Transitions & Energies

Allemagne: une réussite en trompe l’œil


Il faut faire attention aux conclusion hâtives. L’Allemagne a annoncé une baisse de près de 10% de ses émissions de CO2 l’an dernier avec notamment une production d’électricité assurée à 56% par les renouvelables et une baisse significative de la consommation de charbon. Le charbon a été remplacé par les renouvelables mais aussi le gaz naturel et l’électricité nucléaire importée… notamment de France. Mais cette performance appréciable, l’Allemagne la doit aussi et surtout à la chute de son activité industrielle handicapée par des prix de l’énergie trop élevés. Et dans les domaines du logement et des transports, les émissions ne baissent pas. Et même du côté de la production électrique, la performance en matière d’émissions est discutable. Elle a atteint 417 grammes de CO2 par kWh produit, le même niveau qu’en 2019, quand la France n’émettait en moyenne sur l’année que 59 grammes de CO2 par kWh… Cherchez l’erreur. L’Energiewende, la révolution énergétique allemande, qui a englouti 600 milliards d’euros en une quinzaine d’année n’est toujours pas le modèle qu’on veut nous faire croire…

En apparence, les 600 milliards d’euros investis dans la fameuse révolution énergétique allemande, l’Energiewende, finissent par porter leurs fruits. L’an dernier, la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie et plus particulièrement la production d’électricité a augmenté et en conséquence les émissions de CO2 ont baissé en raison à la fois du recul de la consommation de charbon et… de la crise que traverse l’industrie allemande. Selon le bilan du groupe d’experts Agora Energiewende, la première économie européenne a émis l’an dernier 673 millions de tonnes de CO2, soit 9,8% de moins qu’en 2022, son plus bas niveau depuis environ 70 ans.

Conclusion hâtive

Le pays a produit 56% de son électricité à partir de sources d’énergies renouvelables – à savoir l’hydraulique, la biomasse, l’éolien et le solairen- contre 47,4% en 2022. La part des centrales à charbon dans la production électrique est descendue à 26,3% contre près de 34% en 2022… Les exploitants ont remplacé le charbon par des renouvelables et quand cela n’était pas possible par du gaz naturel dont la consommation dans les centrales a augmenté de 31%. Le pays a aussi importé en 2023 davantage d’électricité décarbonée, pour moitié provenant de renouvelables et pour un quart du nucléaire notamment français. « Nous sommes sur le bon chemin », s’est félicité le ministre écologiste de l’Économie et du Climat, Robert Habeck. 

Une conclusion un peu hâtive. D’abord, l’an dernier l’intensité carbone du mix électrique allemand était de 417 grammes de CO2 par kWh produit, le même niveau qu’en 2019 selon ElectricityMaps. Quand la France, tellement en retard sur les renouvelables selon les experts autoproclamés, n’émettait en moyenne sur l’année que 59 grammes de CO2 par kWh. Les experts d’Agora Energiewende reconnaissent eux-mêmes que seulement 15% de la baisse des émissions de 2023 est « durable dans une perspective industrielle et climatique », c’est-à-dire liée à de véritables changements structurels. Car l’année dernière a été marquée par une chute de la production industrielle, grande consommatrice d’énergie. L’industrie allemande n’est plus compétitive à l’international et même sur son marché national du fait de prix de l’énergie bien trop élevés par rapport à ses concurrents qu’ils soient américains, asiatiques et même européens… Une PME allemande paye aujourd’hui son électricité quatre fois plus cher que son équivalent français. Une conséquence notamment de la très coûteuse Energiewende.

Des baisses de 20% de l’activité dans la chimie, la sidérurgie et le papier

Ainsi, les prix de l’électricité et du gaz n’ont cessé d’augmenter en Allemagne depuis dix ans et si l’approvisionnement a été assuré après la grande crainte liée à l’invasion de l’Ukraine, il coûte désormais encore plus cher. Résultat, l’industrie allemande n’est plus compétitive, et les Allemands se sont appauvris. C’est surtout l’industrie lourde, grande consommatrice de de gaz et d’électricité, qui est touchée avec des baisses de 20% de l’activité dans la chimie, la sidérurgie ou le papier.

Surproduction ou sous-production, les contribuables allemands payent la facture

La demande d’énergie primaire a ainsi atteint son niveau le plus bas depuis 50 ans. Faute de trouver des moyens pour fournir une énergie plus abordable à son industrie, l’Allemagne a décidé tout simplement d’abandonner certaines activités industrielles réduisant ainsi la demande de gaz, la production et l’emploi. La croissance du PIB réel allemand stagne depuis 2017, et il n’y a aucune raison de voir un changement dans les prochains mois. Pour le cabinet de conseil FG Energy, « la base industrielle de l’Allemagne, en particulier les industries à forte intensité énergétique, aura du mal à retrouver son niveau d’avant la guerre en Ukraine ».

La sortie du nucléaire, définitive l’an dernier avec la fermeture des trois derniers réacteurs en service, n’a pas vraiment arrangé les choses. Elle a fait passer le pays d’un statut d’exportateur net d’électricité (27,3 TWh en 2022) à celui d’importateur net du jour au lendemain (8,6 TWh en 2023). L’obsession nationale pour les renouvelables intermittents, éolien et solaire, s’est traduite à la fois par une sous-production d’électricité pendant les pics de consommation en hiver, avec peu de soleil et peu de vent, et en revanche une surproduction pendant les journées ensoleillées et venteuses, contraignant l’Allemagne à payer les pays voisins pour lui acheter son électricité surabondante. Ainsi, que la production nationale d’électricité soit trop ou pas assez importante, ce qui est souvent le cas avec les renouvelables, les contribuables allemands payent la facture…

Le charbon et surtout le lignite sont toujours bien là

Et il n’est pas sûr du tout qu’ils soient débarrassés du charbon. Car en général pendant les vagues de froid en hiver, il y a peu d’ensoleillement et peu de vent, ce qui signifie que les centrales thermiques tournent à plein régime. Ce n’est pas pour rien si le gouvernement allemand a décidé de retarder à nouveau la mise en veille de ses centrales au lignite pour une saison supplémentaire. Le lignite ou charbon marron est l’une des sources d’énergie fossile qui émet le plus de CO2, plus même que le charbon classique anthracite. Produire un mégawatt heure dans une centrale à charbon fonctionnant au lignite revient à émettre 363,6 kilos de CO2 selon les chiffres du GIEC. Le gouvernement allemand promet que l’exploitation des mines de lignite et des centrales fonctionnant avec ce charbon de mauvaise qualité cessera à partir de mars 2024. A voir… Car si l’an dernier, le charbon a représenté au total 26,3% de la production électrique du pays, le lignite en a assuré à lui seul 17,4%…

Enfin, le problème de l’Energiewende est que les progrès enregistrés avec la production d’électricité et la baisse sensible de consommation d’énergie par l’industrie n’existent pas dans le logement et les transports qui n’ont pas réduit significativement leurs émissions de CO2. En plus, les financements de la transition dans ces deux domaines sont devenus plus difficiles. Une décision de justice en novembre a annulé la création d’un fonds d’investissement de 60 milliards d’euros dédié à la transition au nom des règles constitutionnelles allemandes de rigueur budgétaire.

La rédaction