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Face aux problèmes de corrosion sous contrainte, EDF contraint à une stratégie offensive


Le problème de corrosion sous contrainte d’un certain nombre de réacteurs du parc nucléaire d’EDF, les derniers construits, est la conséquence d’un défaut de conception. La géométrie des coudes des canalisations en acier inoxydable permettant de les refroidir a été modifiée. Il est apparu que des torsions de métal provoquaient à la longue des microfissures dans ces canalisations peu utilisées sauf pour des tests et lors d’opérations de maintenance nécessitant le refroidissement à l’arrêt du réacteur. Il aurait été possible de faire des réparations temporaires et de contrôler ensuite en permanence. Mais l’Autorité de sûreté nucléaire, toute puissante, n’admet pas la contradiction et refuse. EDF n’a pas d’autre choix, tous les réacteurs potentiellement affectés verront donc leurs circuits entièrement changés le plus rapidement possible.

La corrosion sous contrainte empoisonne la vie d’EDF depuis plus d’un an maintenant. Détectée pour la première fois en novembre 2021, ce défaut de conception qui touche les réacteurs des paliers N4 (1500 MW) et P4 (1300 MW) a entrainé l’arrêt momentané des réacteurs les plus récents et les plus puissants du parc, signant une baisse de production historique en 2022.

En juillet dernier, la stratégie de lutte pour remédier à ce défaut s’affinait après validation par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Deux axes principaux étaient définis. Selon l’atteinte identifiée et caractérisée, l’énergéticien offrait deux possibilités: des réparations locales des soudures affectées en cas d’atteinte faible, un remplacement total du circuit en cas d’atteinte importante.

L’ASN, autorité toute puissante qui  n’admet pas la contradiction

Le choix de l’une ou l’autre des possibilités devait en théorie faire l’objet d’un «débat» technique entre EDF et l’ASN après les résultats des examens non destructifs des circuits concernés. Mais cette stratégie qui visait à redémarrer au plus vite les réacteurs les moins affectés avant d’étaler les réparations lourdes s’est heurtée à un grand nombre d’obstacles.

Contrairement à la stratégie définie en juillet, l’ASN a décidé de ne pas arbitrer entre la sécurité d’approvisionnement et la sécurité nucléaire, même si les risques étaient extrêmement limités. L’ASN s’est très vite montrée intraitable sur la caractérisation de chacune des atteintes. Il n’y a eu en fait aucun «débat» technique. L’ASN a décidé. Plusieurs réacteurs ont ainsi vu leur date de redémarrage décalée de plusieurs mois suite à un refus par l’Autorité de valider une réparation temporaire, et l’obligation de facto de passer par le remplacement en grand périmètre du circuit incriminé.

Face à cette incertitude permanente, EDF a donc décidé de changer son fusil d’épaule. Le groupe vient ainsi d’annoncer son intention pour 2023 d’arrêter l’ensemble des réacteurs de 1300 MW du palier P4 n’ayant pas encore fait l’objet d’un changement de circuit afin de réaliser ce remplacement total.

Des travaux massifs entre le printemps et l’automne 2023

Des travaux lourds, qui vont réduire la disponibilité déjà limitée du parc nucléaire français entre le printemps et l’automne de l’année prochaine. Mais si celle-ci devrait de facto rester inférieure à la moyenne des bonnes années, elle devrait cependant s’établir à un niveau largement supérieur à celle de 2022. Réduisant la tension sur l’approvisionnement électrique dans les mois à venir.

Les marchés de l’énergie n’ont pas réagi défavorablement à cette annonce, qui a depuis longtemps été anticipée par les différents acteurs tant elle semblait inéluctable suite aux annonces successives de refus de l’ASN de valider des réparations simples. Mieux, celle-ci permet à moyen terme de lever l’incertitude sur l’évolution de ce qu’on peut réellement appeler la «crise de la corrosion». Ainsi, la trajectoire suivie désormais est de disposer de l’ensemble des réacteurs des paliers N4 et P4 avec des circuits d’injection renouvelés avant l’hiver prochain. Ôtant une part de risque.

Mobiliser 500 soudeurs

Pour mener à bien l’ensemble de ces chantiers, le groupe EDF a annoncé qu’il serait nécessaire de mobiliser 500 soudeurs en 2023. Mais que contrairement à 2022, il n’y aurait à priori pas besoin de renforts internationaux, et que la plupart des renforts nord-américains venus aider étaient d’ores et déjà rentrés avant la fin de l’année. Une grosse année s’annonce donc encore pour les équipes des différentes sociétés mobilisées sur les chantiers des réacteurs. Et ce, en parallèle de la poursuite du grand carénage.

Mais le bout du tunnel semble à portée de main. C’est en tous cas le pari pris par les marchés qui, se détendant, s’orientent progressivement vers un retour à des prix de gros de l’électricité similaires à ceux connus avant la guerre en Ukraine.
Si ce pari devait se valider, la France retrouverait un avantage stratégique et compétitif majeur pour son industrie face à ses concurrents les plus proches, l’Allemagne en tête. Qui eux, devraient subir durant longtemps la dépendance de leur électricité aux prix du gaz et du charbon.

Philippe Thomazo

La rédaction