Longtemps considérée comme une puissance électrique exportatrice, l’Allemagne a connu une profonde transformation de son paysage énergétique au cours des dernières années. La décision d’abandonner progressivement le nucléaire, prise après l’accident de Fukushima en 2011, a été un tournant majeur. Ce choix, mû par des prétextes environnementaux et surtout politiques, a entraîné une refonte complète du système énergétique allemand, avec des conséquences inattendues sur ses échanges commerciaux avec ses voisins.
Jusqu’au milieu des années 2010, l’Allemagne était un fournisseur d’électricité en Europe. Son parc nucléaire, l’un des plus importants au monde, couplé à une production thermique conséquente assurée par des centrales au charbon et au lignite, lui permettait de générer un surplus qu’elle écoulait largement vers ses voisins.
L’échec de l’Energiewende
Toutefois, la sortie progressive du nucléaire, décidée en 2011, et le lancement alors de la révolution énergétique allemande faisant des renouvelables une priorité (l’Energiewende) ont créé une situation de plus en plus déséquilibrée. La fermeture des centrales nucléaires a creusé un trou dans la production électrique allemande. Si le développement des énergies renouvelables intermittentes (éolienne et solaire) a été rapide avec des investissements considérables de plus de 600 milliards d’euros en un peu plus d’une décennie, leur production, fortement dépendante des aléas météorologiques, ne peut pas toujours compenser les pertes liées à l’abandon du nucléaire.
Ainsi, les renouvelables ont la fâcheuse tendance de produire trop (quand il y a du vent et du soleil) ou trop peu créant des période de surproduction pendant lesquelles personne ne veut de l’électricité produite, et d’autres moments où l’abandon d’une source de production pilotable, indépendante de la météorologie, devient très préjudiciable.
Elle l’est d’autant plus que la consommation électrique allemande, dopée par une croissance économique relativement soutenue et une électrification croissante des usages, n’a cessé d’augmenter jusqu’à la crise de 2022 née de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ce double mouvement, caractérisé par une baisse de fait de la capacité de production quand la météorologie est défavorable et une hausse de la consommation, a inexorablement conduit l’Allemagne à devenir importatrice nette d’électricité (voir l’infographie ci-dessous).
Balance du solde électrique de l’Allemagne en TWh. Source: Energy Charts.
Ce basculement a été accéléré par la hausse des prix de l’énergie sur les marchés internationaux, notamment du gaz avec l’arrêt brutal de l’approvisionnement russe, rendant les importations d’électricité plus attractives durant plusieurs années et incitant le pays à externaliser la gestion de sa pointe de consommation. Et la volatilité des marchés de l’énergie, accentuée par des facteurs géopolitiques et climatiques, a rendu la planification énergétique allemande encore plus incertaine.
L’Allemagne en dépit de centaines de milliards d’euros d’investissements, d’un modèle du tout renouvelable qui est aussi celui adopté par les institutions européennes, doit désormais compter sur ses voisins pour assurer sa sécurité d’approvisionnement. Cette dépendance a rebattu les cartes de la coopération énergétique européenne et mis en évidence la nécessité de renforcer l’interconnexion des réseaux électriques.
Augmentation continue du prix de l’électricité
En fait, l’Allemagne a totalement négligé sa sécurité énergétique et s’en mord les doigts aujourd’hui. Elle l’a fait de deux façons. Par aveuglement et même par corruption en se rendant volontairement de plus en plus dépendante des importations de gaz russe et en faisant le choix des renouvelables intermittents qui ne peuvent garantir un niveau de production constant et ajusté aux besoins. Outre le fait de rendre le pays incapable de répondre seul à la demande, cette stratégie a aussi eu pour conséquence une augmentation continue du prix de l’électricité qui pèse sur le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. L’Allemagne, géant industriel de l’Europe, est aujourd’hui confronté à une crise inédite et la destruction des capacités industrielles dans les secteurs intensifs en énergie.
Berlin tente de mettre en œuvre aujourd’hui une stratégie énergétique plus efficace. Elle passe par :
-L’accélération du développement des énergies renouvelables. Aller encore plus loin dans ce qui a été jusqu’à aujourd’hui un échec… L’objectif est de réduire la dépendance aux énergies fossiles, charbon et gaz, et de rendre le système énergétique plus résilient face aux fluctuations des prix.
-Le renforcement des interconnexions électriques européennes. Une meilleure intégration des marchés électriques européens doit permettre de mieux lisser les fluctuations de la production et de la demande.
-L’efficacité énergétique. La réduction de la consommation d’énergie est un levier essentiel pour maîtriser les coûts et réduire les émissions de gaz à effet de serre.
-Le stockage de l’énergie. Le développement de technologies de stockage, notamment par batteries, doit permettre de mieux gérer l’intermittence de la production d’énergies renouvelables.
Ce programme se heurte à de multiples obstacles que les dirigeants allemands refusent de voir. Si encore plus de capacités renouvelables augmente bien la résilience du système dans les périodes de faible production, elles ont aussi tendance à se cannibaliser dans les périodes de production intensive. Obligeant les pouvoirs publics à venir à leur aide pour assurer leur rentabilité. Et, in fine, ce soutien vient renchérir la facture électrique.
La perte de stabilité du réseau allemand inquiète aussi ses voisins. Les nouveaux projets d’interconnexion sont aujourd’hui bloqués par les pays tiers ne désirant pas voir l’Allemagne tenter d’exporter ses excédents alors qu’eux même n’en ont pas besoin et verrait ainsi déstabilisé leurs propres réseaux.
Un problème fondamental de réseau à haute tension
Et puis il y a un problème de fond auquel l’Allemagne doit s’attaquer sinon elle ne surmontera jamais ses difficultés : l’insuffisance de son réseau à haute tension. C’est dans le nord du pays que sont installées l’essentiel des capacités de production renouvelables, notamment les éoliennes, et c’est dans le sud de l’Allemagne que se trouve la majorité de la demande d’électricité. Les besoins d’investissement dans le réseau à haute tension se chiffrent en centaines de milliards d’euros mais se heurtent notamment à l’acceptabilité sociale des populations. Les manifestations contre les milliers de kilomètres de ligne haute tension en projet sont devenues courantes.
Seul point positif : le développement rapide du stockage par batteries des productions renouvelables. A un niveau insoupçonné il y a encore trois ans, les batteries stationnaires sont à même de lisser en partie la production en intra-journalier, répondant ainsi notamment au défi du coucher du soleil dans un pays très dépendant de sa production photovoltaïque. Mais pour du stockage inter-saisonnier et sur de longues périodes sans vent, les batteries sont totalement insuffisantes et le resteront longtemps encore.
Suicide économique
Quand on constate l’affaiblissement continu de la situation énergétique de l’Allemagne, on peut parler de suicide économique, industriel et énergétique. Pour des raisons de calculs politiciens et de coalitions de gouvernement, le pays a multiplié les mauvais choix et a les plus grandes difficultés à reconnaître s’être fourvoyé.
La CDU (centre droit) a bien mis dans son programme l’étude du redémarrage des derniers réacteurs nucléaires fermés. Mais avec un système électoral à la proportionnelle nécessitant la création de coalitions gouvernementales, il est très peu vraisemblable que la CDU puisse trouver des alliés qui accepteraient une relance du nucléaire. De géant à nain de l’énergie en moins de 10 ans, un cas d’école que l’on étudiera encore pendant longtemps…
Phillipe Thomazo