Transitions & Energies

Pour atteindre ses objectifs de transition énergétique, l’Europe doit former des centaines de milliers de techniciens et d’ingénieurs en quelques années


Cela fait partie des problèmes sous-estimés voire passés sous silence pour parvenir à décarboner les économies au rythme imposé par les gouvernements européens et les institutions européennes. Il est indispensable de former en quelques années des centaines de milliers de techniciens et d’ingénieurs dans des domaines aussi divers que la géothermie, l’hydrogène, les batteries, les véhicules électriques, le solaire, le nucléaire, la rénovation des bâtiments, les pompes à chaleur, l’éolien, les carburants synthétiques, la biomasse…

La transition énergétique est une affaire trop importante pour la laisser aux seuls politiques, militants et lobbys en tout genres. Les uns et les autres sous estiment sciemment et parfois ne mesurent tout simplement pas les difficultés techniques, économiques, sociales, financières d’une mutation sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Voilà pourquoi les objectifs fixés sont souvent irréalistes et les moyens préconisés ou même imposés pour y parvenir insuffisants, inefficaces et même contre-productifs. L’intendance suivra…

L’un d’un problème clé à peine abordé tient à la nécessité en Europe pour pouvoir développer les technologies et les industries de la transition (géothermie, hydrogène, batteries, véhicules électriques, solaire, nucléaire, rénovation des bâtiments, pompes à chaleur, éolien, carburants synthétiques, biomasse… ) de former dans les prochaines années et décennies une main d’œuvre compétente en nombre suffisant. Et les besoins se chiffrent en centaines de milliers de techniciens et d’ingénieurs. La seule filière nucléaire française doit embaucher 60.000 personnes dans les dix prochaines années. Où les trouver ? « Le déploiement accéléré des technologies énergétiques bas carbone stimule la création d’emplois mais les travailleurs actuels et futurs devront être dotés de l’expertise nécessaire pour éviter les goulets d’étranglement dus aux pénuries de compétences et de main-d’œuvre », soulignait il y a déjà près d’un an dans une étude l’Agence international de l’énergie (AIE).

Passer d’ici 2030 de 80.000 à 250.000 personnes travaillant dans l’éolien marin

De la même façon, les dirigeants des pays riverains de la mer du Nord (Belgique, Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Irlande, Norvège, Royaume-Uni et France) se sont engagés le mois dernier à travailler en commun y compris sur des projets transfrontières afin de se doter de 120 gigawatts (GW) de capacités de production d’électricité éolienne marine en mer du Nord d’ici 2030 et 300 GW d’ici 2050. Les capacités installées actuelles représentent à peine 25 GW. Mais les mêmes dirigeants ont reconnu dans un communiqué que « le déploiement rapide des renouvelables en mer crée une demande croissante de main-d’œuvre qualifiée pour mener à bien la planification, la construction et l’exploitation des actifs offshore concernés. Ce besoin de travailleurs qualifiés est un défi régional… ».

L’association WindEurope estime que la main d’œuvre nécessaire pour suivre le calendrier de développement programmé de l’éolien marin doit passer de 80.000 personnes aujourd’hui à 250.000 d’ici 2030, dans moins de sept ans ! Et elle s’inquiète de la capacité à le faire. « Les investissements ne suffisent pas à fabriquer des pales, à faire naviguer des navires ou à exploiter des parcs éoliens. Les gouvernements doivent soutenir la mise en place de la base de compétences nécessaire », explique l’association.

Des rémunérations très insuffisantes

Non seulement, il n’y a pas suffisamment de personnes, notamment des jeunes, qui suivent des formations pour être employés dans les industries de la transition, mais les postes offerts dans les énergies fossiles restent plus attrayants. C’est ce que montre une étude récente de la London School of Economics’ Grantham Research Institute. Dans la plupart des cas, les emplois de haut niveau dans les renouvelables offrent des rémunérations inférieures à ceux dans les énergies carbonées. « L’absence de prime salariale pour des emplois qui requièrent des compétences plus élevées, est problématique pour attirer les travailleurs vers des activités liées au développement des énergies à faible émission de carbone », écrit la London School of Economics. Son étude souligne aussi qu’en général les emplois dans les industries de la transition ont des exigences plus élevées en matière de compétences techniques, managériales et sociales que les emplois concurrents et nécessitent souvent des compétences informatiques qui sont très demandées dans d’autres secteurs.

L’Union Européenne a bien lancé récemment une initiative pour promouvoir les formations dans les énergies renouvelables, mais elle n’aura un réel impact que si les rémunérations dans les industries de la transition sont au moins équivalentes à celles dans les énergies fossiles. C’est ce qu’explique Markus Janser de l’Institut allemand de recherche sur l’emploi, au Financial Times. « Nous n’aurons pas de problèmes de pénuries main d’œuvre et de compétences si ses emplois sont attractifs en termes de salaires et de conditions de travail et si les gens veulent prendre ses emplois, même s’ils ne sont pas verts de cœur. C’est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre ».

La rédaction