Transitions & Energies

De nouveaux barrages, le rêve éveillé d’EDF


La transition énergétique passe par une électrification massive des usages vers les transports, l’industrie, le chauffage. Cela signifie produire plus d’électricité décarbonée et disposer d’un système électrique plus puissant et plus robuste. Les renouvelables intermittents, éolien et solaire, sont décarbonés, permettent de produire plus à des prix acceptables et avec une rapidité d’installation inégalée. Mais ils fragilisent grandement les réseaux avec une production intermittente et en plus aléatoire. Le nucléaire est décarboné et pas soumis aux aléas de la météorologie, mais construire de nouveaux réacteurs en nombre demande des décennies. Comme il faut absolument disposer de capacités de production pilotables et décarbonées. Il n’y a pas d’autre solution que de nouveaux barrages… A condition de pouvoir surmonter les innombrables obstacles juridiques, économiques et politiques. Ce n’est pas pour rien si l’hydroélectricité a été qualifiée il y a quelques années par l’Agence internationale de l’énergie de « géant oublié ».

C’est un fait désormais acquis à la quasi unanimité : la décarbonation des modes de vie français passera par une électrification massive des usages. De l’automobile au chauffage, en passant par l’industrie et l’agriculture, le passage de l’usage de fossiles (charbon, pétrole, gaz) à une électricité décarbonée est le principal levier de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans notre pays.

La question se pose dès lors de la disponibilité de cette électricité bas carbone. Car si la France fait figure de bon élève dans le paysage européen, notamment grâce à son parc électro-nucléaire, les quantités produites suffisent aujourd’hui à peine à couvrir les besoins du pays et encore pas en cas de pic de consommation lors d’un hiver rigoureux. Elles seront donc très insuffisantes en cas de recours accru à l’électricité.

Maintenir un équilibre permanent et instantané sur le réseau électrique

L’équation se complique quand on ne regarde pas la consommation annuelle, mais la puissance appelée instantanée. En effet, la gestion d’un réseau électrique est toujours un jeu d’équilibriste pour que l’offre instantanée colle parfaitement à la demande instantanée également.

Dans le cas contraire, l’impact sur la fréquence du réseau entraîne des difficultés pouvant aller jusqu’à son effondrement. Si la consommation est supérieure à l’offre, la fréquence baisse et la répercussion immédiate est la mise en sécurité des turbines, entraînant ce qu’on appelle un black out. Mais, chose moins connue, l’inverse est aussi vrai. Une consommation instantanée trop faible par rapport à la production entraîne une hausse de la fréquence, et les mêmes effets.

Les renouvelables intermittents ne peuvent pas assurer la sécurité d’approvisionnement

Dès lors, deux obligations s’imposent : produire plus d’électricité tous les ans, mais aussi disposer de capacités de production pilotables afin de fournir suffisamment d’énergie lors des pointes de consommation. Pour le premier impératif, les énergies renouvelables telles que l’éolien et le photovoltaïque possèdent des atouts indéniables. Des prix de plus en plus compétitifs, une simplicité et une rapidité d’installation qu’aucune autre source de production ne peut égaler.

Cependant, leur caractère intermittent et aléatoire fait que leur disponibilité n’est jamais garantie. Pire, les plus gros pics de consommation ont lieu lors des vagues de froid hivernales. Or celles-ci ont la fâcheuse tendance à se produire lors d’évènements anticycloniques, donc en l’absence quasi totale de vent. Ajoutons que la demande atteint son apogée le matin et le soir, à 8h et 19h, donc à des moments où, en décembre ou janvier, le soleil n’est pas présent et la production photovoltaïque est donc nulle. Ainsi, il n’est pas possible de compter sur ces sources de production pour assurer la sécurité d’approvisionnement lors de la pointe.

Des décennies pour construire les nouveaux réacteurs

Concernant le nucléaire, son atout indéniable est de ne pas dépendre de la météo, en plus de ne dégager quasiment aucune émission de CO2 (de l’ordre de 4 g/kWh en France). Son défaut est qu’en l’état de l’industrie française, la construction de nouveaux réacteurs va indéniablement prendre du temps. Et il est peu probable – même si souhaitable – que les entreprises du secteur puissent aller bien au-delà des 14 réacteurs supplémentaires d’ici 2050.

Reste l’hydroélectricité. De par sa géographie, la France est richement dotée en reliefs et en cours d’eau favorable à cette source d’énergie. Durant les premières décennies du 20ème siècle, celle-ci a été l’une des premières à accompagner le développement de l’électricité sur le territoire, d’abord en direction de l’industrie, puis des particuliers. Cependant, ce développement s’est brutalement arrêté il y a environ 40 ans, laissant même certains chantiers, comme la STEP (Station de transfert d’énergie par pompage) de Redenat, à mi-travaux.

Les barrages, activés en quelques minutes et via les STEPs capables de stocker l’excédent de production

Pourtant, grâce à sa forte réactivité, activée en quelques minutes, et son caractère bas carbone, l’hydroélectricité et à fortiori les STEP sont un excellent complément aux énergies renouvelables et au nucléaire, capable de venir en appui lors des heures de forte consommation, et même pour les STEPs, d’utiliser l’excédent de production lors des heures creuses pour pomper de l’eau et reconstituer le stock utilisable au prochain besoin.

Luc Rémont, président d’EDF, interviewé hier sur France info, expliquait ainsi qu’il fallait « continuer à investir [dans l’hydraulique], car nous avons de la puissance disponible. C’est possible de construire de nouveaux barrages, c’est souhaitable. »

Mais si l’idée de relancer cette filière revient régulièrement, malgré le pessimisme de certains considérant – à rebours du consensus scientifique – que la majeure partie du potentiel est désormais utilisée, elle se heurte à plusieurs difficultés.

De multiples obstacles

L’hydroélectricité est confrontée en France à de sérieux problèmes juridiques, avec le conflit sur les concessions qui ne cesse d’empoisonner les relations entre EDF, l’Etat Francais et la Commission Européenne.Il y a ensuite l’équation économique difficile à résoudre. Avec l’absence pour l’instant d’un mécanisme de rémunération de capacité : un barrage représente des coûts fixes importants, et une source de production amenée à être appelée en dernier ressort, l’eau étant précieuse. Il offre donc un service primordial au réseau, mais celui-ci n’est pas rémunéré, au contraire de la (faible quantité) d’énergie produite. Ce qui nuit à la rentabilité des équipements.

L’obstacle sociétal est encore plus grand. Tout le monde est aujourd’hui conscient que le moindre chantier de barrage entraînerait la création d’une ZAD. Et s’il paraissait acceptable dans les années 1960 d’évacuer des villages entiers pour bâtir des lacs artificiels car l’intérêt supérieur le commandait, rares sont ceux qui aujourd’hui oseraient prendre ce type de risques politiques.

La relance de l’hydroélectricité souhaitée par EDF apparaît donc comme une excellente idée, mais il est permis de sérieusement douter qu’elle puisse devenir réalité.

Philippe Thomazo

La rédaction