<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Comment expliquer la spectaculaire baisse des prix de l’énergie en Europe

4 janvier 2023

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Nord Stream 2 Wikimedia Commons
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Comment expliquer la spectaculaire baisse des prix de l’énergie en Europe

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Les cours du gaz et de l’électricité ont connu depuis quelques jours une baisse spectaculaire en Europe. Ils sont même revenus pour le gaz à leurs niveaux d’avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les craintes de pénuries ont presque soudain disparu sur les marchés. Les températures très douces, la baisse sensible de la consommation notamment venue de l’industrie et les importations massives de Gaz naturel liquéfié (GNL) ont permis d’éviter le pire. Mais il ne faut pas de faire d’illusions. Avoir un peu de chance ne règle pas les questions de fond et n’efface pas le sérieux problème de sécurité de ses approvisionnements auquel l’Europe va faire face pendant des années.

L’Europe allait traverser son hiver le plus difficile sur le plan énergétique depuis les lendemains de la seconde guerre mondiale. Les pénuries de gaz et d’électricité allaient se multiplier. Les prix s’étaient envolés pendant une bonne partie de l’année 2022 alimentant une inflation généralisée et ce n’était qu’un début. Le gouvernement mettait en place des plans d’urgence de coupures tournantes d’électricité. De nombreuses usines ont réduit leur activité. Et puis rien. Plus étonnant encore, sur les marchés du gaz et de l’électricité en Europe l’année 2023 a commencé avec une chute des prix tout aussi spectaculaire qu’inattendue. Des températures anormalement douces et une baisse de la consommation ont déjoué les pronostics les plus sombres.

Mais si les prophètes de l’apocalypse se sont encore trompés, il ne faut pas se faire trop d’illusions. Avoir enfin un peu de chance, ne règle pas les problèmes de fond. Le plus dur est encore à venir pour l’Europe dans les prochaines années et lors des prochains hivers. Car le manque de gaz sur le marché et de capacités hivernales de production d’électricité quand les renouvelables intermittents (éolien et solaire) sont aux abonnés absents, sont bien réels.

Le prix du gaz revenu à son niveau d’avant l’invasion de l’Ukraine

En tout cas, le prix du gaz est revenu à son niveau d’avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier, avec un mégawattheure (MWh) pour février 2023 tombé à 72 euros le 3 janvier selon l’indice néerlandais TTF, la Bourse de référence européenne. Les cours n’avaient pas été aussi bas depuis le 21 février 2022. Ils avaient ensuite culminé à plus de 340 euros le MWh en août. Et les cours du gaz ont également sensiblement baissé sur les contrats à plus long terme. Ceux pour le quatrième trimestre de 2023 se négocient autour de 83 euros le MWh, contre environ 150 euros en moyenne au cours des derniers mois. Autrement dit, les marchés semblent désormais presque anticiper une sortie de crise. Il en va de même pour l’électricité. Le 7 décembre dernier, le MWh de courant s’échangeait sur le marché spot à 470 euros après s’être envolé à plus de 1.100 euros en août. Les prix sont revenus au cours des derniers jours à moins de 250 euros.

En fait, l’Europe bénéficie d’une conjonction de facteurs favorables liée à l’effet prix, à la douceur de la météo et à la faiblesse, provisoire, de la demande de gaz venant d’Asie. Le premier facteur est la destruction par les prix élevés de la demande d’énergie en Europe, venant notamment de l’industrie. La consommation a fortement diminué au cours des derniers mois, de 15% au second semestre en moyenne. Selon le gestionnaire français du réseau de transport d’électricité, RTE, l’industrie a réduit sa consommation de 12% en décembre. Pour ce qui est du gaz, le président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, expliquait déjà il y a quelques semaines avoir enregistré une baisse «très importante de la consommation, de l’ordre de 30%» sur un an dans de grands groupes industriels.

Les réserves souterraines toujours à des niveaux très élevés

Par ailleurs, en-dehors d’une courte vague de froid début décembre et des pics alors de consommation d’électricité surmontés sans trop de difficultés, les températures se sont avérées extrêmement clémentes dans toute l’Europe. L’Europe a ainsi pu éviter de «taper» dans ses réserves souterraines de gaz reconstituées par des importations record de gaz naturel liquéfié (GNL) mais aussi par la poursuite d’achats de gaz russe tout au long de l’année 2022 même si elle a été marquée par l’amenuisement continu des livraisons.

Conséquences, les stockages ont été peu sollicités, et restent à des niveaux exceptionnellement élevés, avec un taux de remplissage moyen de plus de 83% au niveau européen (contre 95% à la mi-novembre). Soit presque 30% de plus que l’an dernier à la même époque. Ils étaient à 54% en janvier 2022. Aujourd’hui, les stocks français sont pleins à 84% et les Allemands à 90% selon Gas Infrastructure Europe. L’Allemagne qui vient d’ailleurs de recevoir le 3 janvier son premier chargement de GNL sur son premier terminal flottant installé en urgence dans le port de Wilhelmshaven, le seul port allemand en eau profonde.

Maintenant, si l’accalmie est bien réelle, il ne faut pas se faire d’illusions sur la gravité des problèmes d’approvisionnement en énergie de l’Europe et de compétitivité qui en découlent. Même à 72 euros du MWh de gaz, on reste bien au-dessus des prix aux Etats-Unis compris entre 25 et 30 euros. Les factures des Français vont d’ailleurs grimper cette année puisqu’il est prévu que les tarifs réglementés du gaz et de l’électricité augmentent de 15%.

Des déséquilibres durables

Et puis l’optimisme des marchés n’est pas forcément une garantie. Si les températures venaient à baisser dans les prochaines semaines, la consommation de gaz et d’électricité pourrait s’envoler. En outre, les déséquilibres existant ne se corrigeront pas en quelques mois. Comme le soulignait à la fin de l’année dernière l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Union européenne fait face à un déficit potentiel de plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes de gaz naturel, compte tenu du fait qu’elle risque de devoir se passer totalement du gaz russe, ce qui n’a pas été le cas en 2022. Et le redémarrage de l’économie chinoise signifie que les besoins de GNL du pays vont augmenter sensiblement ce qui va réduire mécaniquement les possibilités européennes d’importations venant des Etats-Unis et du Golfe persique, notamment du Qatar.

«Si les importations de l’Union Européenne par gazoducs venant de Russie tombent à zéro en 2023 et la demande de GNL chinoise revient à ses niveau de 2021, alors l’Union Européenne va faire face à un sérieux problème d’approvisionnement» prévenait l’AIE dans son rapport publié le 12 décembre. L’Agence estimait alors que le déficit européen pourrait atteindre jusqu’à 57 milliards de mètres cubes de gaz, 15% de la demande.

Quand le ministre allemand des finances demande la levée de l’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste

La réalité incontournable est que la Russie était le principal fournisseur de gaz naturel à l’Europe assurant en 2021 près de 40% de ses besoins. Et si les exportations de gaz russe vers l’Europe ont fortement diminué l’an dernier, elles se sont néanmoins poursuivies. D’après les chiffres communiqués par Gazprom, ses exportations de gaz vers l’Union européenne et la Suisse ont chuté de 55 % en 2022. Mais il a tout de même livré encore 62 milliards de mètres cubes 2022 contre 138 milliards en 2021. Et la Russie continue en ce moment même à livrer du gaz en Europe via des gazoducs qui passent par l’Ukraine et la Turquie à un rythme de l’ordre de 25 milliards de mètres cubes par an selon l’AIE.

L’Union Européenne a pu faire face à la baisse de près de 80 milliards de mètres cubes de gaz russe l’an dernier en important massivement du GNL, en recourant au charbon et du fait de la destruction de la demande liée à l’envolée des prix. Les économies de gaz venant de l’industrie ont ainsi représenté environ 10 milliards de mètres cubes de consommation en moins et l’augmentation des importations de GNL a atteint 50 milliards de mètres cubes. Mais cela n’aurait pas été possible si l’économie chinoise n’avait pas tourné au ralenti du fait des confinements répétés pour lutter, en vain, contre l’épidémie de Covid. La Chine a un appétit considérable pour le GNL et a triplé ses achats entre 2016 et 2021 devenant le premier importateur mondial. L’an dernier, sa consommation a diminué de 30 milliards de mètres cubes qui ont pu être facilement reroutés vers l’Europe.

Mais l’année 2023 s’annonce différente. La Chine a mis fin à sa politique de zéro Covid et ses importations de GNL pourraient revenir à leur niveau de 2021. Et les fournisseurs ne pourront pas suivre. Les Etats-Unis et le Qatar ne connaitront pas une augmentation significative de leurs capacités de production avant au moins deux ans. Et les fournisseurs alternatifs de gaz à l’Europe via des gazoducs que sont la Norvège, l’Algérie et l’Azerbaïdjan sont déjà au maximum de leurs capacités.

Voilà pourquoi à la surprise générale, Christian Lindner, le ministre allemand des finances, a appelé la semaine dernière dans une interview accordée au journal Bild am Sonntag à une levée de l’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique. L’utilisation de cette méthode est interdite en Allemagne depuis 2017. Mais pour Christian Lindner, l’Allemagne doit lever l’interdiction et «alors les investisseurs privés pourront décider si l’extraction présente un intérêt économique». Les réserves de gaz de schiste dans le sous-sol allemand, et français d’ailleurs, sont considérées par les experts comme potentiellement très importantes. Mais dans les deux pays, leur exploitation est interdite pour des raisons environnementales et les recherches ont été abandonnées.

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