Transitions & Energies

Les leçons à tirer des prévisions erronées faites dans les années 1980 sur l’expansion de l’énergie nucléaire


Il faut être très prudent avec les modèles de prévisions des évolutions énergétiques. La grande majorité des modèles et scénarios que nous assènent jour après jour les institutions et organismes nationaux et internationaux et les ONG et universités en mal de notoriété ont souvent assez peu de valeur. Ces simulations reposent trop souvent sur des hypothèses contestables visant avant tout à conforter la thèse développée par les auteurs des études. C’est ce que met en avant une étude publiée dans la revue scientifique Risk Analysis et réalisée par des chercheurs de l’Université de Reading au Royaume-Uni. Elle remonte jusqu’aux études qui dans les années 1980 annonçaient l’ascension irrésistible de l’énergie nucléaire. Il n’en a rien été… sauf en France. Pour que les études en question soient à la fois plus honnêtes et plus fiables, il faut qu’elles soient beaucoup plus transparentes sur la façon dont sont déterminées les hypothèses et qu’elles admettent d’emblée leurs limites.

A en croire de multiples prévisions d’experts faites dans les années 1980, l’industrie nucléaire devait conquérir le monde, dominer la production électrique et supplanter en quelques décennies les centrales à charbon. Il n’en a rien été. Une étude publiée dans la revue scientifique Risk Analysis et réalisée par des chercheurs de l’Université de Reading au Royaume-Uni analyse les causes de cette gigantesque erreur de prévision et en tire des conclusions applicables aux modèles théoriques actuels qui annoncent le développement presque exponentiel de certaines sources d’énergie et technologies.

Des hypothèses déterminées pour parvenir au résultat voulu

L’étude souligne que les modèles de prévisions des évolutions énergétiques sont souvent problématiques. Et ce qui est plus grave, les politiques publiques sont élaborées à partir de ses simulations construites à partir de modèles mathématiques qui anticipent les évolutions de la demande d’électricité et des coûts technologiques. Il y a encore très peu d’années en France une grande entreprise publique comme RTE (Réseau de transport d’électricité) et l’agence de la transition écologique, l’Ademe, prévoyaient une baisse importante de la consommation d’électricité dans les prochaines décennies…

Une aberration puisque la transition énergétique consiste par nature à électrifier les usages pour les décarboner dans les transports, l’industrie, la chaleur… Les modèles de RTE et l’Ademe étaient absurdes parce que les hypothèses de départ, tout aussi absurdes, d’une baisse drastique de la consommation d’énergie avaient été déterminées pour aboutir au résultat voulu.

Le problème principal est que souvent ses simulations reposent sur des hypothèses peu fiables, très influencées par la thèse développée par les auteurs des études. Pour que les études en question soient à la fois plus honnêtes et plus fiables, il faut qu’elles soient beaucoup plus transparentes sur la façon dont sont déterminées les hypothèses et aussi qu’elles admettent d’emblée leurs limites.

Peu importe les réalités économiques, sociales, politiques, environnementales et techniques

Comme le dénonce l’universitaire Vaclav Smil, l’un des plus grands experts mondiaux de l’énergie, la grande majorité des modèles et des scénarios que nous assènent jour après jour des institutions et organismes nationaux et internationaux, des ONG et des universités en mal de notoriété ont peu de valeur. Ils consistent à fixer arbitrairement des objectifs à atteindre d’ici 2030, 2050 ou 2060 et travailler ensuite à rebours pour intégrer les évolutions et les étapes nécessaires pour y parvenir. Peu importe les réalités économiques, sociales, politiques, environnementales et encore moins les impératifs techniques… L’histoire ne se dicte pas par « des armées d’experts instantanés » qui font tourner sur des ordinateurs des modèles plus ou moins élaborés qui permettent d’atteindre des objectifs majeurs modifiant profondément la vie de milliards de personnes dans des années se terminant par zéro ou cinq !

L’adoption généralisée de l’énergie nucléaire était annoncée comme inéluctable par des simulations informatiques réalisées il y a plus de quarante ans avec les mêmes logiques que celles produites en masse aujourd’hui. Il s’agissait tout autant de modèles de transition énergétique et de remplacement de technologies et d’équipements par d’autres.

« Il est inquiétant que les décisions reposent sur quelques modèles sans que l’on s’interroge sur leurs limites »

« La politique énergétique concerne tout le monde, il est donc inquiétant que les décisions reposent sur quelques modèles sans que l’on s’interroge sur leurs limites. En remettant en question les hypothèses et en explorant ce que nous ne savons pas, nous pouvons améliorer la prise de décision » explique Samuele Lo Piano, le chercheur de l’université de Reading qui a dirigé l’étude. « Nous devons reconnaître qu’aucun modèle ne peut prédire parfaitement l’avenir. Mais en étant franc sur les limites des modèles, le débat démocratique sur la politique énergétique s’améliorera », ajoute-t-il.

Samuele Lo Piano a contribué à un ouvrage collectif universitaire très pertinent sur les limites des modèles mathématiques qui vient juste d’être publié par Oxford University Press intitulé The Politics of Modelling, Numbers between Science and Politics (La politique de la modélisation, Des chiffres entre science et politique).

La rédaction