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La grande crise de l’industrie automobile est pour demain


La France peut-elle rester une grande nation de l’automobile? Si on s’en tient aux chiffres, le groupe Renault-Nissan-Mitsubishi, en dépit de ses difficultés actuelles, et l’ensemble PSA-Fiat-Chrysler, si les négociations de fusion vont jusqu’au bout, font partie des cinq plus grands constructeurs au monde. Sauf erreurs stratégiques majeures, ils ont les moyens de survivre au choc de la transition vers les véhicules électriques et à celui de la concurrence à venir des constructeurs chinois.

Plus inquiétant est le fait que si ces constructeurs sont en grande partie français, ils ne fabriquent plus leurs véhicules en France. On peut même parler de dégringolade dans le classement européen. En 2011, la France était le deuxième fabricant européen d’automobiles sur son sol. En 2016, selon les dernières statistiques de l’Insee publiées la semaine dernière, elle était tombée à la cinquième place. Il y a peu de chances que cette situation se soit nettement améliorée depuis. Elle devrait même encore se dégrader en 2020 selon le cabinet IHS avec une baisse de plus de 20% du nombre de véhicules sortant des chaînes par rapport à 2019. La production automobile française ne représentait plus en 2016 que 6,7% de celle de l’Union européenne derrière l’Italie (7,2%), l’Espagne (7,4%) et le Royaume-Uni (8,2%). Quant à l’Allemagne, elle assurait 44,5% de la production du continent…

Effondrement de la production sur le sol français

«Depuis le début des années 2000, le poids de la production automobile française en Europe a été divisé par deux (13,1 % en 2000). Dans le même temps, l’Allemagne a conforté sa position (40,6 % en 2000)…», écrit l’Insee qui s’inquiète des conséquences de cette évolution sur la balance commerciale. L’écart avec l’Allemagne n’a cessé de se creuser. En 2000, la production automobile allemande était 3,1 fois supérieure à la française. Elle était «6,6 fois supérieure en 2016».

Cet effondrement tient à deux raisons majeures qui sont liées. Les constructeurs français étant positionnés en milieu et bas de gamme, les coûts élevés du travail et de la production en France laminent les marges et les ont amené à délocaliser massivement leurs usines, notamment dans d’autres pays européens. «Si les groupes multinationaux français contribuent toujours positivement au solde commercial, ils ont localisé une partie majoritaire de leur production à l’étranger pour servir les marchés locaux, mais aussi pour être réexporté vers la France», résume l’Insee. La perte de vitesse de l’industrie automobile française s’explique à la fois par «les parts de marché prises par les marques étrangères importées», mais aussi par «l’internationalisation de la production» des groupes français.

Et le plus dur reste sans doute à venir. Le paysage de l’industrie automobile sera profondément bouleversé par la rupture technologique liée au passage à l’électrique, à batteries ou à hydrogène et pile à combustible. L’industrie automobile fait même sans doute face à l’un des plus grands défis de son existence dans la quasi-indifférence des pouvoirs publics. Et ce n’est pas seulement Carlos Tavares, le Pdg de PSA, qui tire la sonnette d’alarme comme il le faisait en septembre lors du Salon automobile de Francfort. C’est le Fonds Monétaire International (FMI) qui fait ce constat dans son rapport sur l’économie mondiale.

Rupture technologique

Le diagnostic du FMI est le suivant: l’industrie automobile mondiale va devoir faire face dans les années qui viennent à l’impératif de la «décarbonisation». Il remet en cause tous les fondements et les équilibres économiques et technologiques de son activité depuis un siècle. Il change le rapport à la mobilité et à l’automobile et le mode d’utilisation voire de propriété des véhicules. Il s’agit «d’un défi fondamental», résume le FMI.

Les effets de ce choc technologique commencent à se faire sentir. Pour la première fois depuis la crise financière de 2008-2009, l’industrie automobile mondiale est en recul en 2018, contribuant substantiellement au ralentissement économique mondial. Et les perspectives à court terme «demeurent médiocres».

L’industrie automobile représente 5,7 % du PIB mondial et 8% des échanges de marchandises. Le nombre de véhicules produits a diminué de 1,7 % l’année dernière. En Chine, de loin le premier marché automobile mondial, les ventes de voitures neuves baissent pour la première fois depuis plus de vingt ans. Elles sont en recul de 3%. Le repli est aussi important en Allemagne, en Italie, au Royaume-Unis. Aux États-Unis, deuxième marché mondial, les ventes ont continué légèrement à augmenter, mais tous les experts prédissent une chute l’an prochain. Reflet de ces mauvaises performances, les titres des 14 plus grands constructeurs ont perdu 28% en moyenne sur les marchés boursiers depuis le début de l’année.

La contraction de la production pourrait atteindre 4% cette année. Le FMI souligne la multiplication des difficultés pour cette industrie cyclique qui vont des droits de douane liés à la guerre commerciale sino-américaine en passant par la chute de la demande pour les véhicules diesel en Europe, les incertitudes autour du Brexit et la mise en place de normes renforcées d’émissions polluantes fin 2019. Et cela, en dépit du succès commercial étonnant des véhicules SUV.

L’imposition des nouvelles normes antipollution (passage du cycle NEDC au WLTP) en Europe marque un bouleversement pour les constructeurs. Les constructeurs européens devront, en 2021, émettre en moyenne 91 grammes de CO2 au kilomètre pour toute leur gamme. Avec de fortes amendes en cas de dépassement qui pourraient atteindre plus d’un milliard d’euros pour certains constructeurs selon plusieurs calculs de cabinets d’experts. Et Bruxelles a décidé d’une nouvelle baisse de 37% des émissions de gaz à effet de serre en Europe de 2021 à 2030.

Réussir à vendre les voitures électriques

En conséquence, les constructeurs ont investi des dizaines de milliards d’euros dans la transition vers les véhicules électriques et multiplient les annonces de sorties de nouveaux modèles avec ces motorisations sans avoir la moindre certitude qu’ils seront capables de les vendre. Comme le souligne Bloomberg, le message des constructeurs adressé aux consommateurs soucieux de l’environnement ne suffit pas. Le marketing et la publicité sont des outils efficaces mais ils n’effacent pas les doutes et les complications d’utilisations liés au véhicule électrique. Les consommateurs n’aiment pas, sur des achats aussi importants qu’une voiture, payer pour une technologie dont ils ne voient pas vraiment les avantages et restent inquiets sur la capacité avec un véhicule électrique à pouvoir se déplacer là où ils veulent aller. Le problème du manque d’infrastructures de recharge et la nécessité de planifier à l’avance les points de recharge d’un véhicule avant un déplacement restent des obstacles majeurs à l’achat.

Carlos Tavares, président de PSA et de l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles), résumait bien en septembre la difficulté. «La prochaine grande question ne concerne pas les voitures, parce qu’elles vont être là. La prochaine grande question est celle de la mobilité abordable et comment nous faisons pour que cela fonctionne pour le plus grand nombre de personnes».

Jusqu’à aujourd’hui, les voitures électriques se sont vendues en nombre dans les pays qui offraient des subventions importantes. Quand elles s’amenuisent ou disparaissent, les ventes baissent. La demande de véhicules électriques a reculé de 16% en août en Chine, le premier marché mondial, car les subventions ont considérablement baissé. Il s’était passé la même chose au Danemark en 2016. Les constructeurs semblent d’autant plus impuissants qu’ils sont incapables aujourd’hui d’abaisser leurs prix de vente car ils ne gagnent pas d’argent avec les voitures électriques et dépendent pour le composant essentiel de ses véhicules, les batteries, de producteurs asiatiques.

«La demande ne se décrète pas» expliquait simplement Ola Kallenius, le Président de Daimler. «Nous avons besoin d’un soutien important. Sinon, nous n’y arriverons pas», ajoutait Carlos Tavares.

La rédaction