Transitions & Energies

Les réseaux électriques de futures générations permettront-ils d’ajuster offre et demande?


L’augmentation rapide de la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables intermittentes a un impact important sur la fiabilité et la sécurité des réseaux électriques. Rappelons qu’ils doivent en permanence et en temps réel équilibrer production et consommation. Les réseaux dits intelligents apportent en partie une réponse à ce problème mais nécessitent des investissements considérables dans les prochaines décennies.

Le secteur électrique constitue un des secteurs énergétiques les plus polluants, responsable de 42,5 % des émissions mondiales de CO₂. S’il doit travailler à devenir plus propre et à faire face à la précarité énergétique, il se voit également confronté à de nouvelles contraintes, telles qu’une demande croissante, particulièrement en période de pointe, mais aussi en raison de nouveaux usages comme les véhicules électriques. Il lui faut aussi composer avec le vieillissement des infrastructures des réseaux.

Les acteurs du secteur se tournent donc désormais vers le déploiement des ressources renouvelables. Néanmoins, certains inconvénients inhérents à ces ressources, comme leur caractère intermittent et les problématiques d’occupation spatiale, requièrent le développement d’un mécanisme efficace de gestion de l’énergie. De nouveaux réacteurs nucléaires EPR doivent également sortir de terre en France pour renouveler le parc existant mais, hormis Flamanville sur le Cotentin, ne sont pas attendus avant 2035. C’est pourquoi les ingénieurs travaillent d’autre part à développer des technologies de pointe pour rendre la demande d’électricité plus flexible.

Actuellement, la demande en électricité est considérée comme aléatoire : c’est à l’offre de s’adapter pour trouver un équilibre. Dans le réseau de demain, l’intermittence des énergies renouvelables déplacera vraisemblablement le caractère aléatoire de la consommation vers la production. La demande devra donc être flexible et maitrisée grâce à des programmes de gestion spécifiques.

En remodelant la demande, le parc de production pourrait être géré efficacement, et les coûts lissés. En outre, le dimensionnement du parc s’ajustant à la demande maximale d’électricité, la capacité totale et le coût d’investissement seront atténués en réduisant cette demande maximale.

Lisser les pics

Des recherches ont montré que les programmes de pilotage de demande agissent sur l’allure de la courbe de charge d’électricité de trois manières : en décalant les charges (Load shifting), en écrêtant les pointes (peak clipping) et en remplissant les creux (valley filling). Le déplacement de la demande décale l’usage d’un appareil électrique, c’est-à-dire reporte ou avance une demande d’une tranche horaire à une autre. La réduction du pic de demande électrique est atteinte grâce à la diminution ou la coupure ponctuelle d’un usage électrique. Cette solution réduit la puissance électrique en période de pointe et induit ainsi une baisse de consommation. C’est par exemple inciter les consommateurs à diminuer la température de leur chauffage.

Tandis que ces deux premières techniques visent à égaliser la courbe de charge en s’intéressant aux pics de demande, le « valley filling » s’applique, lui, à augmenter la charge durant les périodes où elle est moins importante. C’est programmer son lave-linge ou son lave-vaisselle en période creuse par exemple.

Il convient de noter que ces programmes énergétiques contribuent aux baisses des pics de consommation. On parle parfois d’« effacement de consommation ». Ils pèsent actuellement pour environ 3 900 MW mobilisables en France en 2023, encore loin de l’objectif de 6 500 MW inscrit dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) à horizon 2028. 6 500 MW, c’est à peu près l’équivalent de ce que peuvent fournir quatre réacteurs nucléaires de type EPR comme celui actuellement en phase d’essai à Flamanville.

Dans ce contexte, nos recherches soulèvent deux problématiques inhérentes à la gestion énergétique dans le réseau électrique intelligent. Comment aider le propriétaire d’une maison à prendre une décision d’adhésion à un programme énergétique dans le but de réduire sa consommation énergétique ? Et comment répartir l’énergie d’une manière équitable entre les consommateurs tout en prenant en compte les contraintes d’énergie des sources renouvelables et en répondant aux besoins énergétiques variés des consommateurs ?

Au carrefour des systèmes électriques et des télécommunications

Une des pistes pour pouvoir répondre à ces nouvelles problématiques est de développer les technologies de réseaux électriques intelligents de future génération (Next Generation Smart Grids, NGSG). Il s’agit des systèmes énergétiques qui évoluent d’une structure monodirectionnelle des flux énergétiques et informationnels (de la production vers la consommation), à une structure fondée sur des interactions bidirectionnelles.

L’objectif des NGSG est de fusionner les technologies de télécommunication et le système électrique géré par les opérateurs de production énergétique. Il est judicieux de noter qu’ils ne visent pas une conversion radicale des technologies mais une évolution des réseaux actuels dans le but d’assurer une communication entre les différents acteurs.

Bien que des éléments rendant le réseau intelligent existent déjà, la différence entre les NGSG et les réseaux électriques actuels se situe dans leur capacité à gérer plus de complexité. En effet, ces réseaux intelligents devraient évoluer pour permettre une gestion en temps réel de la consommation électrique : prédiction, équilibrage de charge, détection, surveillance des pannes et aide à la prise de décision du programme énergétique.

Avec les NGSG, tous les appareils électriques devraient être connectés et contrôlés dans le but de gérer et surveiller la consommation électrique et afin de remonter des informations et recevoir des commandes de contrôle. La prolifération significative d’objets connectés localisés dans les maisons requiert en effet un mécanisme de gestion efficace.

Ce dernier peut prendre appui sur les réseaux mobiles 5G avec notamment la technique SDN (Software Defined Network). Cette dernière s’avère particulièrement prometteuse. Elle prodigue une architecture qui sépare les fonctions de transport des fonctions de contrôle du réseau. Elle fournira ainsi l’équilibrage de charge, le déplacement de charge électrique, l’ajustement dynamique des chemins de routage suite aux commandes de contrôle, la détection rapide des pannes, l’autoréparation et la surveillance et la planification des flux de trafic électriques critiques.

Par ailleurs, les objets connectés dans les NGSG sont capables de générer, collecter et traiter des quantités massives de données. Ces sources de données ouvrent de nouvelles pistes pour concevoir de façon fiable et efficace les réseaux électriques. Les réseaux futurs proposeront en effet l’intégration des techniques d’apprentissage automatique pour le traitement en temps réel des données et la prise de décision du meilleur programme énergétique. Celles-ci seraient puisées tant du côté de l’offre que de la demande.

Dans ce contexte, l’utilisation d’un algorithme d’apprentissage automatique contribuera à l’optimisation de la consommation énergétique. Celui-ci prendra en considération les diverses variables impliquées dans la distribution d’énergie renouvelable et la consommation d’énergie, afin de maximiser l’énergie de production durant les jours nuageux et sans vent. Cet algorithme interprète les fluctuations de la demande et l’évolution des conditions météorologiques afin de prévoir l’énergie demandée, et d’anticiper les problèmes inhérents aux réseaux électriques avec pour objectif de mettre en place des moyens d’amélioration des lignes de distribution.

Rola Naja Enseignante chercheuse dans le domaine de l’informatique et réseaux, ECE Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.  Lire l’article original sur The Conversation.

La rédaction