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Usine de gaz liquéfié en Alaska ConocoPhilips

Le plan de l’Agence internationale de l’énergie pour que l’Europe puisse se passer du gaz russe


L’Agence internationale de l’énergie a présenté dix mesures urgentes afin de réduire cette année et d’au moins un tiers les 155 milliards de m3 de gaz russe importés par l’Europe en 2021. Il est très vraisemblable, que compte tenu de l’invasion de l’Ukraine et des sanctions européennes, les livraisons russes vont fortement diminuer. Bon nombre de ces mesures sont assez contraignantes et demanderont donc des efforts des Etats comme des populations.

«Plus personne ne se fait d’illusions. L’utilisation par la Russie de ses ressources en gaz naturel comme arme économique et politique montre que l’Europe doit rapidement se préparer à faire face à de considérables incertitudes sur l’approvisionnement en gaz russe l’hiver prochain», a mis en garde jeudi 3 mars Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). L’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions prises par les européens contre Moscou font craindre cette année un arrêt total ou au moins partiel des exportations russes de gaz vers l’Europe.

Un processus qui de toute façon a déjà commencé. La crise du gaz, qui s’est traduite depuis l’été dernier par une envolée des prix, est déjà liée à une limitation de ses livraisons à l’Europe par la Russie. Ce que dénonçait d’ailleurs déjà l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en janvier. «Nous voyons de nombreux éléments qui pointent vers un resserrement artificiel du marché européen du gaz qui semble être lié au comportement du fournisseur de gaz russe contrôlé par l’Etat», écrivait alors le même Fatih Birol.

La Russie a fourni l’an dernier 45% des importations de gaz

L’AIE a donc logiquement présenté ce 3 mars un plan pour réduire d’ici l’hiver prochain la dépendance de l’Union européenne aux livraisons de gaz provenant de Russie. Et ce n’est pas une tâche facile. Car même en appliquant tous les éléments recommandés, cela ne permettra pas de diminuer de plus d’un tiers cette dépendance d’ici un an. Et il n’est pas envisagé de pouvoir se passer totalement du gaz russe avant la fin de la décennie. Car il faut bien mesurer cette dépendance. Elle montre au passage la désinvolture de la politique énergétique suivie par certains pays, comme l’Allemagne, qui n’ont cessé d’augmenter à la fois leurs besoins en gaz et la part importée de Russie.

Le constat est sans appel. En 2021, l’Union européenne a importé pas moins de 155 milliards de m3 de gaz naturel à partir de la Russie, dont 140 Gm3 par gazoducs et environ 15 Gm3 sous forme de GNL (Gaz naturel liquéfié), ce qui représente environ 45% de ses importations et près de 40% de la consommation de gaz naturel des États membres.

Importations de GNL des Etats-Unis et du Qatar

Le plan de l’AIE vise à «réduire en un an de plus d’un tiers» les importations européennes de gaz russe, en combinant un total de dix mesures. La première recommandation de l’Agence, la plus simple, consiste à augmenter les importations de gaz provenant d’autres fournisseurs que la Russie: grâce à une hausse de la production au sein de l’UE et des importations par gazoducs provenant de Norvège et d’Azerbaïdjan notamment mais surtout en augmentant très fortement les livraisons de GNL. Les États-Unis pourraient en théorie, compte tenu des capacités existantes, augmenter leurs livraisons annuelles de GNL vers l’Europe de 60 Gm3 par rapport à 2021. Ils ont déjà fait des efforts importants au cours des dernières semaines. Le Qatar pourrait aussi augmenter ses livraisons de GNL à l’Europe. Au total, l’AIE estime que l’UE pourrait disposer de façon réaliste d’un approvisionnement supplémentaire de gaz hors Russie d’au moins 30 Gm3 au cours de l’année à venir.

Parmi les autres propositions de l’Agence, on peut citer notamment:

– Le fait de «maximiser» la production européenne d’électricité à partir de bioénergies et du nucléaire. L’AIE appelle au report de la fermeture prévue de 4 réacteurs nucléaires dans l’UE en 2022 (dont trois en Allemagne) et d’un supplémentaire en 2023. Cela permettrait de moins avoir recours aux centrales à gaz. L’impact est estimé à une baisse de 13 Gm3 de la consommation de gaz par l’UE.

– Accélérer le déploiement des nouveaux projets éoliens et solaires pour augmenter la production de ces filières. Cela pourrait réduire la consommation de gaz de 6 Gm3 à condition que la météorologie soit favorable.

– Réduire de 1°C la température des bâtiments et des logements  ce qui permettrait de diminuer la consommation de gaz de 10 Gm3. Mais il faut une mobilisation de toute la population européenne.

– Accélérer le remplacement des chaudières à gaz par des pompes à chaleur fonctionnant à l’électricité avec un impact estimé de 2 Gm3 de besoins en gaz en moins.

– Augmenter les actions d’efficacité énergétique dans les bâtiments et l’industrie ce qui pourrait se traduire par une baisse de la consommation de l’ordre également de 2 Gm3.

Parmi les autres suggestions de l’AIE, on trouve la possibilité d’avoir davantage recours au charbon et au fioul en remplacement du gaz pour produire de l’électricité dans des centrales thermiques. Mais cela se traduirait par une augmentation des émissions de gaz à effet, raison pour laquelle l’AIE n’inclut pas cette recommandation officiellement dans son plan.

«Ensemble, ces mesures pourraient réduire les importations de gaz russe de l’Union européenne de plus de 50 milliards de mètres cubes, soit plus d’un tiers, en un an», affirme l’AIE.

Obligations de stockage et une autre politique énergétique

L’Agence recommande également de mettre en place des obligations de stockage minimal d’ici l’hiver prochain. Il faudrait, contrairement à 2021, remplir à au moins 90% les capacités au 1er octobre pour disposer d’une sécurité d’approvisionnement suffisante durant la saison froide. L’Agence appelle aussi les pays de l’Union à ne plus signer de nouveau contrat de fourniture de gaz avec la Russie, sachant que des contrats avec Gazprom portant sur la livraison de 15 Gm3 par an arriveront à échéance à la fin de l’année 2022.

Enfin, la crise du gaz souligne la nécessité de diversifier «les sources de flexibilité du système électrique européen», c’est-à-dire en clair les capacités de production dites pilotables pour pallier au caractère intermittent et aléatoire des productions renouvelables éoliennes et solaires. Les centrales à gaz ne peuvent pas être la seule garantie de sécurité des systèmes électriques, il faut plus de nucléaire et plus d’hydraulique qui est renouvelable mais mobilisable selon les besoins ce qui change tout.

La rédaction