Transitions & Energies
Plateforme pétrolière off shore wikimedia commons

L’AIE veut l’arrêt total de toute recherche pétrolière et gazière


À quelques mois de la COP26 en Écosse, la grande messe du climat des Nations Unies, l’Agence internationale de l’énergie hausse le ton. Pour décarboner totalement le secteur de l’énergie d’ici 2050, elle prône une méthode radicale. Ne plus chercher le moindre baril de pétrole et gisement de gaz. La contrainte par la pénurie. Un vœu pieu?

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) est un organisme très respecté et très respectueux qui produit des documents fouillés et précis sans jamais élever le ton. Il prône des stratégies raisonnables et raisonnées. Mais il vient soudain de changer de méthode et lancer une bombe.

Une méthode devenue radicale

Pour parvenir à décarboner le secteur de l’énergie, l’AIE prône une méthode radicale. Des investissements massifs dans le renouvelable et surtout l’abandon de tout nouveau projet pétrolier ou gazier.

«La portée et la rapidité des efforts requis par cet objectif critique et formidable -notre meilleure chance d’affronter le changement climatique et de limiter le réchauffement global à 1,5°C- en fait peut-être le plus grand défi que l’humanité ait jamais eu à relever», affirme le directeur exécutif de l’AIE, Fatih Birol. «Placer le monde sur cette trajectoire requiert une action forte de la part des gouvernements, soutenus par une coopération internationale bien plus importante», ajoute-il.

Et il se fait même menaçant! «Il y a un énorme fossé entre la rhétorique et la réalité. Cette année devrait encore être l’une des pires en matière d’émissions de CO2. Nous avons réalisé ce rapport pour montrer aux décideurs que le secteur de l’énergie doit réaliser une transformation totale d’ici à 2050. Car, jusqu’ici, beaucoup d’entre eux l’ont mal compris.»

Le chemin est «étroit» mais encore «praticable» pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, c’est-dire ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que la planète puisse en absorber naturellement. L’Agence internationale de l’énergie l’affirme dans un rapport commandé par la présidence de la COP26 qui se tiendra en Ecosse dans six mois.

Dans son scénario idéal, en 2050, les énergies renouvelables produiront 90% de l’électricité mondiale contre 29% aujourd’hui. Le reste sera fourni par le nucléaire qui a pour avantage principal d’être également décarboné. Quant aux ressources fossiles, elles ne fourniront plus qu’un cinquième de l’énergie primaire dans le monde (contre 80% aujourd’hui), pour des usages limités comme la fabrication de certains plastiques jugés indispensables. «La baisse rapide de la demande de pétrole et de gaz naturel signifie qu’il n’y a pas d’exploration requise et qu’aucun champ gazier et pétrolier nouveau n’est nécessaire au-delà de ceux déjà approuvés».

Production annuelle de pétrole en millions de barils par jour. En bleu (pourcentage), part de l’OPEP. Source AIE

Pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, il faudra aussi considérablement augmenter l’efficacité énergétique, c’est-à-dire en gaspiller beaucoup moins. D’après la feuille de route de l’AIE, il faut augmenter l’efficacité énergétique de 4% par an dès cette décennie, soit trois fois plus que le rythme moyen des 20 dernières années.

Entre les mains de la Chine, de l’Inde et à terme de l’Afrique

Pour l’AIE, si la transition est un succès, le système énergétique de 2050 sera très différent de celui d’aujourd’hui. «La demande globale en énergie aura diminué de 8%» en dépit de l’augmentation de 2 de la population mondiale et dans le même temps l’électrification des usages sera devenue massive. «La demande en électricité aura doublé». Dans 30 ans, l’usage de l’hydrogène se sera aussi généralisé. «Les besoins en hydrogène devraient ainsi être multipliés par six».

Reste que pour avenir au paradis de l’énergie en 2050. Il faudra vaincre de nombreux obstacles. Le premier consiste à se rendre compte de l’échelle des transformations à effectuer et également à accepter le fait que cela ne dépend plus de nous les Européens et même les occidentaux, mais de la Chine, de l’Inde, de la Russie et à terme de l’Afrique.

Comme l’expliquait Vaclav Smil, l’universitaire le plus influent sur les grandes questions relatives à l’énergie, dans un entretien accordé à T&E, «tant que les 50 à 60 pays les plus importants n’auront pas décidé ensemble vraiment, c’est-à-dire de façon contraignante, de remplacer les énergies fossiles, il n’y aura pas d’issue. Dans les soi-disant accords, comme celui de la COP21 à Paris en 2015, il n’y a rien de contraignant juridiquement et de ce fait, ils n’ont pas beaucoup de valeur…».

Il ajoutait: «la réalité est que nous brûlons chaque année 10 milliards de tonnes de carburants fossiles. Comment pouvons-nous nous débarrasser de 10 milliards de tonnes ! Il y a un temps incompressible pour déployer les nouvelles technologies sans compter le fait de leur efficacité toute relative… Plus de la moitié de la population mondiale se concentre dans les grandes villes et de plus en plus dans les méga cités. Les renouvelables ne sont pas capables de les alimenter de façon durable. Imaginez la métropole de Tokyo, 39 millions d’habitants, face à un typhon de trois jours. Les éoliennes ne fonctionnent pas, il y a trop de vent. Il y a très peu de soleil. Imaginez ce qu’il faudrait comme quantités de batteries – leur poids, leur taille, les matières premières nécessaires – pour alimenter l’agglomération pendant trois jours avec de l’électricité stockée éolienne et solaire. Il faudrait des gigawatts. C’est physiquement impossible. Et c’est la même chose pour Mumbai, Singapour, Mexico City, Le Caire, New York, Paris… ».

Passer de 2.000 à 5.000 milliards de dollars d’investissements annuels

Et puis, il faut bien mesurer le coût de la transformation massive à effectuer. D’après l’AIE, il faudra passer de 2.000 à 5.000 milliards de dollars d’investissements par an d’ici 2030. Des investissements massifs indispensables à la fois pour déployer les solutions existantes comme l’électrification du secteur automobile et le déploiement des énergies renouvelables, mais aussi pour accélérer les innovations. Car les technologies pour décarboner aussi bien l’aviation, que la production de ciment, la sidérurgie, la chimie et même le stockage à grande échelle de l’électricité n’en sont encore souvent qu’au stade de prototype ou de démonstrateur, note le rapport.

C’est le cas notamment des technologies de capture et stockage du CO2 qui seront indispensables. «Toutes ces nouvelles technologies sont censées contribuer à la moitié de la baisse des émissions de gaz à effet de serre en 2050».

Les deux scénarios d’émission de CO2. En vert, le chemin vers la décarbonation totale de l’énergie en 2050. Sans coopération internationale, l’objectif sera atteint un peu avant 2090. Source AIE

Le rapport propose pas moins de 400 étapes à franchir pour les dix prochaines années. Par exemple, il faudra qu’en 2030 pas moins de 60% des voitures neuves vendues dans le monde soient électriques contre 5% aujourd’hui. Toujours d’ici 2030, il faudra installer chaque années quatre fois plus de capacités solaires et éoliennes que le niveau record enregistré en 2020 soit 630 gigawatts (GW) de solaire et 390 GW d’éolien. En 2040, 40% des bâtiments devront avoir subi une rénovation énergétique efficace.

La contrainte par la pénurie d’énergies fossiles

Enfin et surtout, l’AIE prône une contrainte qu’elle juge indispensable à savoir plus aucun investissement dans de nouvelles installations pétrolières et gazières, ni dans de nouvelles centrales à charbon qui ne disposeront pas de système de capture et de stockage de CO2.

La rédaction