Transitions & Energies
Centrale nucléaire de Fessenheim

Un rationnement énergétique inévitable


Le plan de sobriété présenté par le gouvernement pour éviter une pénurie d’énergie l’hiver prochain ne sera pas suffisant. La France n’échappera pas, par miracle, au choc énergétique que va subir toute l’Europe et à un rationnement de fait, par les prix au moins. Nous allons payer l’addition de politiques, française, allemande et européenne, irresponsables. Négliger les questions de sécurité d’approvisionnement et de souveraineté et considérer seulement la politique énergique comme une sous-catégorie de la politique climatique est une faute.

L’Allemagne ne se fait plus d’illusions et la France, dans le déni, imagine encore arrêter à ses frontières la crise énergétique majeure qui se profile à l’automne prochain. Une crise qui sera marquée par des pénuries physiques de gaz et d’électricité. La situation était déjà devenue très risquée pour l’ensemble du système électrique européen, du fait de la conjonction entre des politiques privilégiant des renouvelables intermittents, dont la capacité de production dépend étroitement de la météorologie, la sécheresse qui pèse sur les performances des centrales hydroélectriques et pour finir la disponibilité catastrophique du parc nucléaire français. En y ajoutant les conséquences de l’invasion de l’Ukraine, on peut parler de «perfect storm» (la tempête parfaite). Il faudrait un hiver extraordinairement doux pour sortir sans trop de dommages de cette tempête.

L’arme du gaz

Sans surprise, sauf pour les naïfs, Vladimir Poutine utilise toutes les armes à sa disposition pour contraindre les occidentaux et plus particulièrement les Européens à limiter leur soutien militaire et économique à l’Ukraine et leur faire payer le prix de leurs sanctions économiques. Son arme la plus puissante est celle de la coupure de l’approvisionnement en gaz, crucial en automne et en hiver, pour chauffer les logements et faire fonctionner bon nombre d’équipements industriels. Le 24 février, quand l’armée russe a attaqué l’Ukraine, l’Europe dépendait à plus de 40% de la Russie pour son approvisionnement en gaz. Elle ne peut tout simplement pas trouver de susbstituts en l’espace de huit mois. L’issue du conflit se joue d’ailleurs en partie sur la capacité de résilience des sociétés européennes face à la crise énergétique. Il y a très peu de doutes sur le fait que Moscou suspendra ou limitera considérablement ses livraisons de gaz au cours de l’hiver 2022-2023. La Russie a d’ailleurs commencé à le faire afin de ne pas permettre à de nombreux pays de l’Union, notamment l’Allemagne, de constituer des stocks importants avant la saison froide.

Pénurie physique de gaz… et d’électricité

L’interruption des livraisons de gaz russe va donc provoquer une pénurie et une explosion des prix de l’énergie à laquelle nous assistons déjà en ce moment. Le prix à terme de l’électricité pour livraison en 2023 atteint des niveaux historiques de 800 euros par mégawattheure. Il était à 300 euros en juin, ce qui constituait déjà presque un record.

L’Allemagne est évidemment particulièrement touchée. Elle dépendait au début de l’année à 55% du gaz russe et recevait encore au début du mois de juillet 40% de son approvisionnement de Russie. Elle devra réduire sa consommation de gaz d’au moins 20%, ce qui précipitera son économie dans la récession.

La coupure programmée des livraisons de gaz russe implique non seulement une explosion des prix, mais également une pénurie physique qui imposera d’une façon ou d’une autre des mesures de rationnement. Ce sera vrai pour les entreprises, mais elles ne pourront être les seules victimes sauf à effondrer la production et augmenter l’inflation. Les ménages seront affectés également. D’abord, par les conséquences économiques de la crise

La France va devoir continuer à importer de l’électricité

Avec la baisse de la production et de la consommation, l’économie européenne basculera dans la récession en 2023, tandis que l’inflation continuera à augmenter. On peut aussi facilement imaginer que dans une telle situation les divisions vont grandir au sein de l’Union. Il y aura forcément une compétition entre les 27 pour accéder à l’énergie et certains seront tentés d’obtenir les bonnes grâces de Vladimir Poutine en modérant leur soutien à l’Ukraine. C’est d’ailleurs tout le pari de Moscou.

Car la coupure programmée des livraisons de gaz russe implique non seulement une explosion des prix, mais aussi une pénurie physique d’énergie qui imposera des mesures de rationnement directes ou indirectes, par les prix. Cela est déjà vrai pour les granulés et bois de chauffage.

La réalité des prix de l’énergie

Du coup, le plan de sobriété français visant à réduire de 10% en deux ans la consommation d’énergie des administrations publiques et des grandes entreprises est très insuffisant. D’autant plus que le principal atout français en matière de sécurité énergétique, son parc de centrale nucléaire, est en piteux état du fait de retards et de défauts de maintenance (corrosion) accumulés en fait depuis des années… Sans parler de la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim en 2020 (voir la photographie ci-dessus), en parfait état, pour des raisons politiciennes absurdes. Pas moins de 30 réacteurs sur les 56 en service sont aujourd’hui à l’arrêt. Certains pourront être redémarrés dans les prochains mois, mais la France risque de rester un importateur d’électricité. Elle qui a été longtemps le premier exportateur mondial et européen. Cela veut dire que la France sera sans doute dépendante de l’électricité produite par nos voisins notamment dans leurs centrales à gaz… Les appels au civisme, à la frugalité et à l’achat de pulls de laine supplémentaires n’y changeront rien.

L’autre problème auquel il va falloir faire face est celui de la réalité des prix de l’énergie. L’Etat ne pourra pas indéfiniment et à coup de subventions masquer la majeure partie de la hausse des prix et encore moins effacer la pénurie physique. Il va lui falloir d’une façon ou d’une autre rétablir progressivement la vérité du coût de l’énergie. Il y a même intérêt. Cela constitue de très loin le moyen le plus efficace pour réduire la consommation. Le rationnement par les prix…

La rédaction