Transitions & Energies
Les deux EPR de Taishan Chine

L’Inde pour relancer le nucléaire français et EDF


EDF a remis il y a quelques jours son offre définitive pour la construction en Inde de la plus grande centrale nucléaire du monde comprenant six réacteurs EPR. Il s’agit d’un projet qui remonte déjà à plusieurs années et qui avait été stoppé par l’accident de Fukushima en 2011. Il a été relancé en 2018 et semble aujourd’hui pouvoir être mené à terme en dépit d’oppositions locales. Un tel succès serait particulièrement bienvenu pour l’avenir de la filière nucléaire française et même d’EDF.

Après la Finlande, la Chine et le Royaume-Uni, c’est au tour de l’Inde de vouloir adopter le réacteur nucléaire français de troisième génération, l’EPR. Dans un océan de doutes, d’incertitudes sur son avenir, de difficultés financières et stratégiques et de critiques, il s’agit d’une très bonne nouvelle pour la filière nucléaire française et plus particulièrement pour EDF.

L’électricien public français a ainsi annoncé à la fin de la semaine dernière avoir franchi une étape cruciale dans la conclusion d’un contrat définitif avec l’Inde en remettant une «offre technico-commerciale engageante française en vue de la construction de six (réacteurs) EPR sur le site de Jaitapur». Cette gigantesque installation serait capable d’alimenter 70 millions de foyers et serait tout simplement la plus puissante centrale nucléaire au monde avec une capacité installée d’une puissance de 9,6 GW (gigawatts).

Un projet ressuscité en 2018

EDF n’entend pas être directement un investisseur dans le projet ni l’opérateur responsable de la construction comme il peut l’être pour les EPR en construction de Flamanville en France et d’Hinkley Point au Royaume-Uni. EDF fournira la technologie, la formation et un certain nombre d’équipements à des partenaires indiens qui construiront la centrale. Framatome fournira également des équipements, notamment pour le système de production de vapeur et General Electric (ex Alstom) fournira des turbines à vapeur de type Arrabelle.

Il s’agit en fait d’un vieux projet ressuscité depuis 2018. Les premiers accords concernant la fourniture à l’Inde de la technologie EPR ont été signés sous la présidence de Nicolas Sarkozy avec Areva qui a été depuis démantelé et dont EDF a hérité d’une partie des activités. L’accident de la centrale japonaise de Fukushima en 2011 avait mis un coup d’arrêt au projet, comme à de nombreux autres. Mais les deux pays ont relancé les négociations en 2018. Le lancement de la construction a été pourtant à nouveau retardé malgré le soutien du gouvernement indien de Narendra Modi. Car le projet fait l’objet depuis des années d’oppositions locales dont, jusqu’à récemment, celle du parti au pouvoir dans l’Etat de Maharashtra où se trouve Jaitapur. Les critiques se concentrent sur le risque de séismes dans l’État du Maharashtra où se trouve Jaitapur.

L’Inde possède aujourd’hui 23 réacteurs nucléaires en service. La plupart sont d’un modèle à eau pressurisé développé dans le pays. Deux réacteurs en opération à Kudankulam dans le sud du pays (Etat de Tamil Nadu) sont d’un modèle russe et ont été fournis par Moscou. Quatre autres réacteurs du même type sont en construction à Kudankulam. L’Inde considère que l’énergie nucléaire est un élément indispensable à sa transition énergétique pour faire face à l’augmentation rapide de la demande d’électricité et pour remplacer un jour des centrales à charbon. L’Inde entend également devenir une puissance du nucléaire civile et pouvoir rivaliser avec la Chine qui est le seul pays aujourd’hui à posséder sur son sol deux réacteurs de type EPR en fonctionnement.

Les malheurs de l’EPR

Car le parcours de l’EPR est loin, très loin, d’être un long fleuve tranquille. Conçu pour être le réacteur le plus sûr au monde, il a accumulé les difficultés industrielles comme économique. Sur les six réacteurs dont la construction a été lancée, seuls deux fonctionnent, ceux qui se trouvent en Chine à Taishan à 120 kilomètres au sud-ouest de Hong Kong (voir la photographie ci-dessus). Les deux en construction à Hinkley Point, ont été lancés récemment, mais le chantier du réacteur Finlandais à Olkiluoto, le premier de la série et du deuxième, à Flamanville en France, ont été des cauchemars

L’EPR a été lancé en 1992. Il devait être à l’origine développé en commun par le français Areva et l’allemand Siemens au sein de leur filiale commune. Mais Siemens s’est rapidement retiré. L’opinion publique allemande a toujours été profondément hostile au nucléaire depuis 50 ans.

L’EPR offre une puissance très élevée (1.650 mégawatts) et bénéficie d’une multiplication et d’une redondance des systèmes de sécurité. Il est ainsi présenté comme le réacteur le plus sûr au  monde. Les principaux systèmes de sûreté ainsi que leurs systèmes support comportent quatre voies indépendantes et géographiquement séparées. La réserve d’eau utilisée pour refroidir le cœur en cas de brèche sur le circuit primaire est située à l’intérieur du bâtiment du réacteur,  protégée des agressions externes. Le bâtiment du réacteur, le bâtiment d’entreposage des assemblages combustibles usés ainsi que deux des quatre bâtiments abritant les systèmes de sauvegarde sont protégés de la chute d’avion par une épaisse structure en béton. Enfin, un récupérateur de corium permet de refroidir le cœur fondu en cas d’accident grave. Situé au fond du bâtiment du réacteur, il permet de recueillir et de refroidir le corium (mélange résultant de la fusion du combustible et des structures internes de la cuve).

Le premier chantier d’un EPR a été lancé à Olkiluoto (Finlande) en 2005, pour le compte de l’électricien TVO, avec Areva et Siemens comme maîtres d’œuvre. Mais les contretemps et dérapages budgétaires se sont accumulés. Le chargement du combustible a enfin obtenu son feu vert fin mars et l’entrée en service est prévue au début de l’année prochaine avec plus de dix ans de retard. Le deuxième EPR, en chantier depuis 2007 à Flamanville (Manche) en France a accumulé les déboires… Les coûts auront été multipliés au moins par 3,3 et les délais de construction par 3,5. Il devrait, si tout se passe bien, entrer en service en 2023 et son coût de fabrication sera alors compris entre 13 et 14 milliards d’euros.

Pour l’Agence internationale de l’énergie, pas de transition sans nucléaire

A Hinkley Point, le début de production d’électricité par le premier réacteur est prévu en juin 2026 au lieu de fin 2025 comme annoncé initialement. Les coûts du projet ont aussi été rehaussés: entre 22 et 23 milliards de livres désormais, contre 21,5-22,5 milliards auparavant. Le gouvernement britannique a aussi engagé des discussions pour la construction d’une nouvelle centrale, Sizewell C, dans le Suffolk sur la côté Est de l’Angleterre. Elle doit être une quasi réplique de Hinkley Point C.

EDF est aussi en négociation avec d’autres pays européens comme la Pologne ou la République Tchèque pour y construire des EPR et travaille aussi sur une nouvelle version du réacteur permettant de réduire les coûts et les délais de construction. La France envisage de construire six EPR pour remplacer en partie les centrales nucléaires vieillissantes, mais aucune décision ne sera prise avant l’élection présidentielle de 2022.

Pour l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’énergie nucléaire est indispensable à la transition énergétique et la négliger ou l’abandonner seraient des erreurs majeures. Pour atteindre les objectifs climatiques, il faut que la production d’électricité bas carbone dans le monde triple d’ici 2040. Comme l’expliquait l’AIE en octobre dernier, «cela revient à ajouter l’ensemble du système électrique du Japon au réseau mondial chaque année. Il est très difficile de voir comment cela peut se faire sans une contribution majeure de l’électricité nucléaire».

À la fin 2020, 412 réacteurs nucléaires étaient en service dans le monde dans 33 pays, pour une puissance installée de 367,1 GW (gigawatts). Quatre nouveaux pays se sont lancés dans l’énergie nucléaire au cours des dernières années, le Bangladesh, le Belarus, les Emirats Arabes Unis et la Turquie. D’autres pays qui dépendent encore du charbon pour produire leur électricité, souhaitent se lancer comme la Pologne, ou développer un secteur nucléaire déjà existant comme la République Tchèque.

La rédaction