En dépit des discours et des satisfecits gouvernementaux entendus depuis quelques années, la réindustrialisation de la France est aujourd’hui une illusion. Il suffit juste de s’attarder sur la santé de l’automobile et des autres grandes filières industrielles encore présentes en France qui devraient être portées par la transition énergétique (nucléaire, pompes à chaleur, géothermie, hydrogène…).
On ne va pas revenir trop longuement sur les conséquences de l’abandon délibéré depuis plus d’un quart de siècle de l’industrie en France qui s’est traduit par l’appauvrissement de la population et du pays, par le creusement irrémédiable du fossé entre la France périphérique et celle des métropoles, par des pertes presque impossibles à rattraper de compétences et de capacités de production et par un déficit commercial qui ne cesse de grandir.
Une culture administrative et étatique irresponsable
Il a fallu des décennies pour que ce constat finisse enfin par faire consensus. Pour autant, le pays semble incapable de prendre la mesure du défi et surtout de mettre fin à ce qui a détruit son industrie : le déclin dans l’enseignement des sciences et des technologies, la vision passéiste de l’activité industrielle, une fiscalité extrêmement pénalisante et pour finir une culture administrative et étatique irresponsable qui privilégie sans limite et sans logique les normes et les règlements sur toutes autres considérations.
Pendant très longtemps, les dirigeants industriels français, issus souvent dans les grands groupes du sérail et de la culture d’Etat, ont accepté sans broncher de voir leurs outils disparaître ou être cédés à des investisseurs étrangers. La culture polytechnicienne n’a pas que des qualités. Mais aujourd’hui, bien tardivement, ils finissent par se révolter.
Luca de Meo, Patrick Pouyanné, Luc Rémont
Ainsi il y a quelques jours, Luca de Meo, le Pdg de Renault, a pronostiqué un avenir très sombre pour l’industrie automobile européenne asphyxiée par les normes et réglementations. Les patrons de TotalEnergies et EDF, Patrick Pouyanné et Luc Rémont, avaient été encore plus explicites en déclarant en décembre dernier que c’est devenu « l’enfer d’investir en France ». « Il faut qu’on simplifie les processus. Je suis désolé mais quand je regarde (en France), j’ai 500 développeurs d’énergies renouvelables qui arrivent à faire péniblement 300 à 400 mégawatts (MW) par an (…) Ce n’est pas possible de continuer comme ça, je vous le dis. Aux Etats-Unis, j’ai construit 2 GW en un an », avait expliqué Patrick Pouyanné au congrès de l’Union française de l’électricité (UFE).
« Je ne peux pas continuer à investir dans un pays [la France], à avoir autant de personnes qui me coûtent de l’argent pour un rendement aussi faible. Et ça, c’est un problème d’espace, c’est un problème de réglementation, c’est un problème de volonté collective », avait-il ajouté fustigeant la loi d’accélération des renouvelables du 10 mars 2023 « qui a tout ralenti ». Au printemps dernier, TotalEnergies avait créé une polémique en révélant son projet de cotation à Wall Street, en plus de celle à la Bourse de Paris.
Même sentiment que Patrick Pouyanné pour Luc Rémont. « Patrick le disait tout à l’heure, c’est l’enfer d’investir en France. C’est vrai, c’est l’enfer d’investir en France pour des raisons réglementaires et ce n’est pas juste l’enfer pour faire du renouvelable, c’est l’enfer pour un industriel qui veut se raccorder, pour raccorder un data-center au réseau électrique, ce sont des délais administratifs qui sont juste incommensurables avec ce qu’on vit ailleurs dans le monde. Le premier frein à la décarbonation aujourd’hui, ce sont les procédures… ». Selon le président du Medef Patrick Martin, également invité à s’exprimer lors de ce même colloque de l’UFE, le taux d’utilisation des capacités industrielles en France « n’est plus que de 75% ». Soit le même taux qu’en 2010, avait-il ajouté.
« On nous met des bâtons dans les roues »
Et il y a quelques jours, le patron d’Airbus, Guillaume Faury, qui est en général d’un naturel réservé s’est mis en colère lors des voeux du Gifas (le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales). Si contrairement à l’automobile, la filière se porte bien, avec des carnets de commandes remplis pour des années, Guillaume Ferry estime que tout cela est menacé par une inflation fiscale et réglementaire incontrôlée.
« On nous met des bâtons dans les roues ». Et de dénoncer « trop de charges, trop de règlements, trop de contraintes, trop de taxes… On risque de voir beaucoup d’entreprises aller faire ce qu’elles savent faire ailleurs, parce que cela devient invivable ». Si le secteur aéronautique génère 31 milliards d’euros d’excédent commercial, Guillaume Faury souligne qu’il est également le premier taxé. Selon les calculs du Gifas, en 2023 les prélèvements obligatoires ont augmenté de 12% pour atteindre 11,4 milliards d’euros.
« Regardez, c’est ce qui s’est passé pour l’automobile », lance-t-il. « En 2000, l’automobile française affichait 10 milliards d’euros d’excédent dans la balance commerciale. L’an dernier : -20 milliards! On a perdu 30 milliards ». Une perspective que Guillaume Faury veut absolument éviter pour l’aéronautique. « La filière ne doit pas servir de bouc émissaire ou de vache à lait pour réparer les finances de l’État ».
« En France, nous avons des filières historiquement championnes, comme l’automobile, le nucléaire et l’aéronautique. Certaines n’ont pas été soutenues comme il se devait à l’échelon français et européen. Elles en payent aujourd’hui le prix et c’est cela que nous devons éviter », a-t-il conclu.