Transitions & Energies
Centrale nucléaire Gravelines wikimedia commons

Pour EDF, les prochains hivers s’annoncent difficiles


Pris entre les conséquences du coronavirus sur son calendrier de maintenance des centrales nucléaires, les retards à répétition de la construction du nouveau réacteur de Flamanville et les contraintes imposées par le gouvernement, EDF s’attend à des difficultés sérieuses de production lors des deux prochains hivers.

Le parc nucléaire français, qui a assuré l’an dernier plus de 70% de la production d’électricité du pays et a permis d’importantes exportations, se trouve face à des échéances difficiles à gérer simultanément. Il y a à la fois les retards à répétition de l’entrée en service de l’EPR de Flamanville, les arrêts exigés par le gouvernement des deux réacteurs de Fessenheim, les arrêts en cours de tranches pour maintenance qui se prolongent, faute notamment de moyens humains du fait du confinement, et pour finir la nécessité de revoir complètement le calendrier du grand carénage.

France Stratégie évoque dans une note publiée il y a quelques jours le fait que la crise sanitaire a conduit «à décaler un certain nombre de travaux de maintenance ou de chargement de combustible qui devaient avoir lieu d’ici l’hiver prochain…». La sécurité d’approvisionnement pour les deux hivers prochains inquiète à la fois, le gouvernement, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’industrie.

Plaidoyer pro domo d’Elisabeth Borne

«La crise que nous vivons nous montre les difficultés que nous avons à mener les grandes opérations de rechargement de combustibles et de maintenance de nos centrales nucléaires. Diversifier notre mix électrique, ne pas dépendre à plus de 70%d’une seule source d’électricité me semble plus que jamais le sens que nous devons retenir pour notre transition énergétique», a déclaré la ministre de la Transition écologique et solidaire Elisabeth Borne, lors d’une audition à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 30 avril. Elle a oublié au passage que les difficultés de rechargement sont liées avant tout aux conséquences sans précédents de l’épidémie… Mais il faut bien qu’elle justifie une politique de transition énergétique qui consiste presque exclusivement à remplacer l’électricité nucléaire par de l’électricité provenant d’éoliennes et de panneaux solaires. Une solution serait peut-être de retarder l’arrêt du réacteur numéro deux de Fessenheim prévu en juin. Mais difficile d’imaginer qu’Elisabeth Borne envisage une telle solution…

«Faute de personnels suffisants et du problème de respect des gestes barrières, les chantiers sont plus longs et l’activité réduite. Dans les centrales, la durée des arrêts de tranche est prolongée et une vingtaine d’arrêts ont été décalés», observe Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), auditionné à l’Assemblée nationale le 28 avril.

Pour pallier les absences dues au Covid-19, au manque de masques pour les sous-traitants et la baisse de la consommation comprise entre 15 et 20%, EDF a arrêté un nombre record de réacteurs et prolonger des arrêts. Le 28 avril, au moins 13 sur les 57 du parc n’étaient pas en production et 5 autres, pour des raisons de maintenance, seront arrêtés dans les prochains mois. EDF, qui doit être recapitalisé rapidement, a ainsi annoncé une baisse historique de sa production nucléaire pour 2020 à 300 térawatt heures (contre 375 à 390 TWh prévus), puis de 330 et 360 TWh en 2021 et en 2022.

Pas de marge de manœuvre de production

Les retards de calendrier s’enchaînent. Car les prolongations et reports d’arrêt de tranches nécessitent leur reprogrammation en 2021 et 2022. «Le vrai enjeu, c’est à partir d’octobre-novembre et pour les hivers 2020-2021 et 2021-2022, où la conséquence des arrêts de tranches se fera sentir», avertit Bernard Doroszczuk. Il ne s’agit pas uniquement de s’assurer «qu’il y a assez de réacteurs en exploitation» mais aussi d’avoir «des marges en manière de production» pour pouvoir faire face à des mises à l’arrêt imprévues de réacteurs.

Les grands industriels consommateurs d’électricité s’inquiètent. L’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN), dont le président Nicolas de Warren pointait déjà avant la crise des taux d’exploitation des centrales nucléaires par EDF sans cesse en baisse, et a même envoyé un courrier au gouvernement pour lui demander s’il pouvait encore s’appuyer sur le parc nucléaire pour investir.

Il y a en fait une contradiction flagrante entre la volonté du gouvernement de décarboner les sources d’énergie et donc d’accélérer l’électrification dans les transports et l’industrie notamment, et de mener une politique qui réduit les capacités de production. D’autant que la production d’électricité renouvelable, notamment par les éoliennes et les panneaux solaires, a pour principal inconvénient de n’offrir aucune stabilité et prévisibilité.

Les renouvelables augmentent l’instabilité du système

La baisse de la consommation électrique liée à l’épidémie de Coronavirus a mécaniquement entraîné une hausse des renouvelables qui bénéficient de priorités sur le réseau. France Stratégie y voit dans sa note récente un facteur de déstabilisation du système électrique en le rendant plus vulnérable aux à-coups de production de sources intermittentes, le vent et le soleil, et du fait également de l’effondrement des prix. France Stratégie évoque un «système électrique instable avec des marges réduites». Instable, parce qu’EDF doit être capable de mobiliser très rapidement et à tout moment des sources dites «pilotables», nucléaires, hydroélectriques ou fossiles, pour compenser les écarts de production des renouvelables éoliens et solaires qui représentent aujourd’hui une part plus grande de la consommation.

C’est à une autre échelle le problème de la révolution énergétique allemande (energiewende) qui contraint le pays à avoir recours à des centrales au charbon ou au gaz quand les éoliennes et les panneaux solaires cessent de produire suffisamment. Ces sources «pilotables» sont indispensables, de moins en moins utilisées, et donc de plus en plus coûteuses! Mais c’est le modèle que la France veut adopter…

La rédaction