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Turbine EPR Flamanville

L’industrie nucléaire française veut se donner les moyens de ses ambitions


Le programme «MATCH», présenté le 21 avril par le GIFEN (Groupement des Industriels Français de l’Énergie Nucléaire), doit permettre à cette industrie d’être «en ordre de marche» face aux multiples échéances à venir. Elles se traduiront notamment par la nécessité de pourvoir à 30.000 emplois directs supplémentaires dans les dix prochaines années, soit 60.000 embauches du fait des départs attendus. Cela nécessitera un effort considérable de formation qui passera notamment par un recours accru au compagnonnage.

C’est une ambiance de veillée d’armes qui règne dans l’industrie nucléaire française. Les ambitions nationales et la multiplication des projets mettent la filière et les ressources humaines sous tension, et chacun cherche à s’y préparer au mieux. C’est dans ce cadre qu’a été rendu vendredi 21 avril le rapport du GIFEN (Groupement des Industriels Français de l’Énergie Nucléaire) sur le programme dénommé «MATCH» conçu pour permettre de faire face aux multiples échéances à venir. Il vise à «doter la filière d’un outil fiable et pérenne pour partager les prévisions de besoins en ressources humaines et techniques dans ses principaux segments d’activité sur 10 ans glissants, et orienter les actions nécessaires à l’adéquation de ses capacités».

Loin d’être refroidis par l’annonce à contre-courant de la part de la direction d’EDF d’un gel des embauches (gel partiellement levé depuis), le reste de l’industrie cherche à se structurer et à jeter les fondations d’une organisation permettant d’assurer la capacité à répondre aux demandes. Vingt segments d’activités opérationnelles (ingénierie, soudage, génie civil…) représentant 80 métiers ont ainsi été étudiés et comparés aux besoins futurs, année par année.

30.000 emplois directs supplémentaires d’ici dix ans et 60.000 embauches

Il ressort que les besoins sur ce périmètre seront de 155.000 emplois directs (en équivalents temps pleins) à horizon 2033, contre 125.000 en 2023, soit un solde positif de 30.000 emplois directs supplémentaires. En prenant en compte les remplacements liés aux départs en retraite ou aux démissions, cela représente sur ces 80 métiers pas moins de 60.000 embauches à prévoir dans les 10 prochaines années.

Ramené à l’ensemble de la filière (élargissant ainsi au-delà des 80 emplois ciblés par l’étude), le besoin grimpe à 100.000 recrutements nécessaires, toujours pour moitié sur des créations de poste et pour l’autre moitié sur le remplacement de départs pour différents motifs.

Des efforts de formation considérables grâce au recours accru au compagnonnage

La tâche s’annonce colossale. Même s’il semble se dessiner une augmentation du besoin principalement à partir de 2027 et du démarrage effectif de la plupart des chantiers, les profils recherchés n’existent pour ainsi dire pas aujourd’hui sur le marché du travail.

L’anticipation est donc primordiale, dès aujourd’hui, afin de préparer les efforts de formation qui seront nécessaires très rapidement et disposer d’une main d’œuvre formée et disponible au démarrage des chantiers.

Le GIFEN fait donc plusieurs préconisations en ce sens, parmi lesquelles nous pouvons citer un recours accru au compagnonnage afin de reconstituer un vivier de techniciens et artisans dans le domaine de la chaudronnerie et de la soudure notamment ou le renouvellement systématique des départs afin de maintenir les compétences.

Les modalités d’un investissement sur plusieurs décennies sont toujours floues

Toute l’industrie s’est ainsi dite en «ordre de marche», pour reprendre les mots de Bernard Fontana, le patron de Framatome. Et le gouvernement n’a pas été avare de compliments pour les efforts de ces fleurons nationaux.

Mais la dure réalité devrait rapidement se rappeler aux esprits de tout le monde: l’industrie est en ordre de bataille, ça ne fait aucun doute. Cependant, elle dépend encore de la validation politique d’un certain nombre d’orientations qui, aujourd’hui, en reste toujours au stade des annonces et des promesses.

La signature de la commande des nouveaux réacteurs sera le vrai signal de départ de cette grande aventure, mais elle n’est pas encore d’actualité. Il faudra auparavant achever de définir le modèle économique de cet investissement: quel mode de financement, quelle répartition du risque, quel engagement de l’Etat

Avec un donneur d’ordre, EDF, aujourd’hui exsangue financièrement et sur lequel l’Etat a fait peser une part importante de sa politique de modération de l’augmentation des coûts de l’énergie. Les dizaines de milliards d’euros de capitaux et de trésorerie à avancer vont donc être le juge de paix.

Philippe Thomazo

La rédaction