Transitions & Energies
Méthanier Wikimedia Commons

Avec le GNL, l’Europe prend une fois encore ses désirs pour la réalité


Trop contents d’avoir échappé, par chance, aux pénuries de gaz cet hiver et de voir les prix de l’énergie refluer, les dirigeants européens font de l’autosatisfaction. Mais ils n’ont en rien réglé le problème de fond de la sécurité d’approvisionnement en gaz du continent. Compenser la perte du gaz russe, notamment par des importations de GNL (Gaz naturel liquéfié), s’annonce encore plus difficile en 2023 qu’en 2022. Le réveil à la fin de l’année pourrait être douloureux.

L’Europe a évité par chance l’hiver dernier, du fait de températures clémentes et d’une baisse de la consommation, des pénuries de gaz et d’électricité mais n’a pas échappé aux envolées de prix. La saison froide étant passée et les prix de l’énergie ayant reflué les dirigeants européens se félicitent d’avoir apporté les bonnes réponses à la crise d’approvisionnement en remplaçant pour partie le gaz russe importé par du gaz naturel liquéfié (GNL), notamment américain, abondant du fait des difficultés de l’économie chinoise, et en limitant la consommation, notamment des industries lourdes. Mais le satisfecit européen est, une fois encore, une lourde erreur.

Parce que la chance de 2022-2023 pourrait très bien ne plus être au rendez-vous en 2023-2024. Un grand nombre de rapports publiés au cours des dernières semaines soulignent que si l’Europe n’accorde pas la priorité suffisante et avec une vision réellement stratégique à la question essentielle de sa sécurité d’approvisionnement en énergie, elle aura du mal à éviter une nouvelle envolée des prix à la fin de l’année et de possibles pénuries.

Les capacités du marché mondial du GNL ne seront pas suffisantes

Rien n’est réglé. Le fait que l’hiver 2022-2023 ait été exceptionnellement doux a été une bénédiction pour les gouvernements et les consommateurs européens, ce n’est en aucun cas une garantie pour l’avenir. S’il y a eu des investissements importants en équipements de terminaux GNL, en France et surtout en Allemagne, trop peu d’attention a été portée au fait que des pays comme la Chine, l’Inde, le Japon et la Corée du sud cherchent aujourd’hui à signer des contrats d’approvisionnements à long terme en gaz naturel liquéfié et que la production n’est pas extensible en quelques mois ou en quelques années.

Il est d’ores et déjà inéluctable que l’augmentation de la demande chinoise, avec la reprise de l’activité, et la forte croissance économique indienne pèseront sur les marchés mondiaux de GNL et entraîneront une remontée des prix. D’autant plus que l’approvisionnement en GNL venant de la Russie vers l’Europe, qui s’est poursuivi et même accéléré l’an dernier, tout comme des flux limités de gaz russe par gazoducs à travers l’Ukraine vont continuer à diminuer et sans doute même disparaître. Ils ont encore représenté l’an dernier 90 milliards de m3 pour une consommation européenne totale d’environ 400 milliards de m3.

Une contradiction entre les accords d’approvisionnement de long terme et les objectifs climatiques européens

L’Europe ne pourra obtenir un approvisionnement suffisant en GNL que par le biais d’achats sur le marché mondial au comptant si elle veut compenser la disparition de ce qui reste des importations russes. Et ne serait-ce que maintenir les niveaux d’importations de 2022 s’annonce déjà difficile. L’an dernier, l’Europe a importé 121 millions de tonnes de GNL, une augmentation de 60% par rapport à 2021. Le coût de ce changement de stratégie d’importation a été extrêmement élevé. Les pays européens ont raflé au prix fort sur tous les marchés internationaux les cargaisons disponibles.

De nombreux pays asiatiques, comme la Chine, privilégient les accords à très long terme. Ce qui leur permet à la fois un meilleur contrôle des prix et une assurance de livraisons. Le problème est que la stratégie de transition énergétique de l’Europe rend difficile la signature de contrats de très long terme. Les objectifs climatiques de Bruxelles visant à réduire de 55% les émissions d’ici 2030 entrent en contradiction avec une consommation de long terme de gaz naturel.

Ainsi, au cours des dernières semaines, des géants européens de l’énergie comme Shell et RWE se sont retrouvés dans une impasse dans les négociations de contrats avec le fournisseur de GNL QatarEnergy. Doha cherche à conclure des accords d’approvisionnement de 25 ans, tandis que RWE, par exemple, ne veut et ne peut s’engager que sur 10 à 15 ans, conformément à l’objectif allemand d’éliminer complètement le gaz naturel d’ici 2043. Shell se retrouve avec un problème identique.

Un pari irréaliste sur l’hydrogène vert pour remplacer rapidement le gaz

Pour Morten Frisch, associé principal de Morten Frisch Consulting, les dirigeants politiques européens prennent leur désir pour la réalité quand ils affirment, par exemple, que l’hydrogène vert pourra remplacer les volumes de GNL dans quelques années. Non seulement, ils vivent dans un monde éloigné des réalités des temporalités énergétiques, créer une filière industrielle de grande ampleur d’hydrogène vert va demander des décennies et beaucoup d’électricité bas carbone, mais ils négligent le risque que fait peser dès cette année l’augmentation de la demande de GNL venant d’Asie sur le marché mondial. La menacé de nouveaux chocs de prix au cours de l’hiver 2023-2024 est bien réelle et pourrait mettre à mal les économies européennes.

Les prix au comptant du GNL ont baissé de 80% par rapport à leurs sommets de 2022, mais de nombreux analystes s’attendent à ce que les prix augmentent à nouveau rapidement, non seulement en raison de la demande venant d’Asie, mais aussi en raison de variations saisonnières qui font que les niveaux de production hydroélectrique baissent l’été dans de nombreux pays.

La rédaction