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Les politiques et le stockage souterrain du CO₂: je t’aime, moi non plus


Il ne sera pas possible de tenir les engagements de réduction rapide des émissions de gaz à effet de serre sans retirer du CO2 de l’atmosphère. Il faudra le capter et ensuite le stocker. Mais les technologies sont encore embryonnaires, le modèle économique n’existe pas et les réticences politiques bien réelles.

C’est maintenant un fait tenu pour acquis depuis l’accord de Paris: quel que soit le chemin suivi pour atténuer l’impact du changement climatique, il faudra, pour compenser les émissions que l’on n’aura pas su éviter, retirer du CO2 de l’atmosphère, que ce soit par le recours à des solutions fondées sur la nature (piégeage de CO2 dans les sols ou la végétation) ou des solutions technologiques comme le stockage géologique de CO2, abrégé CSC en français pour « capture et stockage du carbone ».

Le CSC est en fait un assemblage de technologies qui comprend le captage et l’épuration sur des sites industriels des émissions de carbone, le transport du carbone et son stockage géologique. Le stockage cible principalement des réservoirs d’hydrocarbures épuisés, des aquifères salins ou des veines de charbon. Le CSC est d’abord utilisé pour réduire des émissions de CO2, en captant par exemple le CO2 des centrales thermiques à charbon. Mais il est également utilisé pour produire des « émissions négatives », en associant par exemple stockage du CO2 et production de bioénergie.

Le CSC reste toutefois une solution d’importance relative par rapport à d’autres solutions de décarbonation. Les rapports du GIEC proposent différents scénarios d’utilisation du CSC. À court terme (2030), le stockage géologique est considéré par le GIEC comme une technologie coûteuse et lente à déployer, avec une capacité de stockage estimée à 0,84 Gt par an, loin des 8,35 Gt du déploiement de l’énergie solaire et éolienne ou des 6,24 Gt des solutions fondées sur la nature (WPIII, 2022). À long terme (2050) cependant, le CSC est présent dans 7 des 8 scénarios pour maintenir le changement climatique en dessous de 1,5 degré, avec une place estimée à 3 Gt par an dans le scénario qui fait le plus appel aux énergies renouvelables.

Une solution d’atténuation du changement climatique au soutien fluctuant

Du fait de ce caractère nécessaire mais non prioritaire, la filière du CSC a bien du mal à trouver sa place comme solution d’atténuation du changement climatique. Elle s’est d’abord développée aux États-Unis dans les années 1970 comme technique de stimulation pétrolière, c’est-à-dire comme une façon d’améliorer l’extraction d’hydrocarbures en injectant un fluide dans une couche géologique afin de faire monter la pression.

En Europe, c’est ensuite un pays pétrolier, la Norvège qui, le premier, met en œuvre cette technique dès 1996 sur une plate-forme d’extraction du champ gazier de Sleipner. L’Union européenne soutient ensuite une politique de projets pilotes destinés à démontrer la viabilité de la technique à la fin des années 2000. Mais la crise financière de 2008-2009 douche rapidement les espoirs de la filière. La plupart des projets envisagés échouent à cause d’un mélange de facteurs : absence de modèle économique, manque de continuité dans l’investissement des industriels et oppositions des riverains ou de la société civile. Ces échecs révèlent surtout le faible portage politique de ces technologies. Il faudra donc attendre l’Accord de Paris et la mise en place par les États de stratégies de neutralité carbone pour remettre à l’agenda cet assemblage de technologies.

En France, cette histoire est déclinée d’une manière particulière : le CSC y est longtemps envisagé comme une filière d’export, et non comme une filière de décarbonation de l’économie. Si la France investit très tôt dans la filière, l’objectif est initialement de développer une expertise qui serait exportée internationalement, sur un modèle au fond identique à la filière pétrolière (la France exploitant du pétrole mais en produisant peu sur son sol). La mise en place du Club CO2 en 2002 par l’Ademe permet de structurer une coalition d’acteurs de la recherche et d’industriels qui participe à la dynamique européenne en faveur du CSC. Des projets se développent sur les différents éléments de la filière. Mais le seul projet de stockage géologique qui, en 2013, arrive à terme, est celui de Chapelle-de-Rousse, dans le Béarn. Opéré par Total, ce projet permet de stocker 50 000 de tonnes de CO2. Mais l’expérimentation reste sans lendemain.

Des technologies qui restent au stade de Recherche et Développement?

Alors qu’un projet baptisé Ulcos était lancé pour décarboner les hauts fourneaux de Lorraine, une cartographie géologique du Nord de la France révèle l’absence de gros sites de stockage, et le projet est abandonné en 2013. Comme ailleurs en Europe, le manque de soutien politique est patent. Jusqu’à très récemment, le sujet n’intéressait aucun ministre ou gouvernement. Rattaché au ministère en charge de l’Environnement, la thématique était, durant les années 2000 et 2010, jugée peu porteuse par les ministres successifs et malgré un soutien administratif continu, le CSC demeurait cantonné dans l’antichambre de la Recherche et Développement. Aucun stockage géologique n’est opéré sur le territoire français ; tout au plus la France participe-t-elle, au travers de TotalEnergies, à un projet de stockage géologique au large de la Norvège actuellement en cours d’exploitation.

Le sujet revient toutefois progressivement à l’ordre du jour depuis 2015. Des projets de capture de CO2 sont testés, notamment à Dunkerque, et l’ADEME s’est positionnée sur cette technologie. En 2022 et 2023, des études sismiques ont été entreprises dans le Bassin parisien pour estimer le potentiel de stockage et un projet de stockage géologique dans le bassin de Lacq (Pyrénées-Atlantiques) a de nouveau fait parler de lui localement. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le regain d’attention politique inédit depuis un an de ces technologies. Dans son discours du 25 septembre 2023, Emmanuel Macron a déclaré : « le deuxième chantier sur lequel on va accélérer en matière d’industrie, c’est celui des technologies de rupture, en particulier hydrogène et capture et séquestration de carbone. Et sur ce dernier sujet, une consultation est en cours et à l’issue, il faut que nous soyons capables de développer au moins un site en France, là aussi pour réduire notre dépendance à l’extérieur. »

Le discours a été très bien accueilli par les acteurs du secteur. Mais si l’objectif assigné par le président parait être de revenir à la situation du milieu des années 2000, en quinze ans, bien des choses ont évolué. Il ne s’agit plus d’expérimenter une technique, mais de développer une filière. Et quand bien même le soutien politique devrait être au rendez-vous, ce qui – l’histoire le montre – n’est pas acquis, le passage du projet expérimental à la filière opérationnelle pose quatre défis.

Quatre défis pour le déploiement de la filière CSC

Le premier est celle de la fiabilité des technologies CSC. Certes, en situation expérimentale, les résultats sont considérés comme concluants. Mais les expérimentations ont été mises en place dans des contextes géologiques particuliers en maîtrisant un certain nombre de paramètres. Si demain le stockage se déploie à grande échelle, dans des configurations géologiques moins optimales, le risque de fuite ne pourra être totalement écarté. De même, l’injection rapide de grandes quantités de CO2 dans des réservoirs d’hydrocarbure épuisés pourrait induire une sismicité dont il faudra s’assurer qu’elle ne dépasse pas les seuils acceptables.

Le second défi est interne à la filière. Pour l’instant, plusieurs solutions sont en compétition : le stockage massif offshore est actuellement préférée avec des projets opérationnels (au large des côtes norvégiennes) ou sur le point de l’être (au large des Pays-Bas). Mais pour passer à un stockage continental à grande échelle, il faudra faire des choix sur les quantités à stocker, les formations géologiques à préférer, les associations de technologies à éventuellement opérer – choix qui pour l’heure ne sont pas faits et donnent l’impression d’un certain flou qui n’est pas pour rassurer.

Le troisième enjeu, celui du modèle économique, est au moins aussi important. L’importance des infrastructures à déployer, notamment pour le transport du CO2, le coût combiné des opérations, reconnu par le GIEC comme étant le plus élevé des techniques de décarbonation, pose la question de savoir qui va payer pour le CO2. On estime actuellement le coût de la tonne stockée entre 77 et 143 euros en offshore et 69 à 110 à terre (estimation de l’Ademe), soit plus que le prix maximal atteint par la tonne de CO2 sur les marchés carbone (et bien plus que le prix le plus souvent constaté). Rentabiliser le stockage géologique est possible, mais cela passera à la fois par de très nettes améliorations technologiques et un soutien politique sur les prix qui a jusqu’ici été plutôt défaillant.

Tant que ces questions ne sont pas résolues, le quatrième défi, celui de l’accueil qui sera réservé par les publics à cette solution restera en suspens. Pour l’instant, la position des publics a été ambivalente : certains projets ont échoué du fait d’oppositions importantes, notamment aux Pays-Bas et en Allemagne, mais ailleurs – en Allemagne encore, et en France – les projets ont pu être menés à terme. Il est évident que le CSC bénéficie a priori de l’image peu favorable des technologies de compensation. Mais c’est surtout le caractère non prioritaire de cette solution et le soutien aléatoire des pouvoirs publics qui a jusqu’ici limité le développement du CSC.

Sébastien Chailleux Maître de conférences en science politique, Sciences Po Bordeaux

Arnauld de Sartre Directeur de recherches en géographie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.

La rédaction