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Y-a-t-il une limite au gigantisme des éoliennes marines?


La course au gigantisme des éoliennes marines s’explique avant tout par le fait que plus elles sont grandes, plus l’électricité produite est importante et plus elle est compétitive. Les plus grandes dépassent aujourd’hui à la pointe de leurs pales 250 mètres de haut. Mais il existe des limites physiques, logistiques, industrielles et économiques à cette course à la taille. Elles seront sans doute bientôt atteintes.

En 2023, à environ 150 kilomètres des côtes nord-est de l’Angleterre, les plus gigantesques éoliennes marines du monde vont commencer à produire de l’électricité. La première phase de développement du parc éolien marin de Dogger Bank utilise des turbines Haliade X de General Electric dont le point le plus élevé des pales se trouve à plus d’un quart de kilomètre au-dessus de la surface de l’océan. Une telle machine installée à Londres serait la troisième plus importante structure de la ville, plus haute que la tour One Canada Square de Canary Wharf et seulement 50 mètres plus basse que la tour Shard. Chacune de ses trois pales serait plus grande que l’horloge de Big Ben. Et le parc Dogger Bank devrait compter au final 300 de ses géants.

L’étape suivante, une éolienne de la taille de la Tour Eiffel ? GE Renewable Energy / Facebook

Il s’est seulement passé deux décennies depuis que le Royaume-Uni a construit son premier parc éolien marin au large des côtes du nord du Pays de Galles. Ces turbines étaient capables de produire chacune 2 mégawatts (MW) d’électricité dans des conditions idéales, ce qui était considéré comme considérable à l’époque. Pour comparer, Haliade X sera capable de produire 13 mégawatts et des turbines pouvant atteindre 15 MW seront disponibles dans un ou deux ans.

Pourquoi les éoliennes grandissent avec une telle rapidité et y-a-t-il une limite à leur taille? En résumé, la première réponse est pour réduire le coût de l’énergie produite et la seconde est qu’il y a forcément une limite, mais personne ne la connait.

Grandes éoliennes, électricité bon marché

Il y a cinq ans, l’industrie éolienne marine espérait ramener le prix de l’énergie produite à moins de 100 livres [114 euros au niveau de change actuel] par mégawatt heure d’ici 2020 pour les nouveaux projets réalisés dans les eaux anglaises. Même à ce niveau, les projets étaient toujours dépendants des subventions gouvernementales pour les rendre viables par rapport à d’autres moyens de production d’électricité.

Mais en fait, les coûts ont baissé plus rapidement au point que les développeurs de parc éoliens marins se sont rapidement engagés à vendre leur production électrique à des prix bien plus faibles. Aujourd’hui, les développeurs construisent des parcs éoliens marins comme Dogger Bank en s’engageant à produire à des tarifs inférieurs à 50 livres [57 euros] par mégawatt heure. Cela fait que l’éolien marin est devenu compétitif sans subventions avec d’autres moyens de production d’électricité.

Le facteur majeur dans la réduction des coûts est la taille des éoliennes. Des éoliennes toujours plus grandes sont devenues disponibles sur le marché bien plus rapidement que presque tout le monde le prévoyait.

Le parc de Dogger Bank est idéal pour l’éolien marin car les eaux sont très peu profondes. Quand il sera terminé, il alimentera six millions de foyers. Dogger Bank Wind Farm

Les pales ne doivent pas tourner trop vite

En théorie, les éoliennes peuvent continuer à devenir plus grandes. Après tout une pale plus importante récupère l’énergie du vent sur une plus grande surface quand elle tourne ce qui génère plus d’électricité.

Mais il existe des contraintes d’ingénierie. L’une tient à l’usure des pales résultant de l’impact de la pluie et des projections d’eau de mer. Avec les conceptions actuelles, la vitesse des extrémités des pales doit être limitée à 90 mètres par seconde (ce qui correspond à environ 300 kilomètres heure) pour limiter leur usure. Par conséquent, à mesure que les éoliennes grandissent et que leurs pâles deviennent plus longues, leurs rotors doivent tourner moins vite.

La conséquence du fait de devoir ralentir le rotor est que pour produire la même puissance les pales doivent dévier le vent dans une plus grande mesure. Il en résulte des forces considérablement accrues sur l’ensemble de la structure. On peut absorber ces forces élevées, mais seulement en augmentant à la fois le poids et le coût des éoliennes. Et cela signifie que le niveau à partir duquel les éoliennes deviennent trop coûteuses -le point à partir duquel les coûts supplémentaires ne sont plus compensés par l’électricité supplémentaire produite- sont atteint bien plus rapidement que si les pointes des pales étaient autorisées à tourner plus vite.

Il faut aussi souligner que plus les pales sont longues, plus elles deviennent flexibles. Cela rend plus difficile le fait de contrôler l’aérodynamique des flux d’air et de s’assurer que les pales ne frappent pas la structure de l’éolienne dans des conditions de vent extrêmes.

Des contraintes logistiques

De tels défis d’ingénierie peuvent peut-être être surmontés à long terme. Cela signifie que la taille des éoliennes sera avant tout limitée par des questions de fabrication industrielle, d’installation et d’exploitation plutôt que des limites physiques liées à leur conception.

Rien que transporter les pales et les tours des usines où elles sont fabriquées sur les sites et ensuite les assembler devient de plus en plus contraignant. Chacune de ses pales de la taille de Big Ben doit être transportée en une seule pièce. Cela nécessite des ports capables de le faire, des navires géants et des grues qui peuvent opérer en toute sécurité de façon fiable en mer. C’est sans doute de là que les limites viendront en premier.

On peut déjà s’en rendre compte au Royaume-Uni qui est entouré d’eaux peu profondes et très venteuses, parfaites pour produire de l’électricité éolienne.  En dépit de cela, le Royaume-Uni devrait ne pas parvenir à atteindre son objectif ambitieux qui est de plus que tripler ses capacités éoliennes marines d’ici 2030.

Ce n’est pas à cause de la technologie ou du manque de site favorables à l’éolien marin. C’est plutôt que l’industrie ne sera pas capable de fabriquer des éoliennes en quantité suffisante et que les infrastructures portuaires, les navires d’installation [voir l’image spectaculaire d’un navire grue auto-élévateur ci-dessus], les grues adaptées et les hommes suffisamment qualifiés ne seront pas en nombre suffisant.

Donc, si le Royaume-Uni veut maximiser les avantages pour son économie de ce qui est, jusqu’à présent, une réussite fantastique, l’accent doit maintenant être mis au sur le développement des compétences des travailleurs et sur celui de la chaîne d’approvisionnement éolienne marine plutôt que sur la simple réduction des coûts. Les turbines vont grossir, j’en suis sûr, mais je soupçonne qu’à un rythme plus lent que celui que nous avons vu ces dernières années. Et si les turbines sont déployées à 160 kilomètres au large, quelqu’un s’en souciera-t-il? Après tout, le public ne sera pas là pour les voir.

Simon Hogg Executive Director of the Durham Energy Institute, Durham University

Cet article est republié à partir de The Conversation Royaume-Uni sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation (en anglais).

La rédaction