L’hiver est sous haute surveillance. Nous le savions. Lors de sa mise à jour de novembre, le gestionnaire du réseau électrique français (RTE) avait rehaussé son niveau de vigilance pour le mois de janvier. Les retards cumulés sur les redémarrages des réacteurs nucléaires faisaient alors peser une incertitude grandissante sur la capacité du pays à assurer la production électrique nécessaire à la couverture de sa consommation.
Mais il n’était pas anticipé que le réseau subirait un stress-test grandeur nature dès le mois de décembre, avec l’arrivée d’une vague de froid maintenue sur le pays par un anticyclone hivernal d’une rare puissance. Le pic de ce stress test a eu lieu lundi 12 décembre. Le pays a alors dû affronter des températures très largement en dessous des normales de saison (entre 5 et 6 degrés inférieures), dans un contexte de disponibilité des moyens de production électrique fortement dégradée.
Des marges de production hydroélectrique et de centrales à gaz en dépit de la vague de froid
Reprenons donc le contexte de ce début de semaine. La consommation française s’est élevée durant ce pic de froid à 82,4GW à 19h. Corrigée de l’aléa climatique, celle-ci est en baisse par rapport à 2019 (-6% environ). A cette heure, le soleil étant couché, le parc photovoltaïque ne délivrait rien. 0GW. Le climat anticyclonique à l’origine de cette vague de froid entraînait un vent faible, mais le pays disposait toutefois d’une production éolienne de 5,5GW à cet instant.
Le nucléaire a lui commencé la remontée promise par EDF. Il délivrait ainsi 41,1GW contre 30GW début novembre. C’est mieux, mais toujours très loin de son potentiel maximum (supérieur à 61GW). Et bien, malgré tout, la situation est restée sous contrôle tout au long de la journée. Alors certes, nous avons utilisé beaucoup de gaz (9,5GW) et d’hydraulique (16,4GW), mais aussi notre charbon à son maximum (1,8GW) et nos centrales fioul qui n’entrent en service qu’en dernier recours. Plus important, nous avons sollicité nos voisins jusqu’à hauteur de 11GW d’importations d’électricité pour nous soutenir.
Malgré tout, nous avons été capables de répondre à la demande tout en conservant des marges relativement confortables. Nous nous sommes ainsi offert le luxe d’exporter 3GW vers la Grande-Bretagne, et nous pouvions solliciter jusqu’à 4GW de gaz supplémentaire ainsi que 8GW d’hydroélectricité en plus.
Les hypothèses très pessimistes de RTE ne sont plus de mise
Cette journée est donc riche d’enseignements. Le premier est que le réseau français est solide et a passé haut la main ce stress-test en situation réelle, malgré de sérieux handicaps. Et ce, grâce simultanément au rattrapage d’une partie des retards d’EDF concernant le redémarrage des réacteurs nucléaires, mais aussi grâce à la force d’un réseau européen interconnecté qui a pu soutenir l’ensemble des pays frappés.
Le second, c’est que le risque à court terme est donc totalement écarté. Remercions pour cela la météo qui redevient favorable dès le début de semaine prochaine, avec une température beaucoup plus douce (baisse de la consommation à attendre), venteuse (donc bonne production éolienne) et pluvieuse (permettant de reconstituer les stocks hydrauliques qui pourraient être utiles pour la suite de l’hiver).
Mais la troisième, et sûrement la plus importante, porte sur les craintes qui pèsent sur le mois de janvier et les potentielles coupures de courant. Car il n’aura échappé à personne que cette hypothèse est arrivée il y a quelques semaines dans le débat politique suite à la fuite d’un document de travail, et aura été saisie par tous les médias sous l’axe «il y aura des délestages».
Or, pour comprendre, il faut revenir à la genèse de ce document de travail. Comme nous l’avons vu il y a quelques lignes, RTE avait dégradé ses prévisions concernant le passage de l’hiver pour tenir compte des retards d’EDF, et ne tablait plus, dans son scénario central, que sur 40 GW de nucléaire disponible. Ce qui était vraisemblablement insuffisant pour faire face à une forte vague de froid en janvier, en attendant le redémarrage fin janvier des réacteurs les plus puissants.
Or, il s’avère que ce scénario dégradé était volontairement pessimiste, afin de préparer le pire. Le pays disposant à l’heure où j’écris ces lignes de 42,5 GW de puissance nucléaire, l’objectif au 31 décembre est donc d’ores et déjà dépassé.
On pourrait finalement passer l’hiver sans coupures ou délestages
Nous attendons de plus encore trois redémarrages, dont un dès ce week-end, avant la fin de l’année, permettant de disposer d’un peu plus de 45 GW disponibles au premier janvier. Et ce paramètre a une importance cruciale.
En effet, la thermosensibilité du réseau électrique français (c’est-à-dire sa sensibilité à l’aléa thermique, principalement du fait du chauffage) est la plus importante d’Europe. Et un degré de moins par rapport à la moyenne saisonnière en hiver, c’est 2,4 GW de consommation supplémentaire en règle générale.
Disposer de 5GW de plus que le scénario dégradé permet de facto de supporter une vague de froid 2 degrés inférieure à celle planifiée avant d’anticiper le moindre délestage. Et 2 degrés, c’est une baisse majeure.
Il est donc aujourd’hui acquis que le risque de coupure de courant s’éloigne progressivement, et, qu’aujourd’hui, si ce scénario ne peut pas être exclu, sa probabilité s’affaiblit de jour en jour.
La France peut toujours être amenée à faire face début janvier à une vague de froid exceptionnelle qui pourrait contraindre à des délestages tournants, le réseau restant lourdement handicapé dans ses capacités de production. Il faut toutefois raison garder: ce n’est pas l’hypothèse la plus probable. Et il y a fort à parier que, malgré la panique insufflée par certains, formidable moteur politique et journalistique, l’on arrive à passer l’hiver malgré tout sans la moindre coupure.
Philippe Thomazo