Transitions & Energies

Comment fonctionne un terminal méthanier


Avec l’invasion de l’Ukraine et la disparition d’une grande partie de l’alimentation en gaz naturel de l’Europe venant de la Russie, les pays de l’Union se sont rués sur les importations de gaz naturel liquéfié (GNL). Mais comment fonctionne un terminal méthanier qui transforme le gaz liquéfié en gaz qui peut circuler dans les canalisations? Article publié dans le numéro 15 du magazine Transitions & Energies.

Avec la guerre en Ukraine, la sécurisation de l’approvisionnement en gaz des pays européens est devenue un enjeu majeur. En 2021, environ 45 % des importations de gaz de l’Union européenne (et 17 % des importations françaises) provenaient de Russie. Dès lors, diversifier les fournisseurs est devenu une urgence absolue, rendue encore plus critique par le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 le 26 septembre, privant, quoi qu’il advienne, l’ouest de l’Europe d’une de ses sources majeures d’approvisionnement en gaz.

Mais le gaz naturel n’est pas une marchandise comme une autre. La logistique pour l’acheminer de la source de production vers son lieu de consommation ne peut se faire que de deux façons. Soit par gazoduc, ce qui est le plus simple, le plus rapide et le moins cher, mais cela exige d’être relativement proche (construire un gazoduc entre le Canada et l’Europe est par exemple impossible) et de bénéficier d’infrastructures lourdes et longues à construire. Soit de le transporter par des bateaux spéciaux, les méthaniers. Ceux-ci, reconnaissables aux grosses cuves rondes qui surplombent leur pont, sont faits pour transporter du gaz naturel liquéfié (GNL).

À l’état gazeux, la masse volumique du gaz est très faible

Le gaz naturel à l’état gazeux possède une masse volumique très faible. Environ 0,8 kg par m3 et il faudrait alors des navires immenses pour les transporter. Pour résoudre ce problème, la première étape consiste donc à liquéfier le gaz. Il est refroidi jusqu’à environ – 161 C°. À cette température très basse, il passe à l’état liquide et prend dès lors environ 600 fois moins de place qu’à l’état gazeux. Il est alors possible de le charger sur les méthaniers et de le transporter en grandes quantités aux quatre coins du monde.

Mais afin de pouvoir l’injecter sur les réseaux, les pays importateurs doivent être dotés d’infrastructures très spécifiques que sont les terminaux méthaniers. La France en possède quatre, et en ouvrira un cinquième flottant au large du Havre durant l’année 2023.

Comment fonctionnent ces terminaux méthaniers?

Le méthanier vient d’abord s’amarrer, comme n’importe quel bateau, à un quai de déchargement. Ou, dans le cas de notre futur terminal flottant, à un autre bateau spécial équipé pour ce déchargement et relié à la terre ferme par une conduite spécifique. Il est alors transféré par un bras articulé vers des réservoirs cryogéniques où il est conservé à une température similaire d’environ – 160 C°. Ces réservoirs ne sont là que comme stockage tampon, puisque le gaz est ensuite progressivement transféré de ceux-ci vers un regazéifieur. À l’intérieur, il est mis sous pression (environ 80 fois la pression atmosphérique) et réchauffé. Pour cette dernière étape, plusieurs solutions existent, soit en utilisant l’eau de mer, soit, plus original, sur le terminal de Dunkerque, en utilisant la chaleur des eaux de rejet du circuit de refroidissement de la centrale nucléaire de Gravelines.

Une étape méconnue ensuite est l’odorisation. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le gaz est parfaitement inodore, ce qui peut représenter un danger car il est impossible d’en détecter une fuite. Il est donc mélangé avec du THT (tétrahydrothiopène), qui lui donne son odeur si reconnaissable, avant d’être injecté par une station de compression sur le réseau de distribution national.

Manque de méthaniers

Ainsi, si nous souhaitons augmenter nos importations de GNL, nous avons besoin de toute cette série d’infrastructures afin d’être capable de le transvaser et l’injecter sur nos réseaux. Et si la France est plutôt bien dotée, avec quatre terminaux méthaniers représentant environ 36 milliards de m3 de gaz débarqués par an (et 5 milliards de plus pour le futur terminal méthanier flottant), nos voisins allemands, eux, n’en possèdent aucun. C’est donc une course contre la montre qui s’est engagée afin de doter au plus vite l’Europe des capacités portuaires nécessaires pour être capable de débarquer le gaz venant des quatre coins du monde.

Mais les infrastructures du côté du client ne sont pas les seuls facteurs limitants. Le nombre de méthaniers navigants est aussi pour l’instant trop faible pour transporter l’augmentation nécessaire des flux gaziers sur les océans. Les chantiers navals maîtrisant la construction de ces bateaux très spécifiques sont submergés de demandes des armateurs pour construire de nouveaux navires. Ce qui n’est pas sans avoir un impact positif en France, puisque le leader mondial de la conception des cuves de ces nouveaux bateaux, GTT, est une entreprise française. Et, par ricochet, elle a vu son carnet de commande se remplir très rapidement depuis quelques mois.

Enfin, et il ne faut pas l’oublier, l’exportation de GNL exige aussi du côté du pays producteur d’être doté de suffisamment de capacités de liquéfaction du gaz. Or, que ce soit au Qatar, aux États-Unis, au Canada ou en Australie, celles-ci sont aussi contraintes. Et les nouveaux projets mettront encore de longs mois, voire de longues années, à sortir de terre.

Un atout stratégique

Les terminaux méthaniers dont notre pays est doté sont donc un atout stratégique majeur nous permettant d’observer l’avenir avec plus de sérénité que d’autres. Cependant, ceux-ci sont insuffisants pour assurer à eux seuls le remplacement d’un fournisseur comme la Russie, notamment s’il s’agit d’approvisionner aussi nos voisins allemands (qui sont très en retard sur le sujet) ou suisses (qui n’ont pas d’accès à la mer). Leur fonctionnement, complexe, et nécessitant un personnel très bien formé, empêche aussi l’augmentation rapide de leurs capacités.

Il est donc illusoire de penser que le salut énergétique de la France ne pourra venir que de la diversification de ses sources d’approvisionnement. Notre pays n’échappera pas, de fait, à la diminution de sa demande (par exemple dans le cadre de l’électrification de certains usages dans une stratégie zéro carbone). Mais, et on l’oublie souvent, il peut miser sur la satisfaction de ses besoins grâce à la production locale de gaz. En l’absence d’exploitation de réserves fossiles bien réelles, notamment de gaz de schiste, afin de respecter nos engagements climatiques, l’exploitation locale ne peut passer que par le développement rapide de nos capacités de production de biogaz.

Philippe Thomazo

La rédaction