Transitions & Energies
Centrale nucléaire

Nucléaire, courage fuyons


Depuis deux décennies, la France n’a plus de vraie stratégie nucléaire. Il devient pourtant urgent d’en définir une, face au vieillissement des centrales existantes, au risque de manque de capacités de production électrique et à la nécessité de conserver une électricité décarbonée. Mais le gouvernement a encore décidé… de ne rien décider et d’attendre, au mieux 2022, après l’élection présidentielle.

En matière de transition énergétique, le courage n’est pas la vertu première des gouvernements. Leur principale préoccupation est de ne pas s’attirer les foudres des écologistes et des moralisateurs recyclés en défenseurs de la planète. La Convention citoyenne en a été un bon exemple. Elle a donné l’illusion de la démocratie directe, a débouché sur des conclusions et des recommandations souvent anecdotiques et a réussi à ignorer des sujets essentiels mais susceptibles de faire vraiment polémique, le nucléaire, la taxe carbone et la politique européenne. Tant pis pour la réalité de la transition.

Le nucléaire indispensable à la transition selon le Giec

Le nucléaire est ainsi devenu un sujet tabou et les gouvernements incapables, comme ne cesse de le dénoncer la Cour des comptes, de construire des stratégies cohérentes de long terme. Il a ainsi encore toutes les chances d’être le grand absent lors de l’annonce le 24 août du plan de relance économique de 100 milliards d’euros. Et pourtant, l’avenir de cette énergie est essentiel pour trois raisons: le risque grandissant d’un manque de capacités de production d’électricité en France, l’atout qu’il représente pour assurer une production d’électricité décarbonée et pour finir le fait qu’il s’agit d’un des rares domaines ou, en dépit de déboires récents, la technologie française assure une certaine indépendance au pays.

D’ores et déjà, en cas d’hiver très rigoureux au cours des prochaines années, les risques de coupures d’électricité existent, même s’ils sont limités. Mais il est loin le temps où la France avait des capacités de production bien supérieures à la demande. Ensuite, l’électricité nucléaire est la plus décarbonée avec l’éolien. Elle permet aujourd’hui à la France d’être parmi les bons élèves de la transition. Le GIEC a ainsi établi que, sur l’ensemble de son cycle de vie, le nucléaire émet autant de CO2 que l’éolien et 3 à 4 fois moins que le solaire photovoltaïque. Les scénarios permettant de respecter les engagements de la COP21 impliquent, en plus du développement des énergies renouvelables, une augmentation importante (d’au moins 50%) de la part du nucléaire dans les productions électriques dans le monde.

Mais l’opinion en France, victime d’une désinformation massive sur le nucléaire, n’en a même pas conscience. Selon un sondage BVA réalisé il y a un an, dans l’esprit de la grande majorité des Français (69%) les centrales nucléaires contribuent au réchauffement de la planète… Plus préoccupant, les moins bien informés sont les plus jeunes. Toujours selon le même sondage, 86% des 18-34 ans interrogés jugent le nucléaire néfaste pour le climat.

Pas de décision avant 2022 et la présidentielle

Pour tenter de retrouver une stratégie nucléaire cohérente, les acteurs de la filière ont fait parvenir une liste de demandes à Bercy. Ils représentent 3.000 sous-traitants et 220.000 emplois Mais le gouvernement ne devrait pas y répondre… avant au mieux 2022. C’est-à-dire de fait avant l’élection présidentielle.

Pourtant, «c’est écrit: dans quinze ans, la France subira des coupures d’électricité, et nous serons contraints, dans l’urgence, de construire des centrales à gaz extrêmement polluantes. On convoquera les élus devant des commissions d’enquête, comme celles d’aujourd’hui sur le Covid-19. Et on leur dira: vous saviez, mais vous n’avez rien fait», s’emporte Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale.

Comme l’explique Le Point, Bernard Accoyer s’est lancé dans une croisade, traîner en justice les coupables de ce «crime d’écocide», prêts à sacrifier une filière dont même le GIEC reconnaît les vertus dans la lutte contre le réchauffement climatique. «Mais face aux gourous antinucléaires, qui pratiquent le mensonge, la peur, l’amalgame…, le président s’est couché», affirme Bernard Accoyer. Il a rallié à son combat Jean-Pierre Chevènement, ou Gérard Longuet, le président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Il est difficile d’imaginer qu’ils seront entendus. L’ancienne ministre de l’Écologie, Élisabeth Borne, comme sa successeure Barbara Pompili, antinucléaire affichée, n’ont eu de cesse de le rappeler: aucune décision ne sera prise avant 2022. La première avait même défendu publiquement la thèse d’une production d’électricité 100% renouvelable qui est considérée en l’état actuel de la technologie comme une absurdité par la quasi-totalité des experts.

Remplacer les vieux réacteurs

Elle est également responsable des deux textes organisant la transition énergétique en France dans les prochaines années, publiés en avril, la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) et la SNBC (stratégie nationale bas carbone). L’un comme l’autre illustrent le caractère irréel et irréaliste de la stratégie de transition française. Ils négligent les transports, la chaleur et l’industrie, grands consommateurs d’énergies fossiles, et privilégient l’électricité et le remplacement du nucléaire, qui émet peu de CO2, par l’éolien et le solaire, qui émettent peu de CO2! Et le problème des renouvelables est leur caractère intermittent et aléatoire. L’Allemagne en fait la douloureuse expérience depuis des années en y faisant face avec ces centrales à charbon. La France a la chance de pouvoir compter sur de l’électricité nucléaire qui émet très peu de gaz à effet de serre. Mais pour combien de temps encore?

Le constat, sans appel, est le suivant. Le parc nucléaire français fournit aujourd’hui plus de 70% de la production électrique. Mais les centrales vieillissent. Ainsi, 52 des 56 réacteurs en service après la fermeture de ceux de Fessenheim, ont été construits dans les années 1970-1980. Seuls les quatre réacteurs de Chooz et de Civeaux sont plus récents. Tous arriveront en fin de vie d’ici 2040. Même dans l’hypothèse où la loi de transition énergétique serait appliquée, qui prévoit la réduction de la part du nucléaire dans la production électrique à 50%, il faudra donc construire de nouvelles centrales nucléaires pour remplacer une partie du parc existant. Mais qui aura le courage politique de le reconnaître?

Le gouvernement refuse même que le sujet soit abordé. Cela aura des conséquences. Pour maintenir en 2035 la production électrique de la France à son niveau et à son coût actuels, EDF table, a minima, sur la construction rapide de trois paires de deux réacteurs de type EPR. Cela prendra bien plus de 10 ans…

La stratégie de transition énergétique en France est affectée d’une forme de pensée magique. Face à une impasse technique, le gouvernement n’oppose pour l’instant que des scénarios improbables. Ils parient sur l’installation de milliers d’éoliennes, intermittentes, et sur l’hypothèse d’une consommation stable d’électricité. Une prévision incohérente avec le scénario même de la transition qui nécessite pour réduire les émissions de gaz à effet de serre l’électrification de nombreux usages dont les transports, le chauffage… La SNBC prévoit une augmentation de 30% de la consommation d’électricité!

Les scénarios fantaisistes de l’Ademe

L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), qui avait déjà commis une étude jugée «folklorique» sur la possibilité d’atteindre 100% d’électricité renouvelable, continue sur la même voie. Elle propose un scénario assez irréaliste de couverture du territoire par des éoliennes et de baisse sensible de la consommation des entreprises et des particuliers, notamment grâce à une gestion dite optimisée du parc de véhicules électriques servant de stockage électrique aux habitations «pour l’utilisation de sources d’énergie courantes comme le chauffage, les aspirateurs, les lave-linge…». Un scénario qui ne s’appuie sur aucune réalité économique comme technologique. La production annuelle mondiale de lithium ne permettrait même pas de fabriquer le nombre de batteries nécessaire pour stocker une semaine de consommation d’électricité française.

Le CEA, la Société française d’énergie nucléaire, les industriels… alertent les pouvoirs publics sur les dangers de se lancer dans des scénarios irréalistes qui priveront à terme le pays d’une énergie propre, abondante et abordable. En vain. Emmanuel Macron a choisi de gagner du temps… et d’en perdre.

Sous domination chinoise

Dans le même temps, l’industrie nucléaire chinoise accélère son développement et ne cache plus ses ambitions. Elle entend construire une centaine de réacteurs en quinze ans et prendre le leadership mondial sur les avancées technologiques.

Dans un entretien publié dans le numéro du début de l’année du magazine Transitions & Energies, Jean-Marc Jancovici, résumait ainsi le risque que fait courir l’incapacité du gouvernement à prendre des décisions engageant l’avenir.  «Toutes les histoires de risques nucléaires passeront au second plan le jour où il y aura des ruptures d’alimentation électrique faute de vent ou de soleil. On se rendra compte alors qu’on ne peut pas se passer d’électricité à court terme sans désordres majeurs… si à ce moment notre filière est vraiment par terre, on fera probablement comme on a fait au début du programme nucléaire, on prendra une licence sur étagère. Mais les Chinois seront peut-être moins sympathiques que ne l’étaient les Américains dans les années 1960, et ils nous vendront alors à la fois la licence et le fait de construire les centrales!».

La rédaction