Transitions & Energies

Sûreté nucléaire: l’État s’attaque à la simplification des structures publiques


Conscient de la complexité inutile de l’organisation des structures de contrôle de la sûreté nucléaire du pays, le gouvernement a décidé de les simplifier. L’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), établissement public, va ainsi être absorbé par l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), autorité indépendante. Cela mettra fin à l’existence d’un duo d’institutions indépendantes vis-à-vis de l’état et de l’exploitant (EDF) mais aussi l’une de l’autre.

Le gouvernement a annoncé mercredi 8 février son intention de s’attaquer à la simplification des structures de contrôle et de sûreté nucléaire. Il entend ainsi mettre fin à l’existence d’un duo d’institutions indépendantes vis-à-vis de l’état et de l’exploitant (EDF) mais aussi l’une de l’autre, à savoir l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), autorité indépendante, et l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), établissement public. Cette organisation a contribué à augmenter la complexité de la gestion des équipements nucléaires, de leur entretien et de leur construction, sans gain réel en termes de sûreté.

Faciliter la relance d’un programme de construction de réacteurs

Officieusement, de nombreux responsables et ingénieurs d’EDF, d’Orano et de Framatome se plaignent depuis des années de la complexité administrative des contrôles auxquels ils sont soumis qui, d’après eux, ne seraient pas étrangère aux difficultés de la filière nucléaire en France.

En matière de sûreté nucléaire, le mieux peut ainsi parfois devenir l’ennemi du bien, des propos difficiles à tenir et à admettre dans un pays qui a institutionnalisé le principe de précaution. Non pas que la sécurité nucléaire ne doive pas être une priorité et un état d’esprit permanent parmi les opérateurs et prestataires de la filière. Mais l’excès sans limites devient nuisible. Surtout quand plusieurs gendarmes procèdent à leurs contrôles selon les modalités qu’ils ont eux-mêmes définies et peuvent faire plier le contrôlé en s’appuyant sur les médias et l’opinion publique.

Une simplification de l’organisation du contrôle de la sûreté nucléaire en France devrait donc permettre de faciliter et d’accélérer la relance d’un programme de construction de nouvelles centrales et aussi de valider plus rapidement la prolongation de vie des réacteurs existants et cela sans compromettre en rien la sécurité.

Validé par la loi de finances 2024

L’IRSN, établissement public créé en 2001, devrait ainsi disparaître et être absorbé par l’ASN même si le gouvernement ne présentera pas exactement les choses comme cela. La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a en tout cas demandé aux responsables de l’IRSN, de l’ASN et du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) de lui proposer d’ici le 20 février de «premières mesures et une méthode de travail pour mettre en œuvre ces orientations». Une «feuille de route plus détaillée» sera ensuite produite «en vue de la loi de finances 2024».

«Il a été décidé que les compétences techniques de l’IRSN seront réunies avec celles de l’ASN, en étant vigilant à prendre en compte les synergies, avec le CEA)et le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense», a annoncé le ministère. Cette mesure a été décidée lors du «Conseil de politique nucléaire» réuni le 3 février par Emmanuel Macron et qui a «pointé l’importance de conforter l’indépendance et les moyens de l’ASN», a-t-il ajouté.

Cette décision répond en tout cas au souhait de Bernard Doroszczuk, le président de l’ASN. En janvier 2020, il avait déclaré vouloir prendre la main sur l’ensemble de l’expertise de sûreté nucléaire. Il plaidait pour la création d’un pôle qui réunirait les compétences de l’ASN et de l’IRSN. Il vient d’obtenir satisfaction.

Selon le ministère, «cette évolution conduira à renforcer l’indépendance du contrôle en matière de sûreté nucléaire, au sein d’un pôle unique et indépendant», et à «renforcer les compétences et fluidifier les processus d’examen technique et de prise de décision de l’ASN pour répondre au volume croissant d’activités lié à la relance de la filière nucléaire souhaitée par le gouvernement». L’exécutif veut en outre «augmenter les synergies en matière de recherche et développement», et «garantir dans le temps, au sein de la nouvelle organisation, l’excellence des équipes». Enfin, «les conditions de travail et de rémunération des personnels de l’IRSN» seront préservées, et les moyens correspondant à l’exercice de ses missions maintenus.

Opposition de la CGT de l’IRSN avant une levée de boucliers des écologistes

L’IRSN a pour mission de gérer en France le risque radiologique et est doté pour cela de 1.700 salariés (chercheurs, chimistes, ingénieurs…). Sans surprise, la CGT de l’IRSN a exprimé son mécontentement: «l’ASN est une autorité indépendante» mais ses décisions ne sont «pas seulement liées» à des considérations techniques, elles doivent «prendre en compte des enjeux politiques, financiers, d’intérêt stratégique de la nation, etc», souligne Philippe Bourachot, délégué syndical central CGT (majoritaire) de l’institut, qui a dénoncé une annonce «très brutale».

Il craint que les experts de l’IRSN n’aient ainsi, à terme, à prendre en compte d’autres enjeux que ceux de la sûreté au sens strict. «Il faut laisser un expert technique qui ne travaille que sur la technique, et après, les autorités jugent avec les enjeux qu’elles ont à prendre en compte». M. Bourachot craint une «perte de compétences techniques» tandis que l’IRSN est confronté à des difficultés de recrutement en raison de la concurrence d’autres acteurs de la filière.

On peut imaginer assez facilement que les écologistes antinucléaires se rallieront aux critiques faites par la CGT de l’IRSN et mettront en garde contre des renoncements en matière de sûreté nucléaire. Ainsi, pour le consultant du groupe négaWatt, Yves Marignac, cette réorganisation est une très mauvaise nouvelle. «L’IRSN joue historiquement un rôle essentiel. La séparation de l’expertise et du contrôle en matière de sûreté entre deux organismes, respectivement dotés d’un statut d’établissement public (l’IRSN) et d’autorité indépendante (l’ASN), qui préexistait même à leur autonomisation sous cette forme, a montré son caractère vertueux pour les exigences de sûreté».

La rédaction