Réacteurs nucléaires à neutrons rapides, un enjeu majeur de souveraineté

16 juin 2025

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Réacteurs nucléaires à neutrons rapides, un enjeu majeur de souveraineté

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Un rapport d'alerte, rendu public le 16 juin par l’Ecole de guerre économique, rappelle combien l’innovation en matière nucléaire et plus particulièrement les réacteurs de quatrième génération, dits à neutrons rapides, peuvent assurer la production sur très longue période d’une électricité décarbonée, abondante et souveraine. Car cette technologie permet notamment d’utiliser comme combustibles les déchets nucléaires accumulés depuis des décennies et ainsi d’en incinérer une bonne partie, notamment les plus radioactifs. Une technologie qualifiée de « nucléaire durable » que la France a dominé avant qu’elle ne soit sacrifiée pour des raisons politiciennes inavouables par Lionel Jospin avec la fermeture du réacteur Superphénix et, 20 ans plus tard, par Emmanuel Macron avec l’abandon en 2019 du projet ASTRID. Mais le Conseil de Politique Nucléaire de mars 2025 a acté un revirement, dont Emmanuel Macron est coutumier, et la relance d’un programme de développement d’un réacteur à neutrons rapides. Il est indispensable, affirme l'Ecole de guerre économique, qu’il se concrétise rapidement.

L’avenir de l’énergie nucléaire passe par un changement de technologies. La fusion qui fait rêver, peut-être à la fin du siècle, et plus proches de nous car déjà expérimentés les réacteurs de quatrième génération, dits à neutrons rapides. Ils offrent de considérables avantages. Ils permettent d’utiliser et de recycler les déchets nucléaires accumulés depuis des décennies. Ils permettent ainsi de boucler le cycle du combustible, comme disent les experts, et de se débarrasser au passage d’une bonne partie de ses déchets. La France dispose ainsi de quoi faire fonctionner un parc de centrales pendant des centaines d’années sans avoir besoin d’importer le moindre gramme d’uranium. D’autant plus que les neutrons rapides permettent la surgénération, ce que le réacteur expérimental Phénix avait montré. Ils donnent la possibilité de produire plus de plutonium qu’ils n’en consomment.

En outre, les réacteurs à neutrons rapides offrent un potentiel de sûreté supérieur à celui des réacteurs actuels en étant refroidis par du métal liquide (sodium, voire du plomb) et non pas par une circulation d’eau sous très haute pression. Enfin, autre avantage, la France a longtemps dominé cette technologie. Même si elle a été sabotée et abandonnée sous la pression des écologistes par Lionel Jospin d’abord avec la fermeture du réacteur Superphénix (voir la photographie ci-dessus) et 20 ans plus tard par Emmanuel Macron avec l’arrêt en catimini en 2019 du projet de réacteur ASTRID (acronyme de l’anglais Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) . Mais il s’est produit un petit miracle avec le revirement d’Emmanuel Macron, dont il est coutumier, et la décision du Conseil de politique nucléaire de mars 2025 de relancer un projet de réacteur à neutrons rapides.

« Cette décision ne peut rester symbolique »

Mais faut-il encore que cette promesse se concrétise… Tel est en substance le message du rapport d’alerte de 40 pages que vient de publier le 16 juin l’Ecole de guerre économique. Il est intitulé : Réacteurs à neutrons rapides, une relance stratégique pour une souveraineté énergétique durable. « En lançant son programme de réacteurs à neutrons rapides (de Rapsodie à ASTRID en passant par Phénix et Superphénix), la France s’était dotée d’une stratégie claire, structurée et séquencée. Forte de plus de 60 années d’exploitation cumulée de cette technologie, elle disposait d’une avance technologique incontestable. Pourtant, cette filière a été progressivement démantelée, non par manque de résultats, mais sous l’effet de revirements politiques successifs… Si le Conseil de Politique Nucléaire (CPN) de mars 2025 marque un revirement salutaire en annonçant la relance d’un programme RNR, cette décision ne peut rester symbolique. Elle doit s’accompagner d’une véritable stratégie industrielle, dotée de moyens et d’un calendrier précis », écrit l’Ecole de guerre économique.

Elle ajoute qu’il s’agit d’une question devenue essentielle de la souveraineté énergétique du pays.  « L’absence de stratégie industrielle claire pour cette filière pourrait affaiblir progressivement la position technologique de la France. Aujourd’hui, ce désengagement fait peser un risque historique pour le pays : celui d’une colonisation technologique inversée, où la France, jadis leader mondial, pourrait devenir à terme cliente de technologies étrangères dans un secteur qu’elle a longtemps dominé. Car États-Unis, Chine, Russie ont su voir dans cette technologie tout son potentielfaute d’une relance claire, forte et durable… la France s’expose à un double déclassement : devenir dépendante de technologies étrangères qu’elle a elle-même contribué à développer, tout en restant captive des fluctuations d’une ressource critique, l’uranium qu’elle ne possède pas sur son territoire ».

Une technologie plus prometteuse que celle des EPR

En fait, la technologie des réacteurs à neutrons rapides est plus pérenne et sûre techniquement et économiquement que celle des EPR. Elle permet de consommer comme combustibles les déchets accumulés depuis des décennies par les réacteurs en service (uranium appauvri et plutonium) et d’en avoir pour des milliers d’années de fonctionnement… Elle permet également de produire peu de déchets qui ont en plus une durée de vie radioactive limitée et enfin d’être, de par sa conception, plus sûre. Les systèmes de refroidissement utilisent un métal liquide, en général le sodium, ce ne sont plus des canalisations d’eau à haute pression. Enfin, la technologie a été maîtrisée. La France a fait fonctionner le réacteur Phénix pendant trente-cinq ans et il a prouvé la réalité de la surgénération.

Pour alimenter un réacteur à neutrons rapides, il faut du plutonium et de l’uranium appauvri qui est le résidu de la fabrication de l’uranium enrichi qui se trouve dans les réacteurs actuels comme combustible. Le réacteur à neutrons permet aussi la surgénération, c’est-à-dire qu’il produit à la longue plus de plutonium qu’il n’en consomme. La France a aujourd’hui 350.000 tonnes d’uranium appauvri stocké et en ajoute 7 000 tonnes de plus tous les ans dont elle ne sait que faire. Il est très peu radioactif car il a été appauvri et facile à stocker. Il est disponible gratuitement. Le plutonium également. La France en produit 10 tonnes par an à La Hague dans l’usine de retraitement et a en stock environ 200 tonnes. Ce n’est pas un plutonium militaire. Il est « plein » d’isotopes très gênants pour faire une bombe. En quelque sorte, il est sale.

Des milliers d’années de combustibles gratuits

Cela signifie que la France détient en quantités considérables tous les matériaux, dont elle ne sait que faire, pour alimenter le fonctionnement de dizaines de réacteurs à neutrons rapides pendant des milliers d’années… Avec 20% de plutonium et 80% d’uranium appauvri, le réacteur démarre et tous les ans il faut rajouter de l’uranium appauvri pour maintenir la réaction. Un réacteur rapide d’une puissance d’un GW consomme une tonne d’uranium appauvri par an. La France a aujourd’hui une puissance nucléaire installée de 63 GW. Pour produire le double, soit 126 GW avec des réacteurs à neutrons rapides, il lui faudrait y consacrer tous les ans 126 tonnes d’uranium appauvri. Avec son stock actuel, elle en a suffisamment pour 2 778 ans… Plus besoin d’importer de l’uranium et de faire fonctionner des usines d’enrichissement.

« En développant ses réacteurs à neutrons rapides, la France pourrait exploiter des ressources énergétiques présentes sur son territoire pour plusieurs millénaires, renforçant ainsi durablement sa sécurité énergétique et la compétitivité des secteurs qui en bénéficient. Loin d’être une alternative, cette filière s’inscrit en parfaite complémentarité avec la filière historique des réacteurs à eau pressurisée (REP), formant ensemble un modèle nucléaire intégré et pérenne… Relancer la filière des réacteurs à neutrons rapides au sodium [refroidis au sodium liquide] selon une approche duale (combinant réacteurs de puissance et petits réacteurs modulaires) représente une opportunité majeure pour la France. Cette stratégie permettrait de renouer avec un leadership historique dans le domaine nucléaire », résume l’Ecole de guerre économique.

« Le nucléaire durable »

C’est aussi ce qu’écrivait déjà avec force en janvier 2024 dans les Annales des Mines Yves Bréchet, ancien haut-commissaire à l’énergie atomique et ancien titulaire de la chaire innovation technologique du Collège de France.

« Pour relancer durablement le nucléaire, il faut réaliser que c’est une énergie durable et pas une énergie de transition. Tant que les énergies renouvelables, par nature intermittentes, n’auront pas capacité à être stockées efficacement, et tant que le vecteur électrique ne pourra pas être efficacement remplacé, le recours au nucléaire et à l’hydraulique sera incontournable. Parier sur des développements “à venir” (pour le stockage) au moment où il y a urgence à décarboner notre économie en réponse à la crise climatique relève de l’inconscience. Renoncer à une version “durable” de cette énergie en fermant le cycle du combustible par le moyen des réacteurs à neutrons rapides, ce qui est exactement ce qu’a fait le gouvernement en arrêtant le projet Astrid à l’automne 2019, est une faute historique… Une relance durable du nucléaire signifie aussi une relance du nucléaire durable, et une relance du nucléaire durable nécessite un programme de recherche, porté par l’État, pour développer un prototype de réacteur et d’une usine de fabrication du combustible, pour être en état de déployer cette filière le moment venu. Ce projet doit être lancé maintenant, en repousser le lancement expose à une perte des compétences acquises et à se trouver contraints d’acheter à terme, à des investisseurs plus clairvoyants, une technologie dont nous sommes les inventeurs, et dans laquelle nous avons été jusqu’à récemment, les leaders. »

 

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