<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Mener la transition en pesant uniquement sur l’offre d’énergies fossiles est une stratégie vouée à l’échec

14 janvier 2022

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Réservoir de pétrole Wikimedia Commons
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Mener la transition en pesant uniquement sur l’offre d’énergies fossiles est une stratégie vouée à l’échec

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Réclamer la fin des investissements dans le gaz, le pétrole et le charbon est facile. Mais si la production de fossiles diminue plus rapidement que la demande, les prix s'envolent avec de graves conséquences économiques, sociales et politiques. Avant de détruire l'ancienne économie, il vaut mieux construire la nouvelle. Et il faut aussi agir sur la demande avec une hausse du prix du CO2, des réglementations plus strictes sur le transport et l’isolation des logements, mais c'est moins facile et moins populaire.

Il s’agit d’une thèse développée par plusieurs économistes dont Patrick Artus qui l’a mise en avant à la fin de l’année dernière dans une chronique publiée par Le Point. Elle considère que s’attaquer uniquement à l’offre d’énergie en la restreignant pour mener la transition est une stratégie dangereuse et celle de la facilité pour les gouvernements comme pour les organisations et les mouvements qui poussent à la surenchère. En clair, réduire par tous les moyens l’offre d’énergies fossiles est non seulement une solution démagogique, mais crée des chocs économiques et sociaux dont il est difficile de mesurer toutes les conséquences. «Réclamer la fin des investissements dans le pétrole, le gaz naturel et le charbon rend populaire. Réclamer une hausse plus forte du prix du CO2, des réglementations plus strictes sur le transport et l’isolation thermique des logements rend impopulaire», écrit Patrick Artus.

La banque centrale européenne inquiète

La semaine dernière, Isabel Schnabel, économiste allemande et membre influente du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), a mis en garde contre la menace de l’inflation verte.Non seulement a-t-elle expliquée, l’inflation verte est d’ores et déjà une réalité, mais il ne s’agit pas d’une situation provisoire et elle a toutes les chances d’empirer. «Jusqu’à aujourd’hui, les énergies renouvelables n’ont pas démontré qu’elles étaient capables d’être développées suffisamment rapidement pour faire face à une augmentation de la demande… La combinaison de capacités de production insuffisantes de production d’énergies renouvelables à court terme, d’investissements en baisse dans les carburants fossiles et d’augmentation des prix du carbone signifient que nous risquons de faire face à une période prolongée de transition durant laquelle les factures énergétiques vont augmenter. Les prix du gaz en donnent un exemple», a-t-elle déclaré. Isabel Schnabel, en bonne défenseuse de la stratégie allemande de transition, oublie au passage que les énergies renouvelables sont intermittentes et que même à long terme, quand il n’y aura pas de vent et pas de soleil, il faudra bien continuer à produire de l’électricité…

En tout cas, les cours du baril de pétrole sont repassés au-dessus de 80 dollars et beaucoup d’experts estiment qu’ils atteindront rapidement 100 dollars. Les prix du gaz et de l’électricité sont en Europe à des niveaux records, s’échangeant à des niveaux de 5 à 10 fois supérieurs aux moyennes des années 2010-2020. Et au passage, les cours du charbon sont aussi à des sommets historiques.

Et ce n’est pas tout. Les métaux et autres matières premières indispensables à la transition et à l’électrification -dans les transports, l’industrie, la production de chaleur- ont vu la demande fortement augmenter et les cours s’envoler. La question est de savoir quand interviendront d’inévitables pénuries… faute d’investissements. C’est le cas aussi bien du lithium que du cuivre, du nickel, du cobalt ou du graphite.

Détruire l’ancienne économie avant d’avoir construit la nouvelle

L’envolée des prix de l’énergie est, qu’on le veuille ou non, la conséquence de la façon dont est menée depuis plusieurs années la transition. Et elle a été amplifiée par la pandémie marquée par la succession brutale à l’échelle mondiale d’une récession et d’une forte reprise. La transition a consisté avant tout jusqu’à aujourd’hui à réduire rapidement le financement des investissements dans la production d’énergies fossiles, dans l’utilisation d’énergies fossiles pour produire de l’électricité, des biens intermédiaires (acier, ciment). Cette stratégie est soutenue aujourd’hui par les ONG, par les gouvernements, par la finance, par les institutions internationales. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) demandait il y a huit mois que cessent immédiatement tous les nouveaux investissements dans les énergies fossiles autres que ceux déjà approuvés.

On peut qualifier de pensée magique cette stratégie de transition par la contrainte et la pénurie en espérant que cela va fonctionner. Non seulement, c’est celle de la facilité mais elle se double aussi d’une morale de pacotille, les fossiles c’est mal et les renouvelables c’est bien…  Et elle a d’ores et déjà de multiples conséquences néfastes, pour les économies, les populations et la transition. Si les investissements disparaissent dans le gaz et le pétrole avant que des sources d’énergie de substitution soient à même de prendre le relais, la transition sera encore plus difficile à mener car elle se heurtera à l’opposition grandissante des populations.

Il suffit juste de constater que la priorité des gouvernements au cours des derniers mois, notamment en Europe qui se veut pourtant le modèle de la transition, a consisté à s’assurer avant tout qu’il n’y avait pas de pénuries et à limiter l’impact des hausses sur les populations. La question des émissions de gaz à effet de serre est alors passée largement au second plan. Y compris en Allemagne où les émissions de CO2 ont augmenté l’an dernier

Les institutions européennes sont jusqu’à aujourd’hui dans le déni des effets pervers d’une stratégie mal maîtrisée et répètent à l’envie que la transition verte crée de la richesse et des emplois et est une opportunité économique formidable. Un jour viendra…  Ce n’est pas le cas de l’administration américaine plus réaliste. «Si nous voulons nous attaquer au changement climatique, nous devons le faire en protégeant dans le même temps l’économie mondiale de chocs énergétiques extrêmes», expliquait en octobre Amos Hochstein, le premier diplomate américain sur les questions énergétiques.

Peser aussi sur la demande

Comme le résumait Patrick Artus, «si la transition par l’offre est utilisée préférentiellement à celle par la demande, le risque d’une déstabilisation de l’économie est grand». Cela signifie que la transition énergétique doit être et peut-être menée aussi autrement, par la demande. Avec un prix suffisamment élevé du CO2 qui pèse sur les prix relatifs des biens dont la production ou l’utilisation émet du CO2 et réduise la demande de ces biens. Avec des réglementations, portant sur le transport et l’habitation. Avec un changement des comportements: réduction des voyages en avion, modification des habitudes alimentaires, consommations locales, circuits courts…

Il faut combiner les deux stratégies  par l’offre et par la demande. Le risque majeur aujourd’hui est d’assister à une baisse de la production d’énergies fossiles plus rapide que la baisse de la consommation d’énergies fossiles. cela se traduirait par des pénuries et des rationnements, une hausse très violente des prix de ces énergies et des coupures d’approvisionnement. Avec un coût économique et social que les populations se refuseraient à payer.

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