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Les émissions cachées des mines de charbon allemandes


Il n’y a pas que les centrales thermiques, au gaz, au charbon et au fioul qui émettent des gaz à effet de serre. L’exploitation d’un puits de pétrole, d’un gisement de gaz naturel ou d’une mine de charbon rejette des quantités considérables de méthane dans l’atmosphère. Il était plus que temps de commencer à s’en préoccuper comme vient de le faire le Parlement européen. Hasard du calendrier, au même moment ou presque une étude conjointe de la Deutsche Umwelthilfe (Agence allemande de protection de l’environnement) et de l’institut Ember Climate dénonce un véritable mensonge d’Etat en Allemagne sur les émissions des mines de lignite.

Les centrales thermiques fossiles, au charbon, au gaz naturel et au fioul, sont souvent – et à raison – montrées du doigt pour leurs émissions de gaz à effet de serre lorsqu’elles sont en fonctionnement. Mais ce mode de calcul possède un certain nombre d’angles morts. L’un d’eux est la non-comptabilisation des émissions issues de l’extraction des combustibles fossiles.

L’exploitation d’un puits de pétrole, d’un gisement de gaz naturel comme d’une mine de charbon entraîne un certain nombre de rejets non valorisables. Et notamment, dans le cas du charbon et du gaz naturel, du méthane (CH4) qui a un effet de réchauffement 86 fois supérieur (sur 20 ans) à celui du dioxyde de carbone (CO2). Environ un quart du changement climatique d’origine humaine proviendrait des émissions de méthane…

Nouvelle réglementation européenne

Pourtant, ces émissions ont très longtemps été passées sous silence. Et avant le 10 avril dernier, il n’existait aucune réglementation pour les encadrer à l’échelle de l’Union Européenne (UE). C’est désormais chose faite. La semaine dernière, les eurodéputés ont validé un texte visant à réduire de 30% d’ici 2030 les émissions de méthane des puits d’hydrocarbure où des mines de charbon. Il prévoit notamment dans un premier temps une obligation de mise en place de mécanismes de mesures et détections des fuites de méthane ainsi qu’une obligation de déclaration des niveaux mesurés.

Car aujourd’hui, c’est le grand flou. Si des observations satellites permettent d’avoir des estimations précises à l’échelle continentale, il n’existe pas de comptabilité fiable et régulièrement mise à jour de ces émissions.

Mensonge d’Etat en Allemagne

Cette nouvelle réglementation européenne qui prendra effet dans quelques mois pourrait avoir un impact important… notamment en Allemagne. Car hasard du calendrier, une étude conjointe de la Deutsche Umwelthilfe (DUH), l’Agence allemande de protection de l’environnement, et de l’institut Ember Climate vient de jeter un pavé dans la mare sur la politique énergétique allemande.

Selon cette analyse, les émissions de méthane provenant des mines de lignite à ciel ouvert allemandes sont sous-estimées. Et pas d’un peu, mais d’un facteur… 184. Des conclusions qui remettent fortement en cause les chiffres officiels de l’Agence fédérale de l’environnement. En 2022, la production allemande de lignite représentait 44% de la production totale de ce combustible dans l’UE. Et selon les chiffres officiels allemands, la production allemande de lignite émettait à quantité équivalente de 40 à 100 fois moins de méthane que celle de la Pologne !

Le lignite ou charbon marron de mauvaise qualité est en outre l’une des sources d’énergie fossile qui émet le plus de CO2, plus même que le charbon classique anthracite. Produire un mégawatt heure dans une centrale à charbon fonctionnant au lignite revient à émettre 363,6 kilos de CO2 selon les chiffres du GIEC. L’an dernier, le charbon a représenté au total 26,3% de la production électrique allemande et le lignite en a assuré à lui seul 17,4%…

23 millions de tonnes d’équivalent CO2 émis chaque année par le secteur charbonnier allemand

Pour en revenir aux émissions de méthane, réelles ou officielles, comment est-il possible de passer de 1.390 tonnes (chiffres officiels) à 256.000 tonnes (nouveau chiffre du DUH) ? Il apparaît que les chiffres de l’agence fédérale se basent sur des données issues de Rheinbraun AG, une filiale de l’exploitant RWE, et qu’ils s’appuient sur des données collectées … il y a une quarantaine d’années. Et sont, de facto, totalement obsolètes.

Si ces chiffres sont avérés, ce sont ainsi pas moins de 23 millions de tonnes d’équivalent CO2 qui sont émis par le secteur charbonnier allemand, en amont des centrales thermiques. Un chiffre faramineux, équivalent au double des émissions de l’ensemble du secteur aérien français, vols internationaux inclus.

Des émissions toujours intenses sur les anciens sites d’extraction

Les obligations nées de la nouvelle réglementation européenne pourraient donc coûter extrêmement cher au pays. L’achat de droits à émettre en conséquence représenterait ainsi 1,4 milliards d’euros par an. La nécessité de disposer de mesures et d’un suivi précis qui n’est aujourd’hui absolument pas mis en place, reviendrait lui à des dizaines de millions d’euros.

Mais le plus inquiétant est que les analyses satellites montrent des émissions toujours intenses sur les anciens sites d’extraction. Or, la seule stratégie affichée par le gouvernement allemand étant d’arrêter l’exploitation, ces nouvelles données démontrent que ça ne sera pas suffisant.

Philippe Thomazo

La rédaction