Transitions & Energies

L’invasion de l’Ukraine a provoqué un déclin rapide et durable du gaz naturel en France


Les craintes de pénurie de gaz en France et en Europe après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et le sabotage des gazoducs NordStream ne se sont jamais matérialisées. A tel point que les cours du gaz sont aujourd’hui retombés à leur plus bas niveau depuis juin 2021. Tout cela grâce à des hivers cléments et une baisse de la consommation non seulement d’une ampleur inattendue mais qui s’est installée dans la durée.

Février 2022. La Russie, premier fournisseur du continent européen en gaz, lance une invasion à grande échelle de son voisin ukrainien. Dès les premiers jours, le Kremlin agite la menace d’une coupure de la fourniture de gaz afin de contraindre les dirigeants occidentaux à l’inaction. Une stratégie préparée de longue date puisque depuis l’automne 2022 les livraisons russes ont été limitées afin d’empêcher les pays de l’Union Européenne de constituer des stocks importants.

La marge de manœuvre des gouvernements est alors étroite. Ils doivent tout à la fois venir en aide à un pays agressé et victime d’une guerre de conquête que l’on croyait à jamais révolue en Europe et assurer un approvisionnement en gaz indispensable à leurs citoyens et leurs économies.

Nécessité de réduire la consommation

Mais en septembre 2022, le sabotage des deux principaux gazoducs, NordStream 1 et NordStream 2, pouvant acheminer directement de grandes quantités de gaz naturel directement de la Russie vers l’Allemagne à travers la mer Baltique a mis fin à toute ambigüité. L’Europe devra alors apprendre à se passer du gaz russe. A ce moment-là, deux nécessités s’imposent: réduire la consommation de gaz et diversifier les sources d’approvisionnement.

La nécessité de réduire la consommation de gaz va se matérialiser immédiatement et brutalement dans l’industrie. Même avant la destruction des NordStream, on assiste à envolée sans précédent des prix sur les marchés du gaz. La référence en Europe, le TTF néerlandais, dépasse alors les 340 euros le MWh en août 2022 à comparer à 60 euros le MWH un an auparavant. Cela met dans l’obligation un certain nombre de grands groupes industriels, très dépendants de leur approvisionnement en méthane, de ralentir voire même de stopper leur production et de mettre à l’arrêt des usines. Incapables de répercuter de telles hausses sur leur produit final, ils ne sont plus compétitifs.

Baisse rapide et durable de la consommation

Pour ce qui est de la diversification des approvisionnements, le mot clé est GNL, Gaz naturel liquéfié. Il se transporte par méthaniers et non par gazoducs. Les dirigeants européens se transforment en VRP. Algérie, Israël, Qatar, USA, Azerbaïdjan… Toutes les pistes sont ouvertes pour fournir au continent le précieux gaz. Mais se pose la question de la logistique. L’Allemagne, qui a choisi délibérément de se rendre totalement dépendante du gaz russe, ne dispose au début de l’année 2022 d’aucun terminal méthanier permettant de débarquer, regazéifier et injecter du GNL dans son réseau. Pour construire ces infrastructures essentielles, des chantiers sont lancés en urgence en Allemagne mais aussi en France avec l’acquisition d’un cinquième terminal méthanier supplémentaire au Havre.

Et il se produit alors une situation assez inattendue en dépit des mises en garde répétées des gouvernements sur les risques de pénuries de gaz et d’électricité lors de l’hiver 2022-2023. L’accès à n’importe quel prix à des ressources alternatives, du GNL américain et qatari notamment, et la baisse rapide de la consommation des industriels mais aussi des particuliers permettent un stockage plus rapide et plus important que prévu. Si on ajoute à cela un hiver clément, cela se traduit par une baisse rapide des prix.

Une évolution inattendue

Deux ans plus tard, le gaz s’échange sur les places mondiales à des cours même inférieurs à ce qu’ils étaient avant la guerre (25 euros le MWh sur le marché TTF). Il faut dire que la consommation n’a tout simplement pas redécollé. En France, elle est ainsi passée en 2023 sous la barre symbolique des 400 TWh, en recul de plus de 11% par rapport à 2022 et même de plus de 20% sur deux ans. Les besoins en gaz du pays sont ainsi revenus au plus bas depuis 1990 tandis que la production industrielle a retrouvé des niveaux semblables à ceux d’avant le Covid, en 2019

Les causes sont à chercher d’abord du côté du climat. L’année 2023 s’est caractérisée par une douceur exceptionnelle réduisant les besoins de chauffage. La remise en état d’une grande partie du parc de réacteurs nucléaires a aussi permis de limiter l’utilisation de gaz dans les centrales pour produire de l’électricité. Et puis le potentiel d’amélioration de l’efficacité énergétique, notamment dans les entreprises, et la volonté de sobriété des Français ont été largement sous estimés. Le simple fait de rappeler des évidences, comme l’inefficacité de chauffer des bureaux à plus de 19 degrés, la chasse au gaspi, la rénovation de certains bâtiments et la modification ou l’abandon de certains process industriels ont eu un impact durable.

Envolée du coût d’utilisation du réseau

Le paradoxe de cette évolution très positive en termes de réduction des émissions de gaz à serre est que le coût d’utilisation du réseau de gaz est en forte augmentation. Et ce pour une raison très simple: le réseau a en grande majorité des coûts fixes. Ceux-ci sont les mêmes qu’il transporte 500 TWh (en 2021) ou 400 TWh (en 2023). Comme ils doivent être amortis sur une quantité plus faible de gaz distribué, cela entraîne une augmentation de prix pour le consommateur.

Une situation qui risque de s’aggraver à l’avenir et qui va rendre rapidement nécessaire l’ouverture d’un débat sur la rationalisation du réseau et l’arrêt du gaz de ville dans certains territoires les moins rentables.

Philippe Thomazo

La rédaction