l’inquiétude alimentée par les adversaires historiques de l’énergie nucléaire sur le thème : c’est dangereux, on vous l’avait bien dit !

Le 30 avril, un communiqué du SCPRI confirme l’arrivée du nuage radioactif. Il signale « une légère hausse de la radioactivité atmosphérique sur certaines stations du sud-est, non significative pour la santé publique ». Suivi d’un autre, le lendemain : « Ce jour, 1er mai 86, 24 heures, tendance pour l’ensemble des stations du territoire à un alignement de la radioactivité atmosphérique sur le niveau relevé le 30 avril dans le Sud-Est. Il est rappelé que ce niveau est sans aucune incidence sur l’hygiène publique. » La radioactivité continue à s’accroître dans l’Est. Dans le Nord-Est, région la plus touchée, l’activité atteindra 25 Bq/m3. Cela reste un niveau qui ne présente pas de danger.

L’un des sérieux problèmes de communication est que les autorités ne donnent même pas ces valeurs, se bornant à transmettre des informations laconiques. Le public est prié de s’en satisfaire. Circulez, il n’y a rien à voir. Le meilleur moyen d’inquiéter. D’autant plus, qu’ailleurs en Europe, les pouvoirs publics, eux, s’agitent. En Allemagne, où les retombées sont plus fortes, des mesures restrictives sont prises pour protéger la population, alors qu’en France le SCPRI communique sur les 500 relevés effectués et répète que « l’exposition aux radiations qu’ont subies les Français est inférieure au dixième de l’exposition naturelle annuelle ».

Un journaliste ironise alors : « Tout se passe comme si le nuage s’était arrêté à la frontière… » Cette phrase va connaître un destin inattendu. Même si elle n’a jamais été prononcée par le professeur Pellerin ou le moindre officiel…

LA PRESSE CRIE AU SCANDALE. Il faut dire que la communication gouvernementale va continuer à être lamentable. Le 6 mai, le ministère de l’Agriculture explique que « le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées radionucléides consécutives à l’accident de Tchernobyl. À aucun moment les hausses observées de radioactivité n’ont posé le moindre problème d’hygiène publique ». Si le territoire français a été totalement épargné, comment y a-t-il pu avoir une hausse de la radioactivité ?

La presse agitée par les antinucléaires croit découvrir et dénoncer un scandale d’ampleur. La Une du Parisien du 9 mai résume la suspicion : « En Allemagne, on s’affole, et en France, tout va bien ». Le 12 mai, Libération titre : « Le mensonge nucléaire ». La Criirad (Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité), créée dans la foulée de l’accident par une poignée de militants écologistes, perpétue le mythe.

Pierre Pellerin, attaqué en 2006 pour « tromperie et tromperie aggravée » par la Criirad et l’Association française des malades de la thyroïde, sera totalement blanchi, en 2012, par la justice. On sait aujourd’hui qu’en dépit de la présence de plusieurs éléments radioactifs dans le nuage, seul le césium 137 a conduit à une contamination durable en France. Certaines zones ont été plus touchées : les reliefs du sud des Alpes, la Franche-Comté, la Corse. Aucun effet sur la santé n’a jamais été mis en évidence, mais les polémiques, nourries par des études contradictoires, n’ont jamais cessé.

Léon Thau

La rédaction