« Avec les ZFE, il y aura une révolte impossible à arrêter »

14 mars 2025

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Epaves de voitures
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« Avec les ZFE, il y aura une révolte impossible à arrêter »

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Un entretien avec Alexandre Jardin, écrivain et cinéaste. Propos recueillis par Éric Leser. Article paru dans le numéro 24 du magazine Transitions & Energies.

T&E : Pourquoi vous êtes-vous lancé dans le combat contre les ZFE (zones à faibles émissions) et comment en êtes-vous devenu en quelque sorte la figure de proue ?

A.J. : D’abord, je suis devenu la figure de proue malgré moi. En faisant un tweet, je me suis retrouvé avec 500 000 personnes derrière moi. Parce que j’avais évoqué quelque chose qui raisonnait très profondément dans la société. On sent bien que derrière la question des ZFE, la question majeure qui se pose est celle de l’exclusion sociale d’un tiers de la nation. Elle se retrouve interdite de ville et globalement interdite de transport. Les ZFE mordent sur les autoroutes et les nationales. Vous traversez des ZFE dès que vous mettez le nez dehors.

Cette loi touche au fondamental de notre République. Les ZFE créent des sous-citoyens. Derrière les 13 millions de véhicules exclus, il y a entre 22 et 26 millions de personnes impactées, selon les estimations, qui n’ont évidemment pas les moyens de changer de voiture. Les plus fragiles, les classes moyennes les moins riches, la France qui vit dans la ruralité et n’a pas de transports en commun pour se rendre à la gare ou très difficilement, se trouve tout à coup exclus du marché du travail, de l’accès au soin parce que les hôpitaux sont dans les ZFE et de liens familiaux. Vous avez des millions de papas et de mamans qui ont besoin d’une voiture pour récupérer leurs enfants, pour prendre soin de leur vieille maman ou pour une réunion de famille.

Ce n’est pas une réforme comme les autres. On touche à la République. On a accepté un hyper contrôle social au moment du Covid parce que tout le monde a eu peur. Mais c’était provisoire. Là, c’est permanent et définitif. On porte atteinte aux valeurs mêmes de notre société. Quand on mélange l’écologie et la culture technocratique, on entre dans une folie. La technocratie agit soi-disant au nom de la raison et l’écologie soi-disant au nom du bien. Vous mélangez le tout et vous obtenez les ZFE.

Alexandre Jardin

T&E : Les pouvoirs publics et les décideurs politiques, notamment au niveau régional, commencent à se rendre compte des conséquences sociales de l’instauration des ZFE. Il y a évidemment des exceptions, à commencer par le Grand Paris. Mais dans le reste du pays, on a vu se multiplier les reports, les aménagements, les dérogations, et l’État décale sans cesse l’installation des caméras permettant de sanctionner. Il n’y aura ainsi pas d’amendes cette année qui doit être consacrée… à la pédagogie.

-A.J. : C’est vrai, mais sans changer le cadre de la folie. On a décidé de créer dans toutes les villes qui se rendent compte de la réalité des passes pour les gueux. La bureaucratie leur propose d’obtenir des autorisations de vingt-quatre heures plusieurs fois par an. Cela s’appelle l’URSS. La liberté n’est plus la règle. Les pauvres doivent demander des autorisations pour avoir le droit de se déplacer.

On change de système fondamentalement. Les gens se rendent compte qu’en dépit des aménagements, ils ne pourront plus aller travailler. J’ai eu de nombreux messages d’hôpitaux qui paniquent parce que leurs patients n’osent plus venir recevoir leur chimiothérapie.

C’est la mobilisation des maires des villes fermées par les citoyens qui va changer la donne. C’est le terrain qui va empêcher l’État d’aller au bout de son plan, y compris de son plan d’installations des caméras pour lire les plaques qui est en cours. Les Français ont bien compris que même s’il y a des aménagements à la marge, les caméras sont en train d’être installées et à un moment, les PV vont tomber.

Quant à l’utilisation de la pédagogie, c’est incroyable ce que ce mot révèle. On parle d’année pédagogique. Vous avez un an pour accepter d’être exclu parce que vous êtes pauvre.

Les conséquences ne peuvent être que cataclysmiques. Vous ne pouvez pas empêcher des millions de Français, une partie des 22 à 26 millions d’exclus par les ZFE, de travailler, de conduire leurs enfants à l’école le matin, de se soigner, de vivre tout simplement. Cela peut marcher huit jours, l’hyper contrôle social momentané. On a vu que le peuple obéissait. Cela ne peut pas fonctionner durablement. Avec les ZFE, il y aura une révolte impossible à arrêter.

Il y aura un cataclysme. Expliquez-moi comment un peuple peut arrêter de gagner sa vie. Nous essayons de mobiliser les maires partout pour qu’ils sortent l’État de son somnambulisme et de faire bouger le système médiatique obsédé par Trump sans voir ce qu’il se passe dans nos rues.

T&E : Deux choses. Pour aller dans votre sens, il y a une leçon historique que les pouvoirs publics devraient méditer. La première chose que les révolutionnaires ont été détruire le 13 juillet 1789, avant la Bastille, étaient les barrières d’octroi, les péages à l’entrée des villes, en l’occurrence Paris, qui excluaient de fait les pauvres. Ensuite, les technocrates, une partie des politiques et une grande partie des écologistes sont à côté de la réalité que vous décrivez parce qu’ils ont une relation aberrante à l’automobile et ne comprennent pas le rôle central et irremplaçable qu’elle joue dans la vie de dizaines de millions de Français. Et pourtant, il y a eu le mouvement des Gilets jaunes. Comment comprendre cette cécité ?

-A.J. : Je crois que le discours terrorisant écologiste a pétrifié la pensée. Quand vous l’associez à l’esprit technocratique français, vous avez le cocktail de la folie pure. La technocratie française édicte tous les matins des règlements et des règles qui sont proches de la dystopie sur tous les sujets.

Dans mon village, l’ONF a donné un coup de tampon avec la préfecture pour interdire les troupeaux de chèvres pour nettoyer la garrigue au motif que la chèvre ne distingue pas une plante qui est d’une espèce protégée. Cela fait trois mille ans qu’au bord de la Méditerranée, les peuples successifs nettoient la garrigue avec des chèvres pour éviter les incendies. Il a suffi que des technos écolos qui n’ont jamais vu une chèvre s’emparent du sujet pour pondre un texte dément. Des cas comme celui-là, vous en avez des kilomètres.

Personne ne s’en rend compte parce que les gens sont occupés par d’autres actualités, d’autres urgences, jusqu’au moment où ils installent les caméras. À ce moment-là, le réel surgit. Regardez la révolte des Gilets jaunes. Personne dans les bureaux n’avait imaginé le niveau d’agression que subissaient les gens. Et ils n’ont rien appris. Toutes les sociétés fabriquent par moment de la folie collective. Il y a des moments dans notre histoire où nos élites sont drastiquement défaillantes et perdent le contact banal avec la réalité. Là, nous y sommes.

J’ai eu du mal au début à me rendre compte que c’était vrai. Jusqu’au moment où je suis tombé dans une boulangerie sur un type dans un département viticole pauvre qui hurlait parce qu’il ne pouvait plus aller chercher ses enfants dont la garde est confiée à leur mère à Montpellier. Quelqu’un lui a suggéré une route où il n’y a pas de radars et de caméras en lui disant « tu peux passer ». On était soudainement en 1942 ! On était dans une scène sordide. Une bande de déments était en train de transformer un honnête citoyen, un père responsable, en délinquant.

Vous comprenez pourquoi je suis sorti du bois. Parce que là, on touche au fondamental. Il n’y a pas de négociation possible sur les valeurs de la République.

T&E : Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour que le danger représenté sur le plan social par les ZFE commence enfin à être perçu, notamment grâce à vous ?

-A.J. : Toute la classe politique est quasiment mouillée là-dedans. La dernière fois que je suis sorti d’une interview à la télévision sur cette question, le rédacteur en chef est venu vers moi en me disant : « Vous avez raison. » Je lui ai demandé pourquoi il m’avait invité et pas des politiques. Au fond, ce n’est pas mon boulot. La réponse a été effrayante : « Nous les avons tous invités, y compris les maires des villes écolos. Aucun n’ose venir. »

Pour l’instant, la classe politique espère s’en sortir en repoussant l’envoi des PV le plus longtemps possible sans oser détricoter une loi scélérate, antirépublicaine, hostile aux gueux et contraire aux valeurs qu’ils professent tous. Ils se sont mouillés dans une affaire qui mène à un apartheid social et prétendent tous être républicains.

J’essaye de mobiliser les syndicats. Je leur dis que les gens sont ahuris qu’aucun syndicat ne vienne les soutenir. Ils se disent, « ce sont les mêmes que les politiques ».

Il a fallu qu’un gars comme moi, qui n’est pas mouillé là-dedans parce que ce n’est pas ma vie, se réveille. Ma vie, ce sont les romans, les films et les associations. Mais je ne me suis réveillé que parce que j’ai vu qu’il y avait 500 000 personnes derrière un tweet. Un message sur un réseau social repris par 500 000 personnes, cela veut dire qu’il est aussi repris sur les autres réseaux et touche 2 millions de personnes.

Fondamentalement, c’est le pacte social qui casse. Ce sont les principes fondamentaux de vie en commun. Et je n’aurai jamais pensé que le cocktail des deux folies, écologiste et technocratique, irait aussi loin. Quand on se bat au nom du bien et de la raison, on n’a aucune limite.

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