Transitions & Energies
Nord Stream 2

Au-delà de 70% de coupure du gaz russe, l’Europe n’échappera pas à une sévère pénurie


L’énergie est indispensable à l’activité économique. Les économistes considèrent même que 99% de l’activité économique peut se résumer à de la transformation d’énergie. Un truisme qui a échappé au cours des dernières années aux gouvernements et aux institutions européennes. L’aveuglement européen a consisté à considérer les politiques énergétiques comme des sous-catégories de la politique climatique en perdant totalement de vue les questions de sécurité d’approvisionnement et de souveraineté. Il va falloir maintenant payer l’addition. En cas de coupure totale des livraisons de gaz russe, ce sera de multiples pénuries d’énergie et une récession brutale. La Commission a présenté mercredi 20 juillet son plan pour réduire de 15% la demande européenne de gaz, un catalogue de bonnes intentions et d’économies…

Le Fonds monétaire internationale (FMI) a publié ses prévisions sur la capacité de l’Europe à se priver dans les prochains mois du gaz russe. Le constat est simple à la lecture des trois documents de travail publiés par le FMI. La consommation annuelle de gaz de l’Union Européenne (UE) est de l’ordre de 400 milliards de mètres cubes. Sur ce total, environ 285 milliards sont des importations effectuées par pipelines. Et 145 milliards viennent de Russie. Il n’est tout simplement pas possible de se passer de la totalité de ses 145 milliards de mètres cubes et de les remplacer en quelques mois.

Pour le FMI, l’UE pourrait à peu près faire face à une réduction de 70% de l’offre de gaz russe. Mais en cas de rupture totale des exportations russes vers l’union, ce qui semble se profiler, l’hiver prochain risque d’être particulièrement dur pour plusieurs pays d’Europe centrale et orientale. Et pourtant, les Européens après avoir mené une politique énergétique irresponsable les mettant entre les mains du fournisseur russe tentent depuis quelques semaines de trouver des solutions alternatives. Ainsi, la France vient de conclure un partenariat stratégique avec les Emirats Arabes Unis. L’Italie vient de conclure un accord avec l’Algérie pour sécuriser les approvisionnements en gaz ; un voyage, le même jour. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est rendue en Azerbaïdjan pour doubler en quelques années les importations de gaz. Elle a lancé des négociations avec Israël et l’Egypte. Les achats de cargaisons de GNL (Gaz naturel liquéfié), surtout américaines, se sont multipliées.

Des récessions brutales en Europe centrale et orientale

Mercredi 20 juillet, la Commission européenne a présenté un plan visant à réduire de 15% la demande européenne de gaz «au moins dans les huit prochains mois». Il doit encore être approuvé par les Etats membres. Il s’agit surtout d’un catalogue de bonnes intentions et d’économies. Limiter le chauffage de certains bâtiments, reporter la fermeture de réacteurs nucléaires, inciter les entreprises à réduire leurs besoins… Ce plan doit être soumis aux Vingt-Sept lors d’une réunion des ministres de l’Energie le 26 juillet à Bruxelles.

«La Russie utilise le gaz comme une arme. En cas d’interruption totale, l’Europe devra être prête», a affirmé Ursula von der Leyen. Le gazoduc Nord Stream, par lequel transite un tiers des livraisons de gaz russe à l’UE, est fermé depuis le 11 juillet pour des opérations de maintenance «de routine». Mais Moscou a déjà laissé entendre qu’il ne pourrait rouvrir le gazoduc qu’à 20% de sa capacité. Entre mi-juin et mi-juillet, la Russie a déjà réduit de 60% ses acheminements via Nord Stream.

Les stockages et l’approvisionnement mondial ont permis d’y faire face sans trop de difficultés. Pour le FMI, une réduction allant jusqu’à 70% dans les prochains mois peut être surmontée grâce aux autres sources d’approvisionnement et d’énergie et aux conséquences de la hausse des prix de l’énergie qui mécaniquement réduit la demande.

En revanche, un arrêt total des livraisons russes à l’approche et au cours de l’hiver prochain serait catastrophique. Elle entraînerait des pénuries régionales coûteuses, des prix très élevés et un rationnement dans certains pays. Le déficit de l’offre de gaz obligerait à une baisse de la consommation «d’hiver» (de début novembre jusqu’à fin mars) d’environ 12%, soit 36 milliards de mètres cubes. Et un hiver particulièrement rigoureux se traduirait par une économie forcée de 30 milliards de mètres cubes supplémentaires. Un tel choc pourrait conduire les gouvernements à choisir la protection des ménages et des services essentiels au détriment des industries. Cela se traduirait par des récessions brutales dans les pays et à l’échelle de l’Union Européenne.

Un effet boule de neige sur la production électrique

Depuis des années, l’Europe a considéré les politiques énergétiques comme des sous-catégories de la politique climatique en perdant totalement de vue les questions de sécurité d’approvisionnement et de souveraineté. Il va falloir maintenant payer le prix de ses errements, et il sera élevé.

Dans le scénario le plus défavorable, de graves pénuries frapperont de nombreux pays d’Europe centrale et orientale. La Hongrie, la République slovaque et la République tchèque, pourraient ne pas pouvoir satisfaire 40% de leurs besoins de gaz. La croissance de ses pays serait ainsi amputée de 6% ! L’impact sur l’Autriche, l’Allemagne et l’Italie serait également considérable. En Italie, la perte de PIB serait d’environ 3,5% et pour l’Allemagne et l’Autriche, le recul serait d’environ 2%.

Il serait plus modéré ailleurs. Le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Espagne, le Portugal, la Suède et le Danemark étant peu dépendants du gaz russe, ils pourraient surmonter une rupture d’approvisionnement. La France, les Pays-Bas et la Belgique, un peu plus dépendants, mais ayant un accès direct aux importations de GNL et à d’autres voies d’approvisionnement par gazoduc peuvent aussi mieux encaisser le choc. L’impact sur le PIB serait selon le FMI de l’ordre d’une amputation de 1% de croissance pour l’Espagne et la France.

Mais il ne faut pas perdre de vue aussi, que par effet boule de neige, des pénuries de gaz se traduiraient aussi par des pénuries d’électricité. Puisque les centrales à gaz sont devenues indispensable du fait de l’intermittence des renouvelables (éoliennes et panneaux solaires) et du fait des sérieux problèmes de maintenance du parc nucléaire français. La France qui pendant des décennies était un exportateur d’électricité est devenu un importateur du fait notamment des choix stratégiques énergétiques ineptes des gouvernements depuis plus de deux décennies. Il y a moins de quatre ans, Emmanuel Macron annonçait la fermeture de 14 centrales nucléaires avant 2035… Du fait des errements d’EDF, entreprise publique contrôlée étroitement par l’Etat et dont les capacités financières et humaines n’ont cessé de décliner, 30 des 56 réacteurs nucléaires français sont en ce moment à l’arrêt…

La menace aujourd’hui est celle d’un éclatement du marché européen de l’électricité. Si l’Allemagne manque de gaz, va-t-elle faire tourner ses turbines pour produire de l’électricité ayant vocation à être en partie exportée vers la France ou décidera-t-elle plutôt d’approvisionner en priorité son industrie menacée de faillite ? Et EDF sera-t-il capable de remettre en marche dans des conditions de sécurité acceptables suffisamment de réacteurs pour éviter des blackouts…

 

 

 

 

 

 

 

La rédaction