Transitions & Energies

Fusion nucléaire, peut-on vraiment y croire?


Permettre à l’humanité de maîtriser le processus qui alimente les étoiles fait rêver depuis des décennies à la fois les auteurs de science-fiction et les physiciens. Mais en dépit des annonces récentes et multiples de « percées » technologique, nous sommes encore très loin de parvenir à contrôler la fusion nucléaire et plus encore à produire ainsi de l’électricité. Il y a aujourd’hui deux approches technologiques majeures pour y parvenir. La première et la plus récente consiste à focaliser plusieurs lasers très puissants sur une petite cible et à la faire exploser. Cela déclenche une brève réaction de fusion. L’autre approche est construite sur le confinement magnétique. De puissants champs magnétiques compriment un plasma dans un réacteur appelé Tokamak jusqu’à ce qu’il commence à fusionner. Problème, le procédé avec les lasers n’est pas vraiment conçu pour produire de l’électricité. Quant à la seconde solution technologique, elle est mise à mal par les errements du gigantesque chantier international d’ITER dans le sud de la France. Ce dernier a pris des allures de Tour de Babel. Cela signifie que renoncer à la fusion nucléaire serait une erreur, mais imaginer la maîtriser avant de nombreuses décennies relève du rêve éveillé.

Cela fait 70 ans que physiciens, auteurs de science-fiction et rêveurs promettent l’accès à une énergie presque infinie, celle qui alimente les étoiles, la fusion nucléaire. Son principe a été découvert en 1920 par l’astrophysicien britannique Arthur Eddington. Si l’humanité parvient à la maîtriser, elle aura toute l’énergie dont elle peut avoir besoin et au-delà et les moyens de surmonter la quasi-totalité de ses problèmes matériels. Il est nécessaire de rêver à de grands desseins et sans doute d’espérer pour entreprendre, mais l’utopie a ses limites. La question aujourd’hui est de savoir si nous serons capables un jour de les surmonter dans le domaine de la fusion nucléaire. Les doutes grandissent paradoxalement avec la multiplication depuis quelques années d’annonces souvent exagérées de percées technologiques majeures que ce soit aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Japon… et aussi avec les difficultés innombrables de l’ingérable et gigantesque chantier international du réacteur à fusion ITER dans le sud de la France. Pour rappel, ITER est le plus grand projet scientifique au monde et le plus important ouvrage de génie civil en cours de construction en Europe.

Un peu de théorie pour commencer. Aujourd’hui, la totalité de l’énergie nucléaire utilisée dans le monde (dont les 56 et bientôt 57 réacteurs français) provient du processus dit de fission nucléaire. Un noyau d’uranium est cassé en particules plus petites libérant ainsi de l’énergie. Mais il existe une autre façon, encore plus performante, de produire de l’énergie nucléaire : la fusion.

Deux approches technologiques très différentes

Il s’agit d’un processus au cours duquel deux atomes s’assemblent pour former un atome plus lourd avec une masse totale légèrement inférieure. La différence de masse est libérée sous forme d’énergie, comme décrit par la célèbre équation d’Einstein, E = mc2, où l’énergie est égale à la masse multipliée par la vitesse de la lumière au carré. Étant donné que la vitesse de la lumière est considérable (300.000 kms à la seconde), la conversion d’une infime quantité de masse en énergie produit une quantité d’énergie tout aussi considérable.

Cette réaction est celle qui se produit au cœur des étoiles. Les recherches pour maîtriser la fusion ont commencé depuis les années 1950 avec le développement de la bombe H construite sur le même principe. Mais les problèmes à surmonter sont considérables. Pour y parvenir sur terre où les pressions n’ont rien à voir avec celles existantes au centre d’une étoile, cela requiert des conditions extrêmes. Il faut notamment parvenir à une température supérieure à 100 millions de degrés.

Il existe deux approches très différentes pour tenter de contrôler et domestiquer la fusion nucléaire suivies aujourd’hui par une quarantaine d’entreprises et d’institutions dans le monde. La première consiste à focaliser plusieurs lasers très puissants sur une petite cible et à la faire exploser, ce qui déclenche une brève réaction de fusion. En décembre 2022, le National Ignition Facility du Département américain de l’énergie a fait la Une des médias pour avoir utilisé cette méthode et avoir atteint le « seuil de rentabilité », c’est-à-dire que la réaction libère plus d’énergie qu’elle n’en a consommé.

Le Tokamak ou confinement magnétique

L’autre approche repose sur des infrastructures bien plus lourdes et le confinement magnétique. De puissants champs magnétiques compriment un plasma dans un réacteur baptisé Tokamak jusqu’à ce qu’il commence à fusionner. Les expériences dans ce domaine ont été nombreuses, mais elles nécessitent des investissements et des moyens scientifiques et techniques considérables, notamment pour contrôler la stabilité du plasma. Le projet le plus ambitieux est ITER, un gigantesque Tokamak en cours de construction dans le sud de la France à Cadarache par un consortium international de recherche regroupant plus de trente pays.

Maintenant, les deux approches ne sont pas aussi prometteuses qu’on pourrait l’espérer. Le procédé avec les lasers n’est pas vraiment conçu pour produire de l’électricité et on ne sait pas vraiment comment il pourra le faire un jour ! Quant à ITER, le chantier se débat dans les retards, les surcoûts et les problèmes de gouvernance et de rivalités.

Au 22ème ou 23ème siècle…

Pour Paul M. Sutter, astrophysicien et contributeur du media Space.com, les probabilités de parvenir à maîtriser la fusion nucléaire sont aujourd’hui de : « 10% dans les 20 prochaines années, 50% au siècle prochain, 30% au siècle suivant et 10% jamais ». Il parvient à ses conclusions en partant du principe que la fusion est « un défi générationnel dont l’échelle de temps pour l’humanité est le siècle ». Il demande pour être relevé l’implication massive de plusieurs générations comme l’ont été la construction des plus grandes villes, de temples et tombeaux majeurs, des cathédrales ou la création de la civilisation industrielle…  « Mais au milieu du XXe siècle, lorsque nous avons eu la possibilité de consacrer le temps et l’argent d’une génération à la recherche nucléaire, nous avions le choix entre les bombes et la production d’électricité. Nous avons choisi les bombes… ».

Il est plus que temps de changer de priorités. Même si la fusion nucléaire ne permettra sans doute pas dans les prochaines décennies de régler le problème climatique. Mais les avantages potentiels de cette source d’énergie sont incomparables : de très faibles émissions de COcomme pour toute énergie nucléaire, pas de déchets radioactifs à haute activité et vie longue (des déchets à vie courte sont tout de même formés), un procédé intrinsèquement sûr car la réaction s’arrête quasi instantanément en cas de problème. De plus, la concentration énergétique est considérable, un gramme de combustible contient autant d’énergie que 11 tonnes de charbon. Par ailleurs, la matière première nécessaire, l’hydrogène, est surabondante. Il s’agit du matériau le plus courant dans l’univers. Il y en a pour des millions et des millions d’années sur terre. En théorie, la fusion nucléaire pourrait fournir toute l’énergie nécessaire à l’humanité dans des conditions qui ne poseraient aucun problème à l’environnement et sans la moindre émission de gaz à effet de serre.

La rédaction