Transitions & Energies

L’Allemagne tourne soudain le dos à la politique énergétique menée depuis 20 ans


L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’aura pas eu que de lourdes conséquences politiques et militaires. Elle vient de contraindre l’Allemagne a un changement radical de la politique de transition énergétique menée depuis deux décennies. Non seulement, le développement massif des renouvelables, éolien et solaire, épaulé par des centrales au charbon et à gaz n’a pas permis d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais il a rendu l’Allemagne de plus en plus dépendante de la Russie. Pour en sortir, Berlin envisage de prolonger la durée de vie de ses centrales au charbon voire même des centrales nucléaires qu’il lui reste. Il va aussi constituer une réserver stratégique de gaz et de charbon et doter le pays de terminaux pour importer du Gaz naturel liquéfié (GNL).

La stratégie allemande de transition énergétique menée depuis près de deux décennies, la fameuse Energiewende, est dans une impasse totale. Tout d’abord, elle ne donne pas les résultats escomptés. En dépit de 550 milliards d’euros d’investissements dans les renouvelables, éolien et solaire, Berlin ne parvient pas à atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et les prix de l’électricité s’envolent. Du fait du caractère intermittent et aléatoire des productions d’électricité éoliennes et solaires et après avoir abandonné le nucléaire, l’Allemagne est contrainte d’utiliser massivement ses centrales thermiques au charbon et au gaz. L’an dernier, la production électrique des renouvelables a même baissé du fait de conditions météorologiques défavorables.

Et maintenant, la stratégie qui consistait à remplacer rapidement les centrales au charbon par des centrales à gaz, qui émettent tout de même moitié moins de CO2, est mise à mal par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Moscou est de loin le principal fournisseur de gaz de l’Allemagne. La Russie assure selon les années en 55% et 60% de ses besoins et cela devait encore augmenter avec l’entrée en service du gazoduc Nord Stream II qui relie directement les deux pays via la mer Baltique. Mais Berlin a été contraint d’annoncer la semaine dernière la suspension de la procédure d’homologation du gazoduc. Sa construction a été terminée à l’automne dernier et il pourrait très bien ne jamais entrer en service.

Prolonger la durée de vie des centrales nucléaires et au charbon

Berlin est aujourd’hui condamné à une révision majeure de sa politique énergétique, un modèle que voulait pourtant imposer la Commission européenne à l’ensemble de l’Europe. L’Allemagne a ainsi évoqué la possibilité d’allonger la durée de vie des centrales à charbon et même des centrales nucléaires afin de réduire sa dépendance au gaz russe.

Dans un discours prononcé dimanche 27 février lors d’une session spéciale du Bundestag consacrée à la crise ukrainienne, le chancelier Olaf Scholz a expliqué que: «les événements de ces derniers jours nous ont montré qu’une politique énergétique responsable et tournée vers l’avenir est décisive non seulement pour notre économie et l’environnement, mais également pour notre sécuritéNous devons changer de cap pour surmonter notre dépendance à l’égard des importations de certains fournisseurs d’énergie».

Cette nouvelle politique va ainsi se traduire par la construction en urgence de deux terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL), à Brunsbüttel et à Wilhelmshaven, dans le nord de l’Allemagne, et par l’augmentation tout aussi rapide de ses capacités de réserves de gaz naturel. Les importations de GNL des Etats-Unis, du Qatar et du Canada devraient s’accélérer. «Nous pouvons nous passer du gaz russe pour cet hiver et cet été mais nous devons élargir considérablement notre stratégie d’achat pour l’hiver prochain», a souligné Robert Habeck, le ministre de l’Economie, interrogé par la chaîne de télévision allemande ARD. Au début du mois de février, les réserves de gaz allemandes sont tombées à 35-36%. A 40%, elles permettent, selon un rapport du ministère de l’Économie et du Climat allemand, de faire face à sept jours de températures polaires, pas plus. Pour éviter que cette situation se reproduise, le gouvernement allemand envisage la création d’une réserve stratégique nationale de gaz et de charbon,

La question d’un retour du nucléaire n’est pas encore d’actualité

Mais la volte-face la plus inattendue concerne le nucléaire. Pour éviter des blackouts, Berlin pourrait prolonger la vie des trois derniers réacteurs nucléaires en service du pays, dont la fermeture est prévue à la fin de l’année. Robert Habeck a déclaré que cela était une possibilité. «Cela fait partie des tâches de mon ministère de répondre à cette question. Je ne la rejetterais pas pour des raisons idéologiques». Isar 2, Emsland et Neckarwestheim 2 sont les dernières centrales nucléaires en fonctionnement en Allemagne après que le pays a décidé, il y a dix ans, d’abandonner cette source d’énergie à la suite de l’accident de Fukushima au Japon. Mais allonger la durée de vie des centrales s’annonce compliqué sur le plan technique compte tenu des préparatifs lancés pour leurs fermetures. Par ailleurs, la question d’un retour du nucléaire n’est pas encore d’actualité même si de premières voix, comme celle du Ministre-président de Saxe Michael Kretschmer (CDU), réclament que le pays revoit sa position sur la question.

Enfin, Robert Habeck a également déclaré que prolonger la vie des centrales thermiques à charbon plus longtemps que prévu était une autre option. Elle était prévue pour 2030.

 

La rédaction