Transitions & Energies
Oslo Wikimedia Commons

Voitures électriques: l’anti-modèle norvégien


La Norvège est en apparence le paradis des véhicules électriques. Ils représentent plus de la moitié des ventes neuves et le doivent à des subventions massives qui les rendent moins coûteux que les véhicules thermiques et hybrides à l’achat comme à l’usage. Mais il s’agit en fait d’un modèle douteux. Il tient du «greenwashing» à l’échelle d’un pays tout entier. Car pour financer de telles subventions, la Norvège s’appuie sur des exportations de pétrole et de gaz depuis des décennies… Le coût carbone réel des véhicules électriques est désastreux. En outre, les Norvégiens sont incités à acheter plus d’automobiles électriques, les modèles les plus lourds et les plus coûteux, et à privilégier ce mode de transport.

La Norvège est devenue le pays phare de la voiture électrique. Elle entend mettre fin aux ventes de voitures neuves à moteur thermique dès 2025. Les modèles électriques représentent aujourd’hui plus de la moitié des ventes neuves, exactement 54% l’an dernier, record du monde. Ils le doivent à des subventions massives. Dans le même temps, la production électrique du pays est en très grande partie décarbonée, grâce à la part très importante de l’hydroélectrique dont les ressources sont abondantes. La Norvège est ainsi en apparence le meilleur des mondes de la transition énergétique. Sauf que tout cela est construit sur les ressources financières accumulées depuis des décennies par la vente de pétrole et de gaz…

Du greenwashing à l’échelle d’un pays

Dans un article publié par Energy Post, le chercheur Shalk Cloete a ainsi calculé que la Norvège doit commercialiser plus de 100 barils de pétrole, ce qui représente plus de 40 tonnes de CO2 dans l’atmosphère, pour financer les avantages fiscaux accordés aux véhicules électriques permettant de réduire d’une tonne les émissions de CO2. Le bilan carbone est désastreux.

On peut parler de «greenwashing» à l’échelle nationale. C’est exactement le genre de calculs qui sabote la transition à l’image du recours massif en Allemagne, présenté aussi comme un modèle, aux centrales au charbon et au gaz pour compenser l’intermittence des éoliennes et des panneaux solaires.

Pour en revenir à la Norvège, ce petit pays de 5,3 millions d’habitants est presque le seul au monde à avoir été capable de gérer avec sagesse la rente pétrolière qu’il accumule depuis de nombreuses années. Selon les calculs de Shalk Cloete, la Norvège a vendu depuis 50 ans l’équivalent de 44 milliards de barils de pétrole. Cela s’est traduit par 15 gigatonnes de CO2 dans l’atmosphère et par des profits de l’ordre de mille milliards de dollars. Les coûts de production des champs norvégiens étant très compétitifs.

Mais le mérite de la Norvège est d’avoir bien géré cette manne. Elle a investi 360 milliards de dollars et de façon très avisée. La valeur de son fonds souverain atteint aujourd’hui 1.300 milliards de dollars. Pour un pays aussi peu peuplé, cela représente une richesse par habitant considérable. Surtout que les revenus pétroliers et gaziers représentent toujours tous les ans environ 7% du Pib.

Les subventions augmentent avec le prix et le poids des véhicules

Pour se donner bonne conscience ou le beau rôle, ce pays nordique a donc décidé de devenir le champion du véhicule électrique. La Norvège ne subventionne pas directement les véhicules électriques, mais leur permet d’être exemptés de toutes les taxes, impôts et charges des autres automobiles.

Pour donner un ordre d’idées, voilà ce que le gouvernement et les autorités locales offrent aux acheteurs de véhicules électriques: les péages gratuits sur les autoroutes, l’exemption de la TVA qui est de 25%, l’exemption des taxes à l’importation, l’exemption de toutes les vignettes et taxes qui portent notamment sur le poids des véhicules et leurs émissions de CO2, des tarifs d’assurance privilégiés, des places de parking gratuites ou à des tarifs préférentiels et des tickets gratuits pour utiliser les ferries. On peut y ajouter l’autorisation dans de nombreuses villes d’emprunter les voies de bus. Résultat, les voitures électriques sont devenues bien moins chères à l’achat que celles à moteurs thermiques et évidemment beaucoup moins coûteuses à l’usage. Les Norvégiens ont même multiplié les achats d’opportunité quitte à avoir plusieurs véhicules. Cela coûte, selon une évaluation faite par la coalition de centre-droit au pouvoir dans le pays, plus de 2,3 milliards de dollars par an au budget national. Pour des résultats en terme d’émissions de gaz à effet de serre qui sont contestables.

Selon les calculs de Schalk Cloete, une voiture 100% électrique comme le SUV Volkswagen ID4 avec une batterie de 80 kWh permettra d’économiser 15 tonnes de CO2 par rapport à un véhicule hybride non rechargeable équivalent comme un Toyota RAV4 si l’électricité est très peu carbonée comme en Norvège. Les subventions en faveur du ID4 se montent à 36.500 dollars ce qui représente 2.400 dollars par tonne de CO2 évité. Pour chaque tonne de carbone économisée, la Norvège doit vendre 104 barils (avec un profit moyen de 23 dollars par baril). Les 104 barils en question vont émettre 45 tonnes de CO2…

La Norvège aimerait devenir le premier pays au monde à devenir neutre sur le plan carbone. Cela n’a pas grande signification pour un pays qui représente 0,1% des émissions mondiales. Mais surtout, les exportations de gaz et de pétrole du pays représentent 15 fois plus de CO2 dans l’atmosphère que les émissions locales. La neutralité sur le plan carbone n’a pas grande signification.

Les conclusions de Schalk Cloete sont sans appel.

-Le modèle norvégien n’en est pas un car très peu de pays au monde ont les moyens d’offrir les mêmes subventions  pour voir la part des véhicules électriques devenir majoritaire dans les ventes neuves.

-Par ailleurs, les subventions qui augmentent avec le prix des véhicules incitent à l’achat de voitures toujours plus lourdes et luxueuses, importées et ayant des batteries toujours plus puissantes.

-Enfin, le modèle norvégien revient à préserver indéfiniment et même à promouvoir le modèle de la voiture individuelle y compris dans les villes.

En résumé écrit-il, cela revient à apporter «des subventions massives aux riches pour qu’ils importent des voitures de luxe».

La rédaction