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Le mal français


Depuis des années, les gouvernements successifs manifestent de grandes ambitions
 et de bons sentiments. Ils organisent de grandes messes, Grenelle de l’environnement, COP 21, Convention citoyenne… Dans les faits, ils sont incapables de définir 
un chemin cohérent vers la transition énergétique, de regarder les réalités technologique, économique et sociale en face et de convaincre et expliquer.
Chronique publiée dans le numéro 6 du magazine Transitions & Energies.

Le Mal français a été publié par Alain Peyrefitte en 1976, il y a quarante-quatre ans… Ce livre, écrit par un ministre en poste sous les présidences successives de de Gaulle, Pompidou et Giscard d’Estaing, avait défrayé la chronique. Il dénonçait alors l’impuissance, l’immobilisme et le refus de la réalité d’un pays et d’un peuple pourtant dotés de multiples atouts. Il fustigeait les règles tatillonnes et l’ex
cès de bureaucratie, la centralisation, le manque de confiance
 des entrepreneurs, un État trop dirigiste. Il s’en prenait enfin à une société bloquée et au pessimisme omniprésent.

Quarante-quatre ans plus tard, rien n’a changé. La situation s’est même considérablement dégradée. Non seulement, l’État a continué à enfler, à redistribuer une part toujours plus grande de la richesse nationale, mais il est devenu incapable de la gérer et plus encore de se projeter dans l’avenir, de définir des stratégies, de s’y tenir et de les mettre en œuvre. Cela est particulièrement vrai et dommageable dans le domaine de l’énergie.

Les gouvernements successifs manifestent de grandes ambitions et de bons sentiments, font de la communication et organisent des grandes messes, Grenelle de l’environnement, COP 21, Convention citoyenne… Dans les faits, ils sont in- capables de définir un chemin cohérent vers la transition énergétique, de regarder les réalités technologique, économique et sociale et de convaincre l’opinion et d’expliquer.

La révolution énergétique allemande, l’Energiewende, lancée il y a plus de deux décennies, a de nombreux défauts. Elle a au moins le mérite de définir une stratégie énergétique, quitte à la modifier et à l’infléchir au fil du temps. La France de l’énergie de 2020 est dans une grande mesure celle de 1976 et d’Alain Peyrefitte. Rien n’a changé et pourtant il est urgent de le faire
.

Le mépris des experts

Le plan de relance économique et la Convention citoyenne sur le climat sont deux parfaits exemples de cette incapacité à faire des choix et à les assumer. Dans le premier cas, il s’agit d’un recyclage de recettes qui n’ont pas vraiment fonctionné dans le passé, surtout le fret ferroviaire et la rénovation des bâtiments, et d’un saupoudrage de financements tous azimuts pour éviter les critiques. Tout le monde y a droit, le fret ferroviaire, l’avion vert, les mobilités du quotidien, les infrastructures de transport, l’hydrogène, la rénovation thermique des bâtiments publics et privés, et un peu de nucléaire et d’agriculture.

Pour ce qui est de la Convention, son existence peut se résumer à se défausser de décisions à prendre sur 150 citoyens tirés au sort et devenus des experts en quelques heures de travail… Et pour couronner le tout, ladite convention évite soigneusement les sujets essentiels, mais qui fâchent, à savoir le nucléaire, la taxe carbone et l’Europe. Le gouvernement est devenu le premier promoteur du populisme qu’il déclare exé- crer en considérant comme suspects les experts, les ingénieurs, les scientifiques…

La sagesse et le bon sens populaires suffisent pour mener la transition, un des défis les plus difficiles à relever auquel l’humanité est confrontée. L’an dernier, le New York Times et le magazine Forbes démontraient qu’il est bien plus complexe à mener à bien que d’envoyer un homme sur la lune. Avait-on convoqué une Convention citoyenne pour construire la fusée lunaire ?

Trois exemples bien différents, le nucléaire, l’hydrogène et la rénovation thermique des bâtiments, illustrent les errements de la puissance publique, son manque de courage, sa soumission à l’air du temps et aux fluctuations de l’opinion, ses excuses à l’immobilisme.

Nucléaire, courage fuyons!

À commencer par le nucléaire. La France a pour particularité et pour atout, dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, d’être le seul pays au monde dont plus de 70% de l’électricité provient de réacteurs nucléaires. L’énergie nucléaire, comme toutes les sources d’énergie, a des avantages et des inconvénients. Elle a trois grandes faiblesses. Elle suscite une crainte assez irrationnelle dans l’opinion publique liée à l’image des armes atomiques et aux catastrophes et incidents de Tchernobyl et Fukushima. Elle est l’adversaire historique des mouvements écologistes. Ils sont nés, il y a cinquante ans, bien avant la question du réchauffement climatique, pour s’opposer au nucléaire. Ils ont conservé envers et contre tout cette obsession, même si elle est en contradiction avec l’objectif de réductions des émissions de CO2.

Dernier problème et non des moindres, les errements d’EDF et de la nouvelle génération des réacteurs nucléaires. Du coup, les gouvernements sont tétanisés. Le nucléaire est devenu un sujet tabou. Ils sont incapables, comme ne cesse de le dénoncer la Cour des comptes, de construire une stratégie cohérente. L’avenir de cette énergie est pourtant essentiel pour trois raisons: le risque grandissant d’un manque de capacités de production d’électricité en France, l’atout qu’il représente pour assurer une production d’électricité décarbonée et pour finir le fait qu’il s’agit d’un des rares domaines ou, en dépit de déboires récents et répétés, la technologie française assure une certaine indépendance au pays.

L’ancienne ministre de l’Écologie, Élisabeth Borne, comme sa successeure Barbara Pompili n’ont eu de cesse de le rappeler: aucune décision ne sera prise avant au mieux 2022. C’est-à-dire de fait avant l’élection présidentielle. «C’est écrit : dans quinze ans, la France subira des coupures d’électricité, et nous serons contraints, dans l’urgence, de construire des centrales à gaz extrêmement polluantes. On convoquera les élus devant des commissions d’enquête, comme celles d’aujourd’hui sur le Covid-19. Et on leur dira : vous saviez, mais vous n’avez rien fait», s’emporte Bernard Accoyer, ancien président de l’As- semblée nationale.

Le constat, sans appel, est le suivant. Le parc nucléaire français fournit aujourd’hui plus de 70% de la production électrique. Mais les centrales vieillissent. Ainsi, 52 des 56 réacteurs en service après la fermeture de ceux de Fessenheim, ont été construits dans les années 1970-1980. Seuls les quatre réacteurs de Chooz et de Civeaux sont plus récents. Tous arriveront en fin de vie d’ici 2040. Même dans l’hypothèse ou la loi de transition énergétique serait appliquée, qui prévoit la réduction de la part du nucléaire dans la production électrique à 50%, il faudra construire de nouvelles centrales nucléaires pour remplacer une partie du parc existant. Qui aura le courage politique de le reconnaître?

Le gouvernement refuse même que le sujet soit abordé. Cela aura des conséquences. Pour maintenir en 2035 la production électrique de la France à son niveau et à son coût actuels, EDF table, a minima, sur la construction rapide de trois paires de deux réacteurs de type EPR. Cela prendra bien plus de quinze ans…

Hydrogène, l’air du temps

L’hydrogène est un autre cas d’école. Celui du prima de la posture. Même s’il s’agit d’une forme d’énergie indispensable à la transition, car c’est le seul carburant qui peut se substituer aujourd’hui aux carburants fossiles dans de nombreux domaines (transports lourds, chaleur, industrie). Il s’agit aussi du meilleur moyen de stocker de l’électricité en grande quantité.

En quelques semaines, le gouvernement a décidé de développer une filière nationale de production d’hydrogène bas carbone comme la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et surtout l’Allemagne. L’annonce en juin par Berlin d’un plan d’investissement de 9 milliards d’euros pour créer une filière d’hydrogène vert ou bas carbone a joué le rôle d’électro- choc en France. D’autant plus que la Commission européenne a emboîté le pas à l’Allemagne quelques semaines plus tard. Jusque-là, les pouvoirs publics étaient plutôt hostiles ou au mieux indifférents à l’hydrogène et les initiatives étaient avant tout locales et concernaient des prototypes de bus ou de vélos. Les premiers trains à hydrogène fabriqués par le français Alstom ne roulent pas en France… mais en Allemagne et aux Pays-Bas.

Nicolas Hulot avait bien lancé un plan hydrogène, modeste, de 100 millions d’euros, en juin 2018, peu de temps avant son départ du ministère de la Transition écologique. Il avait fallu plus d’un an avant que ces 100 millions deviennent une réalité. Quant à la fameuse PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028, publiée en avril, elle fait à peine allusion à l’hydrogène. Au début de l’année, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France (RTE) avait même commis un rapport qui était un enterrement de première classe de l’hydrogène.

Et puis le gouvernement a découvert que l’hydrogène vert existe et qu’il est devenu tendance. Il a donc décidé d’y consacrer 2 milliards d’euros du plan de relance et envisage même de passer à 7 milliards d’ici 2030, même s’il s’agit d’une hypothèse qui n’est pas financée. Reste à savoir pour en faire quoi? La France n’est pas l’Allemagne et ces problématiques énergétiques sont très différentes. L’Allemagne est contrainte de passer à l’hydrogène. Elle espère ainsi remédier aux problèmes de sa révolution énergétique. À savoir l’intermittence de la production d’électricité provenant des renouvelables.

Elle a investi massivement depuis des décennies dans l’éolien et le solaire, mais se heurte au caractère aléatoire de cette production. Non seulement elle est dépendante des conditions de vent et d’ensoleillement (la journée), mais il est presque impossible de les déterminer précisément à l’avance. Cela contraint le pays à avoir en permanence des centrales capables de prendre le relais, dites pilotables, pour faire face en temps réel à la demande. Et comme l’Allemagne a décidé d’abandonner le nucléaire, les centrales pilotables fonctionnent au charbon et au lignite et émettent des quantités considérables de gaz à effet de serre. Et ce sera encore le cas quand le charbon sera remplacé par le gaz.

L’hydrogène est aujourd’hui le meilleur et presque le seul moyen de stocker massivement de l’électricité. C’est pour cela que l’Allemagne affirme son ambition de devenir le numéro un de l’hydrogène vert. Pour la France, la question se pose différemment. Elle produit déjà une électricité très décarbonée grâce au nucléaire. L’hydrogène doit donc avant tout servir dans les transports, la chaleur et l’industrie. Elle doit être un substitut au pétrole. Mais dans ces trois domaines, les technologies sont balbutiantes…

Rénovation thermique des bâtiments, le tonneau des danaïdes

La méthode la plus évidente à utiliser pour réduire les émissions de gaz à effet de serre consiste à commencer par moins gaspiller d’énergie. L’efficacité énergétique est un des éléments clés de la transition, tout particulièrement quand elle concerne le chauffage et la climatisation des bâtiments.

La rénovation thermique a l’avantage de soutenir immédiatement des emplois non délocalisables et de se traduire aussi rapidement par des réductions significatives de consommation d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, faut-il encore que les rénovations soient efficaces et faites par des professionnels compétents et contrôlés, que l’obtention des aides ne soit pas tellement compliquée qu’elle décourage et que les priorités aillent bien aux «passoires thermiques». 
Pour illustrer les enjeux, le chauffage et la climatisation représentent 39,5% de la consommation finale d’énergie en France et 27% des émissions de CO2. C’est aussi essentiel que les transports et il s’agit d’un domaine dans lequel l’action publique peut être plus efficace et plus rapidement. Sur un parc de 35 millions de logements, la France compte environ 7,5 millions de «passoires thermiques».
 Le problème est que jusqu’à aujourd’hui les ambitions et plus encore les résultats n’ont jamais été au rendez-vous. Selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), seulement 25% des rénovations énergétiques de logements réalisées entre 2014 et 2016 ont permis d’améliorer d’une classe le diagnostic de performance énergétique et 5% de gagner deux classes.

La loi Énergie Climat de 2015 prévoyait bien d’atteindre les 500 000 rénovations par an. On est à peine à 25 000 rénovations de bâtiments basse consommation par an… Et concernant les fameuses «passoires», l’objectif des 100 000 par an n’est pas non plus atteint. La réalité serait plutôt à 40 000.

Cette incapacité publique n’est pas seulement un reflet du passé. En juillet, le pompeux Conseil de défense écologique a donné suite à un certain nombre de propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Le gouvernement a annoncé sa décision d’introduire, par décret, la performance énergétique parmi les critères de la «décence» d’un logement à partir du 1er janvier 2023. Les personnes qui vivent dans des habitations consommant plus de 500 kW/h au mètre carré par an pourront exiger que leur propriétaire fasse des travaux.

À première vue, la mesure est spectaculaire, en fait son impact sera très limité. Elle est loin de concerner toutes les « passoires thermiques ». Le seuil fixé ne devrait toucher que quelque 250 000 logements… Quant au plan de relance de l’économie, il consacrera seulement deux milliards à la ré- novation des logements sur deux ans, en 2021 et 2022. Trop peu.

Démagogie

La transition énergétique en France est aujourd’hui dans une impasse. Elle est construite sur des scénarios irréalistes et parfois même farfelus. Ils sont le reflet, au choix, de l’incompétence, du poids des idéologies ou seulement un moyen d’appuyer des effets d’annonce et des calculs politiques de court terme. Cela s’appelle de la démagogie.

Les pouvoirs publics font comme si les discours volontaristes, des éoliennes et des panneaux solaires par-ci, et de l’hydrogène et des voitures électriques par-là, allaient marginaliser tout naturellement l’usage des énergies fossiles. Tant que la transition restera un objet avant tout politique et la chasse gardée des lobbys et des intérêts, elle n’aura aucune chance de réussir. Et pire, elle contribuera à appauvrir les Fran- çais et à les diviser entre métropoles et France périphérique.

Et pourtant, il ne s’agit pas d’un problème politique, mais systémique. La seule façon de l’aborder sérieusement consiste à considérer qu’il s’agit avant tout d’un défi d’ingénierie. Il faut remplacer les systèmes qui émettent des gaz à effet de serre par d’autres qui en émettent peu. L’objectif est de devenir plus performant dans tous les domaines que les énergies fossiles. Qui aura la lucidité et le courage d’aborder la transition comme cela ?

Eric Leser

La rédaction