Transitions & Energies
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Une baisse durable de la demande d’électricité


La crise, née notamment de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, a entraîné une baisse sensible de la consommation d’énergie en général et d’électricité en particulier, en Europe comme en France. Elle était la conséquence à la fois d’une envolée des prix, des messages de sobriété des gouvernements et des difficultés des industries dites électro-intensives qui ont vu leur compétitivité s’effondrer. Cette baisse de la consommation de 2022 a perduré en 2023. Faut-il s’en réjouir ? Car la transition énergétique a pour logique une électrification des usages, c’est-à-dire de substituer, autant que faire se peut, des combustibles fossiles par de l’électricité décarbonée. Il semble en tout cas que nous sommes bien entrés dans une nouvelle ère, celle de la fin d’une énergie surabondante et relativement bon marché.

L’effet croisé en 2022 de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de la défaillance du nucléaire français a précipité la France et l’Europe dans une crise énergétique sans précédent depuis les chocs pétroliers des années 1970.

Les tensions d’approvisionnement à la fois sur le gaz mais aussi les risques pesant sur le réseau électrique ont alimenté à la fois la crainte de pénuries et les controverses durant de longs mois. Et les appels à la sobriété portés par tous les gouvernements afin de préserver ces ressources vitales et précieuses se sont multipliés, provoquant également des controverses.

Un hiver 2022-2023 passé sans encombre

Les appels à la sobriété ou tout simplement aux économies d’énergies se sont déclinés sous plusieurs formes. Des rappels de mesures de bon sens, comme limiter le chauffage à 19 degrés pour éviter les surconsommations, ou encore les efforts à faire sur l’isolation des locaux. Mais aussi des mesures plus dramatiques comme les décisions prises par certaines entreprises dites électro-intensives de réduire leur activité, ou encore le choix de collectivités locales de limiter, par exemple, les horaires d’ouverture des piscines.

L’ensemble de ces gestes, choisis ou subis, se sont traduits par une baisse majeure de la consommation énergétique, gaz et électricité en tête, et ont permis de passer l’hiver 2022-2023 finalement sans encombre

La demande d’électricité n’est pas repartie à la hausse

Un an plus tard, la plupart des problèmes semblent être derrière nous. Le parc nucléaire français produit à nouveau à des niveaux convenables, les précipitations ont permis de reconstituer les réserves hydroélectrique, les stockages de gaz sont pleins, et l’ensemble de ces facteurs a fait revenir les prix de marché à des niveaux que l’on n’avait pas vu depuis le début de la guerre en Ukraine.

Les entreprises électro-intensives ont retrouvé un niveau d’activité presque normal, tout du moins en France. C’est moins vrai pour l’Allemagne et notamment l’industrie lourde, chimie et sidérurgie. Pourtant, on peut constater que la demande électrique reste faible, loin du rebond que l’on aurait pu imaginer.

L’effet prix

Alors, bien entendu le signal-prix et le retour de l’inflation ont continué d’inciter aux économies. Le tarif réglementé de l’électricité n’épousant pas les courbes du marché a permis de limiter le choc pour les particuliers et petites entreprises en 2022 mais en contrepartie continue à augmenter régulièrement et va encore le faire. Par ailleurs, quand des entreprises et collectivités ont signé en 2022 des contrats à prix fixe pour tenter de limiter les risques d’une explosion des tarifs, elles se retrouvent aujourd’hui piégées avec des prix supérieurs à ceux du marché.

Mais l’effet prix ne suffit pas à expliquer la persistance de la baisse de la demande. Notamment quand on voit dans le même temps des records de vente de voitures électriques oo de pompes à chaleur qui s’inscrivent dans la logique de la transition énergétique. Elle passe par une électrification massive des usages qui doit en théorie se traduire par une augmentation sensible de la demande.

La fin d’une ère de l’énergie surabondante et relativement bon marché

La question qui se pose dès lors est la suivante : avons-nous sous-estimé le potentiel de gains en matière de sobriété et d’efficacité énergétique ou l’impact de l’inflation et de l’appauvrissement d’une partie de la population et des entreprises est-il plus important que nous le croyons ?< >Depuis 2022, chaque entreprise, ménage ou collectivité a été fortement incité à mener une réelle « chasse au gaspi ». Beaucoup ont ainsi découvert des postes de réduction à l’ampleur insoupçonnée, par exemple sur le parc immobilier public, sur l’éclairage, sur le chauffage, etc… Les comportements ont changé.

Le bon exemple vient des milliers de communes qui ont décidé de couper l’éclairage public en nuit profonde, le réservant aux soirs et matins. La majorité ne souhaite pas revenir à un éclairage permanent aujourd’hui, avec tous les bienfaits que cela peut avoir aussi bien sur la facture d’électricité que sur la biodiversité, voire sur la santé humaine.

Tous ces éléments manquent encore aujourd’hui pour permettre un chiffrage précis permettant d’évaluer à la fois l’évolution des comportements et l’impact des contraintes économiques. Il faudra encore sûrement quelques années pour bien mesurer ce qu’il se passe. Mais il semble que la crise de 2022 n’était pas qu’un feu de paille. L’ère d’une énergie surabondante et relativement bon marché appartient peut-être et pour longtemps au passé.

Philippe Thomazo

La rédaction