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Sûreté nucléaire, la France simplifie


Après l’avoir rejetée il y a un an, l’Assemblée nationale a finalement adopté le 19 mars par une seule voix d’écart la fusion des deux acteurs de la sûreté nucléaire, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), autorité indépendante créée en 2006 qui contrôle les centrales, et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), établissement public créé en 2001 qui réalise l’expertise technique. L’ambition du gouvernement est de « fluidifier » les prises de décision et de réduire les délais dans les processus d’expertise, d’autorisation et de contrôle.

La redondance des autorités, administrations et autres agences de l’Etat est en partie à l’origine du mal français. Elle n’a évidemment pas épargné la filière nucléaire affaiblie par deux décennies de désengagement financier et humain par les gouvernements successifs et par la multiplication des demandes intempestives et parfois contradictoires des autorités de sûreté et de contrôle. Cela ne veut pas dire que la sûreté nucléaire n’est pas une question essentielle, mais que dans ce domaine le mieux est parfois l’ennemi du bien et n’est pas pour rien, par exemple, dans la complexité devenue ahurissante du chantier de l’EPR de Flamanville. Il n’a cessé au fil des années de devoir se conformer aux exigences nouvelles des autorités de sûreté.

Parfois à raison quand il y avait des malfaçons et parfois à tort quand il s’agissait avant tout de donner des gages politiques aux anti-nucléaires ou d’affirmer une autorité sans limite et sans contre-pouvoir. Un gendarme qui définit les règlements, procède à leur contrôle selon les modalités qu’il a définies, et peut faire plier le contrôlé en s’appuyant à tout moment sur les médias et l’opinion publique est problématique par nature.

Création en 2025 d’une seule Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR)

Voilà pourquoi officieusement, de nombreux responsables et ingénieurs d’EDF, d’Orano et de Framatome se plaignent depuis des années de la complexité administrative des contrôles auxquels ils sont soumis qui, d’après eux, ne serait pas étrangère aux difficultés de la filière nucléaire en France. Le gouvernement a bien conscience de ce que cela représentecomme handicap pour la relance du nucléaire et a donc entrepris une simplification qui consiste à réunir dans une même structure l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), autorité indépendante créée en 2006 qui contrôle les centrales, et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), établissement public créé en 2001 qui réalise les expertises techniques… pour l’ASN. La réforme rejetée il y a un an a cette fois été adoptée le 19 mars par l’Assemblée nationale à une voix près par 260 députés contre 259.

Cela devrait se traduire par la création le 1er janvier 2025 d’une « Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection » (ASNR) issue du rapprochement de l’ASN et de l’IRSN, qui emploient respectivement 530 et 1 740 agents. Cela permettra selon le gouvernement de « fluidifier » les prises de décision et de réduire les délais dans les processus d’expertise, d’autorisation et de contrôle.

Le modèle américain

L’opposition a été immédiate par ceux qui défendent leur pré carré et ceux qui y ont vu, souvent les mêmes, une atteinte « intolérable » à la sûreté nucléaire. L’intersyndicale de l’IRSN a ainsi alerté à nouveau cette semaine sur les « risques majeurs » liés au projet, s’alarmant d’un « délitement de la recherche » et d’une « désorganisation [de la sûreté nucléaire] en pleine relance ». Des arguments qui en dépit de relais médiatiques et politiques abondants ne résistent pas à un examen un peu critique…

Il suffit ainsi de regarder comment cela se passe dans les autres pays ayant un parc nucléaire abondant et des exigences de sécurité équivalentes aux nôtres.  Au Japon, les différentes institutions de sûreté existant avant l’accident de Fukushima en 2011 ont toutes été ensuite intégrées à l’Autorité de régulation nucléaire (NRA) pour lui donner plus de pouvoir, de poids politique et de responsabilités.

Les Etats-Unis ont pour leur part une institution unique, la Nuclear Regulatory Commission (NRC), créée en 1974, indépendante du gouvernement, elle rend des comptes uniquement au Congrès. Elle est la seule agence compétente aux Etats-Unis en matière de sûreté nucléaire et possède en son sein différents bureaux assurant différentes fonctions. Elle évalue la sûreté des centrales et prend les décisions de mise à niveau, de fermeture, de prolongation d’exploitation…

On peut voir plus précisément les différences d’approche entre les Etats-Unis et la France sur la question clé de la prolongation de l’exploitation des réacteurs en service. En France, l’autorisation d’exploitation au-delà des 40 années initiales prévues se traduit par des coûts très élevés de rénovation des réacteurs en raison d’exigences de fortes augmentations de leur niveau de sûreté en application d’un principe d’amélioration continue de la sûreté… qui ne figure nulle part dans la législation. Par construction, le principe du progrès continu de la sûreté la fait apparaître comme jamais suffisante.

Aux Etats-Unis, on se contente du maintien du niveau de sûreté d’origine car il n’y a pas de tabou à s’interroger sur l’efficacité des mesures et leur coût. Les réexamens tous les vingt ans visent à s’assurer avant tout que les effets du vieillissement des équipements sont maîtrisés et combattus. Dans cette logique, 90% des réacteurs américains ont déjà été autorisés à fonctionner jusqu’à 60 ans, et deux jusqu’à 80 ans. En France, lors de la visite décennale à 40 ans, en plus de la rectification des écarts au référentiel de sûreté de départ et la correction des effets du vieillissement, le programme dit de grand carénage comprend des modifications importantes permettant de se rapprocher le plus possible des niveaux de sûreté de l’EPR avec la réduction d’un facteur 10 de la probabilité d’un accident. Est-ce vraiment nécessaire ?

Pour asseoir la légitimité des décisions d’une autorité indépendante, celle-ci doit être placée sous la supervision des instances politiques et juridiques. Elle doit aussi avoir à rendre des comptes. Aux Etats-Unis, cela se fait par le contrôle parlementaire avec auditions contradictoires, et par les possibilités de recours des exploitants devant les tribunaux. En France, EDF, exploitant publique unique, ne peut guère contester les décisions de l’ASN devant le Parlement et devant le Conseil d’Etat.

La rédaction