Transitions & Energies
Les deux EPR de Taishan Chine

Les problèmes de la centrale nucléaire chinoise de Taishan mettent en péril l’avenir de l’EPR français


Le réacteur EPR numéro un de la centrale chinoise de Taishan connaitrait un sérieux dysfonctionnement. Des gaz issus de la fission nucléaire se trouveraient dans le circuit primaire d’eau sous pression. La révélation a été faite par CNN. Les autorités française, chinoise et américaine se veulent rassurantes. Ce qui ne rassure personne. L’EPR, le réacteur de troisième génération de conception française, dont l’avenir est déjà menacé par les errements du chantier de Flamanville (Manche), n’avait pas vraiment besoin de cela. Même la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, hostile pourtant de longue date au nucléaire, a dû se porter à son secours…

L’industrie nucléaire française n’avait pas vraiment besoin de cela. Les errements du chantier du réacteur de 3ème génération, EPR, de Flamanville dans la Manche, ont déjà introduit le doute depuis plusieurs années sur ses capacités et son savoir-faire. Elle était considérée, il y a 20 ans, comme la plus avancée au monde. Son réacteur EPR était considéré comme étant le plus sûr en terme de conception. Et il y avait toujours l’argument à opposer des deux EPR en fonctionnement en Chine, à Taishan, à 120 kilomètres au sud-ouest de Hong Kong. Ils apportaient la preuve que la faiblesse française était industrielle et pas dans la conception et la maitrise technologique.

Le premier EPR (Taishan1) a été mis en service en décembre 2018 et le deuxième, Taishan2, en septembre 2019 (voir la photographie ci-dessus de la centrale). Ils ont été construits par China General Nuclear Power Group et par EDF, actionnaire à 30% de la joint venture commune aux deux groupes et à un troisième industriel chinois, Guangdong YUDEAN.

Des fuites de gaz radioactifs dans le circuit primaire

Mais selon des révélations faites il y a quelques jours par la chaine de télévision américaine CNN, l’un des deux EPR de Taishan connaitrait de sérieux problèmes de fuites de gaz. Plus précisément, il y aurait une augmentation anormale de la concentration de certains gaz rares dans le circuit primaire du réacteur n°1. Ce circuit transporte la chaleur produite par le cœur du réacteur vers le circuit secondaire, qui produit l’électricité en faisant tourner une turbine.Ces gaz sont notamment l’argon, l’hélium, le krypton, le néon et le xénon. Ils sont produits lors de la réaction de fission dans le réacteur, sont donc radioactifs, et ne devraient pas se trouver dans le circuit primaire qui est fermé et contient de l’eau sous pression. D’après les informations disponibles, ces gaz restent contenus dans le circuit primaire qui par nature est étanche. Mais leur présence met à l’épreuve les moyens de filtration du réacteur. Elle montre par ailleurs que vraisemblablement les crayons de combustible, qui sont dans des barres métalliques au cœur du réacteur, ne sont plus totalement étanches.

Le département de l’Energie américain a reçu le 8 juin une lettre provenant de Framatome, filiale d’EDF, et faisant état d’une possible «fuite». Les informations données par CNN sont assez alarmantes même si elles sont difficiles à confirmer. Selon la chaîne américaine. Framatome aurait demandé une assistance technique aux Etats-Unis pour résoudre un problème de «menace radiologique imminente».

Framatome aurait indiqué dans son courrier que les autorités de sûreté chinoises auraient même relevé les limites acceptables de radiations à l’extérieur du site pour éviter d’avoir à arrêter la centrale… «Bien que les autorités américaines ont estimé que la situation ne posait pas, pour le moment, de menace sérieuse pour la sécurité des travailleurs de la centrale et la population, c’est inhabituel qu’une entreprise étrangère sollicite unilatéralement l’aide du gouvernement américain alors que l’entreprise d’Etat chinoise avec laquelle elle travaille n’a pas encore reconnu un quelconque problème», a souligné CNN.

Framatome avait déclaré un peu plus tôt et laconiquement surveiller «l’évolution d’un des paramètres de fonctionnement» du site chinois. Après les révélations de CNN, la filiale d’EDF a précisé que la centrale était «dans son domaine de fonctionnement et de sûreté autorisés». Il faudrait savoir…

Une source gouvernementale américaine, citée par CNN, se voulait également rassurante. «En dépit de la mise en garde alarmante de Framatome, l’administration Biden croit que la centrale n’est pas encore à un stade de crise». Pour l’exploitant de la centrale, China General Nuclear Power Group, «à l’heure actuelle, la surveillance continue des données environnementales montre que les indicateurs environnementaux de la centrale nucléaire de Taishan et de ses environs sont normaux». Enfin, même l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a déclaré qu’«à ce stade» elle n’avait «aucune indication qu’un incident radiologique se soit produit».

Taishan, la vitrine des ambitions nucléaires chinoises

Cela ne suffit pas pour rassurer. D’une part parce qu’il s’agit d’énergie nucléaire, qui suscite par nature de grandes peurs parfois irrationnelles, et aussi parce que les régimes communistes ne sont pas vraiment des modèles de transparence. Le précédent de Tchernobyl à l’époque de l’URSS est dans toutes les mémoires. Et en Chine, la liberté de l’information n’existe pas. La pandémie en est une démonstration parfaite.

En tout cas, Taishan ne semble pas être le modèle tant vanté. Tout ne s’est d’ailleurs pas passé facilement à Taishan, mais contrairement à Flamanville les difficultés ont été surmontées. Les deux réacteurs EPR chinois ont été construits respectivement en 110 et 113 mois, avec cinq ans de retard sur le calendrier initial et avec un coût total de 12,2 milliards d’euros par réacteur, supérieur de 60% au budget prévu. Mais le temps de construction effectif de Taishan2 a été considérablement réduit, avec l’expérience acquise, à environ 70 mois selon des ingénieurs directement impliqués dans le chantier. Et jusqu’à aujourd’hui, les deux EPR, dont la construction a été lancée en 2009 et 2010, ont fonctionné avec un taux d’utilisation de 7.500 heures par an, soit 86% du temps. Ils fournissent de l’électricité à environ 5 millions de personnes pour un prix du mégawatt heure de 56 euros, très compétitif avec celui d’une centrale à charbon.

Le chantier de Taishan a clairement bénéficié de la volonté politique très forte en Chine, à la fois d’être à la pointe de la technologie nucléaire et de développer rapidement des énergies décarbonées. Les régions chinoises veulent toutes se doter de centrales nucléaires garantissant une électricité abondante et bon marché, et pas de pollution atmosphérique. Par ailleurs, Beijing entend devenir rapidement le numéro un mondial du nucléaire civil. Enfin, l’autorité de sûreté nucléaire chinoise, la National Nuclear Safety Administration, n’a certainement pas l’indépendance de son homologue française l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire), qui elle n’est soumise à aucune autorité ou contre-pouvoir.

Même s’il s’agit d’un incident qui reste circonscrit et contrôlé, ce que rien ne permet aujourd’hui d’affirmer, il va être plus difficile encore d’argumenter en faveur de la construction de nouvelles centrales en France pour remplacer, au moins en partie, celles qui sont vieillissantes. L’électricité nucléaire permet aujourd’hui à la France d’être l’un des pays au monde où l’électricité est la plus décarbonée et la moins coûteuse. Et remplacer de l’électricité nucléaire décarbonée par de l’électricité renouvelable, éolienne ou solaire, certes décarbonée, mais intermittente et coûteuse, est une stratégie contestée. C’est celle voulue et défendue bec et ongles par  Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique.

Opposante de longue date au nucléaire, comme la plupart des écologistes dont il s’agit de la doctrine originelle, elle est pourtant intervenue sur France Inter le 15 juin et a demandé de ne pas réagir «à chaud» aux problèmes de Taishan. Pour Barbara Pompili, qui rêve de remplacer le nucléaire par les renouvelables, même si cela est techniquement impossible aujourd’hui, cela a dû vraiment lui coûter.

La rédaction